Youssou N'Dour

Tout a été dit ou presque sur la star sénégalaise ces derniers temps. A l'occasion de la sortie de son dernier album international, "Joko" From Village To Town (Small/Sony), on a laissé couler l'encre en abondance sur ses qualités d'homme d'affaires avisé, sur son empire culturo-financier au Sénégal, sur ses multiples projets d'expansion. Une réaction des médias qui tend parfois à faire oublier, avec beaucoup d'ambiguïté, que Youssou N'Dour est d'abord un artiste au talent indiscutable.

Ou l'Afrique moderne du showbiz international !

Tout a été dit ou presque sur la star sénégalaise ces derniers temps. A l'occasion de la sortie de son dernier album international, "Joko" From Village To Town (Small/Sony), on a laissé couler l'encre en abondance sur ses qualités d'homme d'affaires avisé, sur son empire culturo-financier au Sénégal, sur ses multiples projets d'expansion. Une réaction des médias qui tend parfois à faire oublier, avec beaucoup d'ambiguïté, que Youssou N'Dour est d'abord un artiste au talent indiscutable.

Il est encore jeune, beau gosse et riche. Voilà pour le côté people. Côté cour, il est l'homme d'affaire du moment dans le business de l'Afrique culturelle. Il est ambitieux, inventif et ne s'endort jamais sur ses lauriers. Malgré sa discrétion, on le montre en exemple. Un club où se produisent de jeunes talents sur Dakar (le Thiossane), une galerie d'art, un groupe de communication (un quotidien, une radio et de nombreux autres projets en perspective), un studio d'enregistrement (Xippi), un label (Jololi)… L'empire Youssou N'Dour au Sénégal déstabilise ses détracteurs. Le griot le plus courtisé du show-biz international investit tout son argent dans une forme de management de la création assez inattendue de la part du Continent noir et dans le but "que les générations futures ne connaissent pas le manque d'infrastructures, le vide que j'ai rencontré à mes débuts". Selon d'autres, pour mieux asseoir sa popularité afin de se garantir une meilleure retraite. L'un n'empêche pas l'autre.

Au milieu, se trouve un artiste au talent incontournable qui a la grâce d'un futur présidentiable dans son pays et qui fait se précipiter des milliers et des milliers de fans chez les disquaires des contrées du Nord et du Sud. On l'envie, on l'adore, on s'interroge sur les secrets de son succès. Lui… est resté modeste, jovial et charmeur. Il n'oublie pas les ruelles de la médina de Dakar d'où est partie son aventure. Il aime à louer les qualités de ceux qui l'entourent. Son équipe, sa famille, ses amis, sans qui, affirme-t-il, il ne serait pas ce qu'il est. Il demeure surtout lucide, malgré la chance qu'il a eue, et tient à "ne pas péter les plombs". Youssou N'Dour vient de sortir "Joko", son dernier album international, six années après "Wommat". Une fabuleuse épopée musicale racontant à demi-mot l'espoir futur et le parcours d'un enfant terrible vers la modernité d'une Afrique qui revendique pleinement sa place dans la jungle urbaine du "global village". Un des meilleurs projets de vie que puisse aujourd'hui s'imposer un acteur culturel de cette ampleur. Nous lui avons posé quelques questions lors d'un récent passage en France.

Il y a un paradoxe chez vous. Chaque année, vous sortez une cassette sur le marché d'Afrique de l'Ouest, qui correspond à une attente bien déterminée du public dans cette région. Tous les cinq/six ans, vous signez un album qui correspond aux canons du marché international… Est-ce qu'il n'y a pas le risque de perdre en authenticité ?
Je suis content d'avoir ces deux possibilités-là. J'ai découvert le monde, j'ai rencontré des sonorités, des choses qui m'ont vraiment intéressé. Je suis parvenu en quelques années à écrire des mélodies qui peuvent être universelles. En même temps, j'ai aussi cette possibilité qui vient de ma famille, de mes racines… d'être un griot né. Ces opportunités sont là. Je les prends. Je suis capable d'écrire une mélodie qui passe sur la bande FM ici [à Paris] et je suis capable d'écrire une mélodie qui passe sur la bande FM au Sénégal.

