Couleurs tropicales, la compilation au diapason
L'anniversaire méritait bien une compilation : pour accompagner les 20 ans de l'émission Couleurs Tropicales sur RFI, son animateur et producteur Claudy Siar a sélectionné 60 chansons, entre Afrique, Antilles et océan Indien, du zouk au rap en passant par le makossa. Présentation de quelques-uns de ces titres par cet inlassable ambassadeur de la "génération consciente".
New Bell de Manu Dibango, le titre le plus ancien de la compilation …
Claudy Siar : Bien des compositions d'autres artistes n'ont pas cette qualité-là alors que ce titre date de 1972. La production en elle-même est exceptionnelle. C'est une chanson qui me rappelle mon enfance puisque mes grands frères écoutaient Manu Dibango. Ils étaient fans de funk et pour eux, ce titre-là était du funk africain. Enfant, j'ai toujours aimé ce morceau, rêvé, puis ambitionné de rencontrer Manu Dibango. Lorsque ça a été le cas, dans les années 80, je l'ai rencontré comme un fan rencontre son artiste préféré. Pour moi, dans son répertoire, New Bell est probablement la composition qui fait le lien entre l'Afrique et ses diasporas, entre l'Afrique et le reste du monde. Et voilà pourquoi cette chanson se retrouve sur la compilation. Il y a à la fois toute l'africanité, et aussi toute la technique occidentale au niveau de la musique, une énergie extraordinaire, positive, qui est celle de l'Afrique de ces années 70.
Toi du jeune Réunionais Isnel :
On parle beaucoup de métissage, que ce soit ethnique, mais surtout culturel. Car pour moi, le plus grand des métissages, le meilleur et le plus approprié pour construire un monde plus juste, c'est le métissage culturel. Parce que c'est vraiment l'acceptation de l'autre, de l'identité de l'autre. Isnel symbolise bien cette nouvelle génération : parce qu'il est réunionnais, il a tout ce mélange ethnique et tout ce mélange culturel, musicalement parlant. On sent dans sa manière de chanter quelque chose qui relève d'une forme d'expression très maloya, tandis que d'un autre côté, il est r'n'b, lover... Tout ce que j'aime.
Icolé du regretté chanteur gabonais Oliver N'Goma :
L'histoire de l'afro-zouk, c'est mon histoire. La première fois que j'entends ce titre, sur un vinyle échantillon, c'est avec Manu Lima (artiste capverdien, ndlr), dans un magasin antillais. À la fin des années 80, le zouk était une musique transversale : beaucoup d'artistes d'Afrique rêvaient des Antilles, faisaient une musique à la fois proche des Antillais, mais aussi résolument africaine. Donc, je découvre ce chanteur qui travaille à la télé gabonaise et je suis le premier à diffuser Oliver N'Goma. Dans ma réalité et ma logique militante de rapprocher l'Afrique et ses diasporas, voilà un artiste et une définition du zouk qui ajoutent à ce besoin de jeter des ponts, de créer des liens solides et de réparer les blessures de l'histoire. C'est ça la force de l'afro-zouk. Kassav' est devenu ce qu'il est parce qu'il a été accepté par l'Afrique. Et en étant accepté par l'Afrique, il est devenu un groupe international.
Premier Gaou de Magic System, un groupe qui occupe une place particulière dans l'histoire de l'émission :
On est en octobre 1999. On s'apprête à faire un spectacle exclusivement zouk au centre culturel français d'Abidjan. Il y a Jocelyne Labylle, Leila Chicot, Thierry Cham... Je suis sur le plateau de la RTI (Radio Télévision ivoirienne, ndlr), et un gars débarque, me dit que son groupe vient de sortir une cassette et que si des gens comme moi ne leur donnent pas le coup de pouce, ce sera "gâté". C'est Asalfo qui me parle. Il me dit qu'avec ses copains, ils font du zouglou et qu'ils aimeraient bien jouer en première partie. Dans la voiture, je mets Premier Gaou, qui ouvre l'album. Et là, je suis gaou moi-même. En homme de radio, je trouve ce titre exceptionnel. C'est évident, c'est un tube. On les fait passer en première partie et le public découvre, applaudit et redemande ! Lorsque je rentre à Paris le lundi, je diffuse la chanson tous les deux jours, ce que je n'avais jamais fait. J'ai des appels de partout ! On me demande les coordonnées de Magic System pour commercialiser l'œuvre en France, et c'est ce que je fais. Beaucoup de gens pensent qu'il y a des liens de business entre nous, mais pas du tout. C'est juste une rencontre et un lien qui est devenu affectif. D'ailleurs, lorsque ma mère décède en 2001, l'album qu'ils sortent la même année lui est dédié alors qu'ils ne l'ont jamais rencontrée. Pour venir chanter aux 20 ans de Couleurs tropicales, ils ont même annulé une date de leur spectacle !
J'ai envie de dire que JP Manova est un peu mon double. Il est afro-caribéen et pour lui, "Il est important que l'Afrique soit forte. Tous pour un même but, voilà notre force", pour paraphraser Tonton David. Il sait que des hommes, sur ce continent, se sont levés pour donner de la dignité à ces peuples au sortir de la colonisation. La première fois que j'ai écouté Sankara, j'ai eu le sentiment qu'il avait trouvé les mots que j'aurais aimé trouver pour faire un titre. J'aime cet artiste, j'aime son univers, j'aime ce qu'il est, ce qu'il dit, la façon dont il le dit. J'aime son flow, et qu'il soit sur la compilation était pour moi quelque chose de normal.
Dodo na Mbi du groupe de salsa Congoléro :
L'idée de cette compilation est de mettre au-devant de la scène des artistes qui n'ont pas le succès qu'ils méritent, mais qui, pour nous, sont suffisamment présents pour figurer sur la compilation des 20 ans de Couleurs tropicales. Congoléro en fait partie. C'est une compilation avec de véritables icônes, des artistes qui font le buzz, mais je voulais aussi que ce soit une compilation de découvertes : Biz Ice, rappeur puissant du Congo pas encore suffisamment connu à l'international ; Sosey, au carrefour de nombreuses musiques, et pourtant avec cet artiste du Congo-Brazza, c'est bien le cœur de l'Afrique qui bat ; ou encore Sinké, avec le titre Ewo qui parle justement d'honorer nos héros – la génération consciente dans toute sa dimension.
