C’est le retour le plus étonnant du rap français : quelques jours après son cinquantième anniversaire, Kool Shen revient avec un troisième album solo, Sur le fil du rasoir. Rencontre avec celui qui fut pendant dix ans la moitié du groupe NTM.
Après un Dernier Round introductif en 2004 très bien accueilli par la critique et le public, c’est un euphémisme de dire que son successeur de 2009, Crise de conscience, a moins convaincu : boudé par la presse, ignoré par les fans, ce disque dispensable aurait pu être le dernier. Après tout, Bruno Lopès (son vrai nom) n’était-il pas reconverti dans le poker et le cinéma ? D’ailleurs, on va bientôt le voir sur le grand écran dans Réparer Les Vivants de la réalisatrice Katell Quillévéré aux côtés de Tahar Rahim et Emmanuelle Seigner (possible sélection cannoise).
Mais on ne lâche pas une passion trentenaire d’un revers de main : Kool Shen a travaillé et livre un album intense, à la fois moderne dans le son et à l’ancienne dans les textes (qui, à part lui, pourrait écrire un rap narratif comme Edgar, qui sonne comme un écho hardcore du Armand est mort de MC Solaar en 1991 ?). On retrouve Bruno quelques jours avant la sortie, détendu et souriant, prêt à évoquer tous les sujets, de l’impossible retour de NTM aux tournois de poker en passant par l’écriture rapologique.
RFI Musique : Que s’est-il passé entre Crise de conscience et Sur le fil du rasoir ?
Kool Shen : J’ai croisé le poker. Je suis fan des cartes depuis tout petit. J’ai vu les premières diffusions du World Poker Tour commentées par Patrick Bruel. J’ai appris les règles et un jour, je suis entré dans un casino. Ça m’a plu, on m’a dit que je pouvais jouer online et j’ai pratiqué très longtemps, à haute dose et à haute fréquence. J’ai gagné deux gros tournois dans ma carrière. À un moment, j’étais quasiment le meilleur joueur français. Ça reste un milieu très compliqué sans sponsor.
Plus compliqué que le rap ?
Ça peut être dangereux. Il y a une part de hasard : tu peux être le meilleur joueur du monde et te faire défoncer par un Olivier Cachin qui n’a jamais joué ! C’est aussi pour ça qu’il y a plein d’amateurs, il y a le rêve. Au tennis, tu as peu de chances de battre Federer. Au poker, tu peux battre le champion. Pendant ce temps-là, j’étais plus proche du cinéma parce qu’on me proposait des rôles, et je n’écoutais quasiment pas de rap.
Quand les gens vous parlent de rap, évoquent-ils beaucoup NTM ?
Aujourd’hui encore, quand Joey ou moi croisons des gens, les questions sont : "Ça va ?" et "Quand est-ce que vous remontez sur scène ou que vous faites un autre album ?" Toujours. Mais artistiquement parlant, on est très éloignés et ça serait compliqué de se retrouver autour d’une table pour parler de la même chose sur des prods qui nous correspondraient à tous les deux. Le dernier album de Joey, que je n’ai pas entendu en entier, c’est loin de ce que je fais. Je pense que le cinquième album de NTM n’existera jamais.
Vous qui étiez très centré sur le rap du 9-3, on voit des ouvertures sur ce nouvel album : des feats avec Lino, Soprano…
Et on tourne un clip à Marseille ! À l’époque on avait notre truc à faire, et on estimait que le hip hop était une compétition. Aujourd’hui, on fait de la musique, il y a des gens talentueux, donc tant qu’à faire…
Vous la jouiez bien Beatles/Rolling Stones avec IAM…
On ne l’a pas fait exprès… Ça vous a plu aussi ! (rires) C’est un peu honteux à dire, mais les clashs de maintenant, quand je tombe dessus sur les réseaux sociaux, je regarde et ça me fait rire. C’est dur de vendre des disques de rap !
Le clip de Faudra s'habituer avec Jeff Le Nerf a été tourné dans une cité de Clichy-sous-Bois…
J’ai 50 ans, je suis resté en cité 38 ans, jusqu’à la naissance de mon fils. Donc ceux qui pourraient se demander pourquoi je fais une vidéo dans une cité et qui ont 24 ans, on verra à quel âge ils vont en partir. Je n’ai pas de problème avec ça, je marche toujours dans ma cité de Saint-Denis à n’importe quelle heure, sans souci.
Votre écriture a-t-elle changé ?
J’ai toujours été laborieux et maintenant, ça va plus vite, voire très vite. Pour Debout, on devait rendre l’album un lundi à 8 heures. Le jeudi soir, j’appelle Jeff et je lui dis que j’ai envie d’écrire un autre morceau, je lui demande une prod, il m’en envoie une de Mani Deiz, elle me plait. Le vendredi j’écris, jusqu’au samedi 5 heures du mat. À 13 heures, je suis au studio, à 17 heures j’ai posé. Le dimanche matin, le titre est au mix. Le dimanche soir, on mastérise et il est envoyé le lundi matin. Avant, je n’aurais jamais pu faire ça. Déclassé, le morceau où j’explique mon retour, a aussi été fait d’une traite. Quand tu fais du rap, il faut t’expliquer : pourquoi tu fais un morceau trop dur ou trop mou, pourquoi tu reviens, pourquoi tu t’arrêtes… C’est IAM qui parlait des "petits juges de l’underground". On est très observés quand on fait du rap.
Kool Shen Sur Le Fil Du Rasoir (Def Jam/Universal Music) 2016
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