Vous n'avez pas peur de jouer à l'équilibriste, de vouloir plaire à ceux-là, de vouloir ménager ces autres, de tabler sur tous les publics, au risque de tomber dans le piège du commercial ?
Les gens ont une certaine image de la musique africaine. Mais cette image n'est pas la seule possible. L'Afrique n'est pas seulement la forêt. L'Afrique n'est pas seulement exotique. L'Afrique est moderne. Les villes comme Dakar, Kinshasa ou Abidjan sont modernes. Les gens [là-bas] aiment les choses modernes aussi. C'est cette image-là que je montre. C'est beaucoup plus original en plus. De toute manière, si je me mets à chanter en anglais, il y aura toujours l'accent, il y aura toujours la réalité même de nos langues. Et tout ça, c'est magnifique. Donc je me considère comme quelqu'un qui a dépassé complètement le fait de plaire ou de déplaire à telle personne. Je suis capable de réaliser mes disques seul. Je suis capable de faire ce que j'ai envie de faire. Je suis dans cette vibe-là.

En fait, lorsque vous sortez un album international, on a l'impression que vos compositions se rapprochent de plus en plus de certains standards de la pop music. Vos collaborations avec des gens comme Neneh Cherry ou Wycleef des Fugees laissent même perplexe. Est-ce vraiment le besoin de se confronter avec l'autre pour vous enrichir qui vous guide ou bien est-ce une envie liée uniquement au buzz commercial qui pourrait s'ensuivre ?
Une rencontre ne va jamais dans une seule direction. Vous amenez quelque chose à l'autre personne et vous lui prenez quelque chose. C'est évident. Et je trouve que le monde a besoin de ça, surtout dans le secteur de la musique. Les mélanges sont magnifiques. Je suis formel là-dessus. C'est ce qu'on a compris, nous les artistes et c'est pour cela qu'on est allé un peu plus loin. Vous savez… On parle ici (en Europe) de Peter Gabriel et de Youssou N'Dour. Mais moi, je suis très content que Peter Gabriel soit connu au Sénégal, en Afrique. Il peut aller y jouer en concert. Ce qu'il a fait pour moi, aux Etats-Unis, en Angleterre ou en France, je l'ai fait aussi pour lui en Afrique.

Ce nouvel album qui sort six ans après "Wommat" (The Guide) se présente comment ?

On y trouve des morceaux déjà sortis il y a trois ans au Sénégal, qui ont été refaits. On y trouve beaucoup de nouveaux morceaux. Mais c'est un album qui s'appelle "Joko". Joko, c'est le trait d'union entre le village et la ville. C'est tout mon parcours. Là d'où je viens… et là où je suis arrivé avec la rue, l'urbain et tout. C'est un album qui parle de la société, de ma vision du monde, du Sénégal et de l'Afrique. Et comme je le disais, on a deux Afrique(s). L'une est connue, l'autre n'est pas très bien connue. Et c'est l'autre qui est sur l'album. Il y a de l'humour aussi. Il y a aussi des mouvements, même par rapport à l'enregistrement. En écoutant l'album, on se rend compte qu'on est en Afrique puis on se retrouve à New York. Par exemple, une chanson comme "This Dream" sur laquelle Peter Gabriel prête sa voix, a commencé à Londres. Après, je suis parti avec les bandes à Dakar, j'y ai fait quelque chose. Les bandes sont reparties à Bath, dans son studio. Et on entend ce mouvement. Moi, je l'entends, parce que je l'ai vécu. J'espère que les gens vont l'entendre.

Beaucoup de collaborations ?
Sur l'album, il y a Wycleef des Fugees qui a travaillé sur trois titres. Il a fait un duo avec moi et a remixé un titre, a produit un autre titre. Il y a Peter Gabriel et Sting qui ont chanté avec moi. Il y a Johnny $ qui a produit "7 Seconds". Il y a Pierre Bianchi qui a produit "la Cour des Grands"…

Plus que jamais international ?
Absolument. Parce que j'ai cette possibilité, je le fais. Pourquoi un Africain ne peut pas faire des trucs qui sonnent international ? Je veux bien une case. Mais avec de la clim.

Oui mais ce n'est pas évident de jouer entre Dakar et le marché international du disque…
Mais je le fais. Et ça tourne !

Youssou N'Dour Joko (Small/Sony) 2000