Chroniques chanson
Les nouveautés ne cessent d'envahir les bacs des disquaires. Les albums de La Blanche et Marc Gauvin en font partie. Pour celui de Fred, vous pouvez le trouver grace à internet. Revue.
La Blanche, Marc Gauvin, Fred
Les nouveautés ne cessent d'envahir les bacs des disquaires. Les albums de La Blanche et Marc Gauvin en font partie. Pour celui de Fred, vous pouvez le trouver grace à internet. Revue.
La Blanche Michel Rocard (L’immaculée/Nocturne)
Evidemment, il y a tout d’abord cette manchette de Michel Rocard (ndlr : ancien Premier ministre français), qui au-delà du petit mot sincère touché par "la langueur poétique qui anime les morceaux et l’engagement qui les caractérise(…) très honoré que le RMI ait contribué à la réalisation de votre projet" prête son nom à l’album, financé effectivement grâce aux contributions du revenu minimum versé à son chanteur-auteur, Eric la Blanche. Une rencontre inattendue qui a du goût. Un goût qui rappelle quelque chose au tympan, certainement du tricolore, les artistes français excellant dans le registre chanson-française-pop-rock-réaliste, avec une belle rime en triste.
Mais si le fonds de commerce est connu, la forme touche aux plus justes. Des Bashung, Miossec, Hurleurs… on retrouve ce ton grave dans la voix et les sentiments de la Blanche. Le superviseur à l’enregistrement n’est d’ailleurs autre que Gilles Martin, réalisateur pour Miossec, Deus, Dominique A… Depuis deux ans que La Blanche laissait un peu de poudre derrière lui, notamment avec Bart à la pêche aux coquillages, le voilà enfin avec un album auto-produit entier et achevé, consacrant textes ciselés, littéraires et divagants. Une séparation, une relation extra-digitale, le SM, une baignade à la piscine, le tout s’aborde avec sincérité et engagement, détachement et onirisme. Le tout pour l’amour du jeu. Avec la vie, les autres, avec soi et les mots aussi aux détours des saltos de la langue ("mon androïne / pluies torridiennes/ je suis un homme submarine…"). Entre ironie, introspection et ludisme, l’écoute jalonnée de fausses pistes ne s’interdit d’ailleurs aucune liberté. Des violons ici, des envolées funky et technoïdes (La Piscine), les accents bossa (L’ennui) viennent panser les coups de guitares saturées… C’est certainement du côté de ses musiciens hétéroclites qu’il faut y chercher ces influences aux horizons métissés. Dans le même genre mais contrairement à d’autres, La Blanche laisse au loin les écueils monotones et linéaires. Sans complaisance ni dépression, le propos flirte avec l’enfermement venimeux et les tâtonnements salvateurs, porté par une orchestration et des arrangements chiadés. Loin de prôner la mélancolie ascétique, La Blanche flatte l’opulence et la flamboyance de ceux qui partent en beauté. Comme cette magnifique reprise des Canuts d’Aristide Bruant clôturant l’album, le menton haut.
Pascal Bagot
Marc Gauvin Les tam-tams de l’amour (East West) 2003
Après les confidentiels Maline Chloé et La Femme légère, Marc Gauvin signe un troisième album intimiste, Les tam-tams de l’amour, concocté avec des collègues musiciens de Bristol, sa ville d’adoption. Une collection de chansons aussi discrètes que soignées, dont on peut prévoir qu’elles rejoindront plus facilement le rang des disques qui s’écoutent que celui de ceux qui se vendent, mais qui méritent pourtant une attention légitime.
Peu connu du grand public, pour cause de sous-exposition médiatique et d’exil anglais, Marc Gauvin a néanmoins un passif de trois albums, tous nourris aux sons de la perfide Albion ("j’étais là-bas avant de signer dans une maison de disques française"). Parti voilà quelques années pour Bristol en quête de nouveaux horizons musicaux, après un passage par la case conservatoire et plusieurs expériences dans les bars ("pour faire de la musique new-yorkaise…à Quimper!"), le Breton, fauché mais déterminé découvre une ville "riche en musiciens de tous styles. Folk, punk, jazz, mais aussi hip hop, trip hop… hop, hop hop!". De cette anglophilie avérée naîtra une association artistique fructueuse avec Jim Barr (bassiste de Portishead) et Tammy Payne (Smith & Mighty), instrumentistes aux prestigieux états de services, que l’on retrouve au générique des Tam-tams de l’amour, nouvel album affranchi des accents trip hop des débuts.
