L’étoile au Paradis

Ces dernières années, on avait oublié combien Gloria Lasso connut une gloire immense en France dans les années 50. On ne la célébrait – ou la brocardait - plus que comme le parangon d’un exotisme de pacotille et d’un romantisme sucré à l’excès. Icône kitsch, elle comptait parmi les égéries d’une communauté gay avide de personnages féminins décalés ou réappropriés au second degré, d’Annie Cordy à Chantal Goya, sans oublier bien sûr la grande rivale de Gloria Lasso, cette Dalida dont l’ascension jeta sur elle une ombre.

La chanteuse espagnole Gloria Lasso est morte au Mexique à l’âge de 83 ans

Ces dernières années, on avait oublié combien Gloria Lasso connut une gloire immense en France dans les années 50. On ne la célébrait – ou la brocardait - plus que comme le parangon d’un exotisme de pacotille et d’un romantisme sucré à l’excès. Icône kitsch, elle comptait parmi les égéries d’une communauté gay avide de personnages féminins décalés ou réappropriés au second degré, d’Annie Cordy à Chantal Goya, sans oublier bien sûr la grande rivale de Gloria Lasso, cette Dalida dont l’ascension jeta sur elle une ombre.

      La vie de Gloria Lasso commence le 25 novembre 1922 à Barcelone. Elle ne connaît pas sa mère, est élevée par la seconde femme de son père, instituteur. Plus tard, elle racontera qu’il était gangster ou l’obligeait à mendier, qu’elle a mangé du rat pendant la guerre d’Espagne, qu’elle a connu mille avanies des hommes avant que d’être femme... Toujours est-il qu’elle a à peine vingt ans lorsqu’elle débute à la radio comme présentatrice. Une vedette venant chanter en direct fait défection : comme elle connaît tout son répertoire, elle la remplace au micro. La voici chanteuse. Robes décolletées, premier mari (un sous-officier de carrière, "parfaitement minable", comme elle dira plus tard, mais qui lui fait trois enfants) et impatience dans une Espagne corsetée dans ses censures et ses conservatismes. En 1954, elle débarque à Paris. Francis Lopez, qui règne alors sur l’opérette, s’improvise son protecteur.

Elle marche sur les plates-bandes de Rina Ketty, l’impératrice de la roucoulade "typique". D’origine italienne, celle-ci est l’aînée de Gloria Lasso et a enregistré nombre de tubes énormes, dont Sombreros et mantilles avant-guerre et surtout J’attendrai, chanson symbole de la "Drôle de guerre". Premiers succès pour Gloria Lasso : Hola que tal en 1954, Amour, castagnettes et tango en 1955... Car elle a aussi pour protecteur Lucien Morisse, le directeur musical de la nouvelle station Europe n°1. C’est avec elle que la radio invente la technique du "matraquage", qui consiste à passer et repasser, plusieurs fois par jour, la même chanson – ce qu’aucune radio alors ne pratique.

Elle se voit confier Etranger au paradis, adaptation par Francis Blanche d’une mélodie de Borodine (le fantaisiste n’a pas écrit que des chansons comiques : il a donné ainsi Le Prisonnier de la tour à Edith Piaf). "Perdu dans le pays bleu/Etranger au paradis/Et je sais qu'en chemin/Le danger dans un paradis/C'est de rencontrer un ange/Et qu'il vous sourie" : le charme de l’accent, le romantisme échevelé des arrangements, la douceur du ton, le "matraquage" d’Europe n°1 font d’Etranger au paradis un des plus grands succès de l’époque. Avec plus d’un million d’exemplaires vendus du 45-tours (un des premiers succès de masse du nouveau format de disques), elle pourrait croire sa position assise définitivement.

En effet, elle va aligner pendant encore quatre ans des tubes aux saveurs exotiques : La Cueillette du coton, Toi mon démon, Buenas noches mi amor, Bon voyage, Sois pas fâché, Muchas gracias, Si tu reviens un jour... Mais Lucien Morisse a changé de protégée. En 1957, il a pesé de tout son poids auprès des éditeurs de l’adaptation d’une superbe chanson italienne pour que ce soit la jeune Dalida, encore inconnue, qui l’enregistre, plutôt que Gloria Lasso. Bambino sera un succès encore plus écrasant qu’Etranger au paradis. Un temps, les médias et le public vont s’amuser de la concurrence des deux chanteuses, qui interprètent parfois les mêmes chansons. Mais, au début des années 60, alors que Dalida passe au twist et au rock’n’roll, Gloria Lasso s’en tient à son répertoire habituel.

 

 Elle sera d’autant plus facilement distancée, sur la durée, qu’elle quitte la France en 1962, en partie pour cause de litige avec le fisc, en partie en raison de déboires sentimentaux. Car la grande affaire de la presse people, ce sont les maris de Gloria, brune pulpeuse qui ne cache pas son goût du bonheur. Elle en revendiquera neuf, avant d’avouer il y a quelques années qu’elle ne s’était mariée que (!) six fois. Ses divorces sont évidemment spectaculaires : elle injurie copieusement ses ex par voie de presse, elle prend un jour l’avion avec un revolver pour abattre son époux, elle clame les bonheurs d’avoir un mari plus jeune qu’elle...

Installée au Mexique, elle poursuit une carrière tranquille dans sa langue natale. Elle avait ainsi donné son dernier récital il y a quelques semaines. Depuis son départ, elle reparaît sporadiquement en France pour des "retours" sans grand lendemain : une dizaine d’albums qui peinent à trouver leur public, l’Olympia en 1985, une version espagnole de Marcia Baïla des Rita Mitsouko... Mais elle garde ses fidèles, que la nouvelle de sa mort consterne. Ainsi, lundi matin, Amanda Lear parlait d’elle comme d’une "provocatrice née, une chanteuse à voix, si loin de ces chanteuses sans saveur et sans personnalité d'aujourd'hui." Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, a lui-même trouvé des accents particulièrement émus pour son rituel communiqué d’hommage : "En nous quittant aujourd’hui, Gloria Lasso nous laisse profondément tristes et nostalgiques (...) Elle nous laisse un magnifique exemple de courage et l’image d’une femme qui a su célébrer la vie Con amor."