À l'occasion de la COP21, la conférence de l'ONU, qui se déroule du 30 novembre au 11 décembre à Paris, RFI Musique vous offre un petit voyage dans le monde de la musique écolo en France. De la naissance de l'écologie politique au greenwashing en règle, retour sur quarante ans de liens entre la musique et la mise au vert.
Lorsqu'il compose son disque Sacré Géranium, Dick Annegarn ne pense pas écrire alors un manifeste écologiste. Pour lui, qui a plaqué ses études d'ingénieur agronome, car elles ne lui permettaient pas " de toucher la terre" la nature est avant tout un " sujet poétique" . En cet hiver 1973, quand paraît le 33 tours qui lancera sa carrière, Dick respire surtout à pleins poumons l'air de son temps.
"L'écologie, c'était surtout, sortir du nucléaire, se rappelle-t-il. Je ne suis pas très manifestant, mais je me vois en train de manifester en région parisienne. Le tout électrique, le tout nucléaire allaient avec un état policier. On considérait qu'il y avait beaucoup trop de secrets autour de ça. On était quelques années après Mai-68, on avait encore l’image "CRS/SS", celle de la répression des mouvements gauchistes."
Le géant hollandais qui vit le mouvement hippie en France prévient contre les excès du progrès dans
Transformation :
"Non, je ne mangerai pas de ta nourriture / Nourriture d'une terre dont la sève est sûre / Et le fruit amer d'une culture forcée / Par la main de l'homme / En dépit des dieux." Mais en ce début des années 70, Dick n'est pas tout seul. Avant lui,
Nino Ferrer a chanté
La maison près de la fontaine, et
Jacques Dutronc,
Le petit jardin. Dans un pays qui s'est doté d'un Ministère de l'environnement en 1971, on assiste à la naissance de l'écologie politique.
Le blues de Tchernobyl
Pour la chanson comme pour la société française, la défense de l'environnement n'est pas très loin d'un discours contestataire, pointant du doigt la société de consommation.
"Amoureux de Paname", chroniqueur de la banlieue et d'un pays qui a entamé son flirt poussé avec la crise,
Renaud ne cesse de revenir à la nature.
En 1975 dans Hexagone, "la bagnole" est déjà"l'opium du peuple de France", avec la télé et le tiercé, et il affirme dix ans plus tard sur Fatigué :"Jamais une statue ne sera assez grande/Pour dépasser la cime du moindre peuplier/Et les arbres ont le cœur infiniment plus tendre/Que celui des hommes qui les ont plantés."
La nature est parfois un ressort d'écriture, mais le sang des hommes est souvent celui de la terre, sur le disque
Mistral gagnant (1985).
Mort les enfants évoque le sort des enfants de la guerre, mais aussi la catastrophe écologique de Bhopal, qui a lieu à la fin de l'année 1984 dans une usine chimique du centre de l'Inde.
"L'écologie et la musique sont arrivées au même moment. J'étais un grand fan de Renaud, qui était déjà conscient du problème environnemental, et quand j'ai commencé à écrire, ça faisait partie de mon vocabulaire", précise Guizmo du groupe
Tryo.
L'explosion d'un réacteur à la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, le 26 avril 1986, est un choc pour le jeune Cyril Célestin, pas encore connu sous le nom de Guizmo. Alors que les Australiens de Midnight Oil se demanderont bientôt comment peut-on dormir quand nos lits brûlent, Beds are burning, Tchernobyl devient le symbole du désastre écologique.
Tryo, groupe écolo
À la fin des années 90, l'engagement écologiste a rejoint le terrain des grands-messes altermondialistes, qui prônent une décroissance économique comme une agriculture sans pesticides, ni OGM. C'est le moment où Tryo arrive en France dans la cour des lycées avec L'hymne de nos campagnes. L'histoire de cette chanson en trois accords de guitare ? "J'étais au 4e étage de ma tour HLM en banlieue sud de Paris. Je revenais de chez ma mère qui habitait une petite maison en pleine campagne, où je me rendais compte du plaisir de communier avec la nature. Ça vient simplement de ce contraste" raconte Guizmo.
Co j'ai marre, L'air du plastique, Ballade en forêt, Le saule, Toi et moi... En lien avec une pléiade d'associations de défense de la planète, le groupe a porté le message environnemental auprès de son public autant que "ce message (l)'a porté" vers le succès. En 2008, il glisse dans le livret de son album Ce que l'on sème un bulletin d'adhésion à Greenpeace et met en avant son engagement au côté de l'association de défense de l'environnement.
Pour la tournée qui suit, Tryo publie un bilan carbone et met en place des actions qui réduisent son impact écologique : gobelets consignés, incitation au covoiturage pour le public, tri sélectif, produits dérivés en textile équitable... Si Tryo a mis un peu en sourdine cet aspect-là, tous ses membres sont aujourd'hui adhérents à l'ONG Greenpeace – ce qui n'était pas le cas, au début du groupe...
Un modèle de constance ? "On est avant tout un groupe de chanson française, engagés pour l'écologie, c'est sûr, concernés, c'est sûr, mais on ne peut pas être tout le temps sur le pied de guerre", nuance Sébastien "Bibou" Pujol, le manager et 5e membre du groupe.
Du vert partout
Alors que les produits bio se trouvent dans les rayons des supermarchés, la parole verte est dans toutes les bouches. L'écologie fédère de la variété jusqu'au reggae, un style qui a souvent été relié au vert par le biais d'une herbe pas très légale. Rien que dans l'aire francophone, le cajun
Zachary Richard, le Québécois Richard Desjardins ou les rappeurs d'
Assassin, ont été rejoints depuis une bonne quinzaine d'années par des musiciens comme
Mickey 3D,
Tiken Jah Fakoly,
-M-,
Abd Al Malik, Shaka Ponk, Zebra ou
Pascal Obispo.
Lavage plus vert que vert ? Engagement sincère ? Durable ? Au-delà du discours véhiculé, qui résume souvent à "Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? ", le monde de la musique, laisse entendre d'autres voix. Depuis 2007, l'association Fairplaylist organise Le festival de Ménilmontant, revendiquant l'étiquette "éthique et solidaire" et qui a déjà rallié à sa cause des gens comme
Sanseverino, Piers Faccini ou
Lo'Jo.
A l'écart de circuits grand public, il prône une "écologie solidaire", ce qui se traduit par la transparence sur sa billetterie, une juste rémunération des musiciens ou le fait de privilégier des petits lieux de concerts. "Avant les salles, beaucoup de festivals ont été les premières structures organisatrices de concerts à faire des actions écologiques, notamment parce que ça a beaucoup d'avantages en terme de coûts", observe Bibou de Tryo.
Depuis sa campagne du sud de la France, Dick Annegarn organise avec son association, Les amis du verbe, des sentiers poétiques qui mêlent la poésie et la randonnée. Dans quelques jours, pour la COP 21, il devrait défiler dans le centre-ville de Toulouse. Quarante ans après le retour à la terre qu'il appelait de ses vœux, il vit selon ses aspirations de poète/paysan, "avec un tracteur qui pète le fioul" et un développement durable dont il n'oublie pas de sourire, en coin.