Le groove de Roland Brival

Jazz Trans-Atlantique

Plasticien, romancier et musicien, le Martiniquais Roland Brival a plus d’une corde a son arc. En concert samedi 13 janvier au New Morning à Paris, il a revisité l’album Kayam, sorti en mai dernier, et proposé une version plus jazz/funk de certains morceaux de Waka, son précédent opus.


Samedi soir, 20h. Roland Brival termine ses balances tandis que, devant le New Morning, un attroupement se forme pour bientôt devenir une foule qui s’interroge : le concert a-t-il déjà commencé ?

Les uns restent sous le charme de l’album Kayam (sorti en mai 2006), les autres sous celui de Waka (sorti en 2003), plus funky et moins jazz. Mais des lecteurs de Biguine Blues ou de sont aussi dans la salle. Roland Brival, romancier, plasticien et… musicien donc, ratisse large et voit loin.

Identité métisse

Roland Brival arrive sur scène, en sextet, entouré des musiciens de l’album  Kayam, une formation aussi enthousiaste qu’enthousiasmante. Le jazzman martiniquais, ravi de se retrouver sur la scène du New Morning pour faire revivre les morceaux de son dernier album, s’en donne à cœur joie, avec en ouverture Damballa, Mandé yo et Dans les rues de Harlem.  Le ton est donné, résolument jazz. Brival aime se promener entre les genres, les instruments et les couleurs musicales. Sur l’album Kayam, il lorgnait du côté des big band américains, marqué à vie par quelques années new yorkaises aux confins des années 1970. La rencontre avec la musique black américaine est de ces moments qu’on oublie pas. 

Artiste à part entière, mais surtout humain à plein temps (comme il aime à le rappeler), il cherche dans toutes ses multiples activités le moyen d’explorer les portes de son univers et d’en faire partager l’essence. "Là d’où je viens, la culture est d’abord populaire et on trouve des livres à vendre sur les étals des marchés, à côté des fruits et légumes. Ecrire, peindre, jouer de la musique est normal. Car finalement, tout le monde peut avoir ces capacités là…" La vie de Roland Brival, partagée entre la Martinique, la région parisienne et les Etats-Unis, conserve l’identité métisse de ceux qui ont vu du pays.

Et si ce soir, nous sommes en terre de France, lui continue le voyage. Il prend le public par la main, donne de la voix, écoute ses musiciens, pousse tout ce petit monde dans un paquebot. Et hop, on traverse l’Atlantique ! Pour Roland Brival, les Antilles sont le chaînon manquant entre l’Europe et les Etats-Unis. Biberonné à Otis Redding et James Brown, il retient pourtant de sa Martinique natale le chant comme art primordial et met le tambour, le rythme, au centre de tout. Sa musique raconte la vie, l’amour… Elle se raconte surtout, entre créole, anglais et français. La langue comme héritage, la langue comme terrain de jeux.

Pas d'entracte

Les organisateurs du New Morning avaient pensé la salle en cabaret intimiste : lumière tamisée, tables éparses devant la scène et large espace pour danser… Mais le public, très jazz, se manifeste surtout après un solo de trompette, de tablas ou de piano. Les musiciens de l’ Electro Deluxe, récompensés par le prix Talent Jazz Electro de l’Adami en 2006, sont tous jeunes, audacieux et brillants. Chacun part dans des solos virtuoses et les morceaux de Kayam, mais aussi de Waka - l’album précédent, à la touche plus funky -, prennent des couleurs jazz, funk, rock ou même électro. Le tabliste Stéphane Edouard, le trompettiste Guillaume Poncellet et le bassiste Jérémie Coke donnent assurément de l’ampleur à ce show.

Roland Brival, en sus de ses multiples activités, ne serait-il pas un peu comédien? Sur scène, il devient un personnage. Ce showman séducteur, pour qui "la musique n’a pas de frontières", force un peu sur sa voix, en joue, tend parfois au cliché mais reste sympathique. Joué en un seul set, le concert de Roland Brival ne se soumet pas à l’habitude du New Morning qui veut que les musiciens prennent une longue pause au milieu du concert. Il prévoit par contre un interlude… Appelant un pianiste ami de longue date, Georges Edouard Nouel. Les musiciens s’éclipsent de la scène et laissent place au duo piano/voix, pour quelques morceaux. Joli moment suspendu dans le temps.

Les musiciens reviennent ensuite sur scène, le concert balance vers l’album précédent et devient résolument funky. Le public, lui, hésite : qui commencera à danser ? Finalement, les musiciens exhortent à frapper dans les mains, à se lever, à bouger un peu. Mission accomplie ! Ça groove bien, monsieur Brival.

Roland Brival Kayam (Such Productions) 2006

Eglantine Chabasseur