Malgré ses accointances avérées avec la scène de Bristol, qui a vu éclore ledit mouvement, Gauvin emprunte aujourd’hui plus au Gainsbourg des sixties, pour la finesse des arrangements (voire au classicisme pop des Beatles, pour qui tient absolument à trouver une filiation britannique) qu’à Massive Attack. En mélodiste appliqué, il livre en effet une quinzaine de chansons dont la facture relativement conventionnelle est finalement l’atout majeur. Derrière sa voix chuchotée (qui rappelle parfois le travail de Julien Baer), son dandysme nonchalant et ses faux airs de ne pas y toucher, Gauvin fait ainsi montre d’une sophistication certaine. Ses compositions, alternant légèreté soignée et couplets aigre-doux, ont l’élégance discrète de ces airs que l’on sifflote sans mal. Soit une pop aérienne et apprêtée, soutenue par le verbe habile du bonhomme, qui bricole des scénarios vaguement baroques aux refrains ironiques ("je suis le chewing-gum/ dans sa bouche qui swingue ad libitum/ je suis comme gomme/ mi-homme, mi chewing-gum").
Certes, ces Tam-tams de l’amour ne révolutionneront pas la musique, de même qu’ils ne bouleverseront vraisemblablement pas l’industrie du disque, mais Marc Gauvin, qui considère de toutes façons qu’"au- dessus de 100.000 disques vendus, tout artiste est surestimé", n’aspire rien de moins qu’à continuer à vivre de sa petite entreprise artistique. Et de faire perdurer une certaine idée de l’artisanat -au sens noble du terme- en chanson.
Loïc Bussières.
Fred Fred (Autoproduit) 2003
Avec, pour le moment, une notoriété de joueur de métro parisien, Fred pourrait parfaitement vous taper un Euro à la station Gaîté. Mais son chant de Vaneau n'a rien de Ternes et n'étant pas un Invalides du manche, ce musicien-là devrait voir très vite sa cote grimper en Bourse.
A l'écoute de son premier CD six titres (autoproduit et trouvable sur internet), la première chose qui frappe l'oreille est une belle qualité de jeu, un sens du groove qui suffit à rendre à sa simple guitare folk les lettres de noblesse qui ont fait la gloire de Tété, M ou Alexandre Varlet. Avec le soutien léger d'une pédale d'effet, un jeu qui gîte entre funk et blues, la richesse des accords et la pertinence des tempos enlevés, on tend rapidement l'oreille et, insensiblement, on accroche le rythme. A l'évidence, le bonhomme a du coffre et du répondant. Une malle à genres qui en font un style à lui seul. De sa chanson en provenance de ses périples d'Addis-Abeba avec la chanteuse éthiopienne Zewuditu, N'nikin Nan Yale, en passant par la reprise intense et habitée du rap de NTM A Stop, aucun exercice de style ne lui fait peur.
Mais il ne s'agit pas pour cet Orléanais de 27 ans d'amuser la galerie ou de démontrer l'étendue de son talent. Le sens de ce patchwork musical est de prouver à l'auditoire qu'on est mal barré s'il s'agit d'appliquer le retour, très tendance, à la nature (L'homme bio), d'ironiser sur le sens de nos petits efforts quotidiens pour se persuader que tout ne vas pas si mal : Imbécile heureux. Le peu que l'on sache de ce jeune talent est qu'il est aussi bien influencé par Tricky que par les Asmaris éthiopiens avec lesquels, il semble avoir une affinité née de nombreux voyages à travers le vaste monde. Un monde qu'il n'a pas fini de visiter s'il continue sur cette brillante voie.
Fredéric Garat
Fred Fred Autoproduit / Musicast www.musicast.fr