Les vibrations "électro-bio" de Seheno
Conçu au gré de ses voyages sur son île, à Madagascar, mais aussi en Europe et en Inde, le deuxième album de la chanteuse Seheno, intitulé Hazo Kely, sort la musique de la Grande Île de son cadre habituel en tentant des rapprochements inédits.
Entre Madagascar et l’Islande, il y a peut-être près de onze mille kilomètres, mais si Björk avait une petite sœur sous les tropiques, il se pourrait que ce soit Seheno. Difficile, à l’écoute du nouvel album de la chanteuse malgache, de ne pas entendre une parenté artistique entre ces deux femmes : dans leurs univers, la voix sert à des fins similaires sinon identiques. Entre beauté et simplicité, elle circule dans un espace sonore à la fois électro et organique : là où la star de Reykjavik aime faire intervenir des instruments à cordes, l’auteur de Hazo Kely laisse les tablas poser leurs empreintes si vivantes sur la matière musicale.
Mais le parallèle va même plus loin entre ces deux insulaires, venues de terres où la nature fascine, car elles se distinguent aussi par leur forte implication dans la protection de l’environnement, chacune menant à son échelle des actions en ce domaine. Pour la Malgache, dépositaire de la marque Green My Music, cela passe entre autres par l’utilisation de polycarbonate recyclé pour fabriquer son CD et de matières recyclables pour le boitier de l’album. Une façon d’être, jusque dans le détail, en cohérence avec ses convictions. Elle n’a pas été élevée dans une communauté hippie, contrairement à Björk, mais la proximité dans la réflexion est bien là, s’entend dans ses propos. Comme lorsqu’elle explique, sur un site de financement participatif qui a permis de trouver les fonds pour terminer ce nouveau disque, avoir "grandi dans cette atmosphère où la musique ne se consommait pas, elle se vit et se partage".
Guidée par les voyages
Étrangement, et même si rien ne le laissait vraiment présager sur Ka, paru en 2008, qu’un parfum indien se dégage d’Hazo Kely ne constitue pas une totale surprise (le premier album de Björk, en 1977, ne commençait-il pas au son du sitar ?). Presque une évidence, plutôt. Et pas seulement parce que Seheno travaille en binôme avec le réputé percussionniste franco-indien Prabhu Edouard – déjà son complice sur le précédent disque –, entendu aussi bien avec Magic Malik, que Souad Massi ou Jordi Savall. La chanteuse s’est laissée guidée par les "atmosphères" ressenties au cours de ses voyages, notamment celui qui l’a conduite fin 2011 à Auroville, cité utopique créée en 1968 et située au sud-est de l’Inde à quelques kilomètres de Pondichéry. Typhoo fait référence au cyclone Thane, qui s’est alors abattu sur la région. "La nuit où nous étions dans l’œil du cyclone, c’était impressionnant. D’abord, ce silence inimaginable qui annonçait le vent. Et quand le vent est arrivé, j’entendais juste le son des arbres qui tombaient un à un. J’étais scotchée, de peur, et de révérence par rapport à la nature", se souvient-elle.
Son attirance pour la culture indienne, depuis de nombreuses années, l’a amenée à être initiée au dhrupad, un style vocal très ancien. "Une forme de contemplation", considère-t-elle. Le premier contact, lors d’un concert où elle avait suivi des amis, n’avait pas été synonyme de coup de foudre : "Au départ, je trouvais ça très spécial. Très lent. Très long. Et en même temps, il y a quelque chose qui m’interpellait." C’est par le biais du kathak, une danse indienne, que, "de fil en aiguille", elle y est revenue quelques années plus tard. Seheno n’a jamais limité son regard artistique à une seule discipline. Sans doute est-ce une partie de l’héritage de Ny Railovy, le groupe dont son père aujourd’hui octogénaire est l’un des membres fondateurs. De la variété locale, typique des hauts plateaux malgaches, mais qui s’inscrivait dans une tradition dépassant le simple cadre du chant : le répertoire est à la fois poésie, danse, théâtre. Pour les représentations, c’est une troupe d’une cinquantaine de personnes qui prend la route !
L’éclectisme au rendez-vous
L’éclectisme est aussi de mise sur le tourne-disque familial, dans la maison où la jeune fille passe son enfance, à Antananarivo. "Mon père avait autant de vinyles de Tino Rossi que d’Otis Redding", fait-elle remarquer. La variété a bien failli la rattraper quand elle est arrivée en France à 19 ans, dans les années 1990, mais elle s’est soudain rappelé qu’elle avait d’autres envies : elle s’intéresse aux percussions brésiliennes, pratique la batucada, accompagne comme choriste le Mahorais Mikidache ou encore le Congolais Rido Bayonne… De quoi nourrir son expérience avant de se mettre à explorer son propre univers, comme elle le fait davantage sur Hazo Kely, sans pour autant rompre les liens musicaux avec la terre de ses ancêtres : la caution vient cette fois de son compatriote D’Gary, guitariste fascinant qui a longtemps été l’un des ambassadeurs de la Grande Île les plus actifs sur les scènes internationales avec son jeu atypique en open tuning avant de tomber dans l’oubli. L’occasion de mesurer ce qui a changé entre cette époque et aujourd’hui : il n’est plus nécessaire de (re)présenter Madagascar à travers le prisme de l’exotisme, avec ses éventuels relents néocolonialistes. Seheno l’a compris.
Seheno Hazo Kely (LokAnga) 2016
Site officiel de Seheno
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En concert le 7 avril aux Trois Baudets