Cesaria Evora avant la gloire

La sortie inespérée de vingt-deux titres que la diva capverdienne Cesaria Evora, enregistra dans sa prime jeunesse permet à tous ses aficionados de combler un vide et de lever le voile sur le mystère de cette voix que longtemps l’on crut sortie de nulle part, ou presque.

Radio Mindelo, album d'inédits

La sortie inespérée de vingt-deux titres que la diva capverdienne Cesaria Evora, enregistra dans sa prime jeunesse permet à tous ses aficionados de combler un vide et de lever le voile sur le mystère de cette voix que longtemps l’on crut sortie de nulle part, ou presque.

Souvenirs, souvenirs. Tout est parti de Gustavo Albuquerque, ancien ingénieur du son de Radio Barlavento, qui fouilla dans sa mémoire et téléphona à José Da Silva, le fidèle producteur de Cesaria Evora, pour le prévenir de l’existence de séances gravées par la dame au tournant des années 1960, consignées sur bandes et entreposées dans une armoire. On imagine le choc à l’autre bout du fil ! Des lustres qu’il en rêvait : pouvoir documenter les premiers pas de celle qui devint la "diva aux pied-nus" par un miracle dont l’industrie du disque avait encore le secret au siècle précédent. Dans les notes de pochette, José Da Silva ne masque pas sa joie : "Il reste le plaisir de découvrir la voix 'jeune' de Cesaria, où l’on reconnaît le phrasé, les intonations et cette sereine douceur qu’elle a conservés jusqu’aujourd’hui et qui sont l’une des raisons de son succès extraordinaire."

C’est vrai que la jeune femme derrière le micro annonce déjà la débonnaire cinquantenaire qui va truster les récompenses et collectionner les disques certifiés trente-cinq ans plus tard. Cela ne fait pas un pli : les vingt-deux titres enregistrés entre 1959 et 1961 pour Barlavento et Clube, deux radios privées, attestent d’un talent précoce… A l’époque, elle a tout juste vingt ans, mais cela fait déjà plus de cinq ans que celle que l’on surnomme à l’époque Cize chante dans les bars. Elle possède déjà un grain de voix affirmé, comme en témoigne ce document malgré une prise de son pour le moins rudimentaire et des conditions de conservation précaires. Certes, le timbre est moins voilé que désormais, mais il y flotte entre les lignes ce sentiment quasi-surnaturel, cette espèce de mélancolie qui deviendra sa marque de fabrique, la "saudade" qui colle à la peau de ces insulaires, exilés dans cet archipel confetti de l’empire portugais d’alors. 

Un an avant qu’elle entre dans les studios, le séminal compositeur de morna B.Leza était décédé dans des conditions déplorables. C’est à lui que la jeune Cesaria emprunte une partie du répertoire, mais aussi à Morgadinho et surtout au terrible guitariste Gregorio Gonçalves, plus connu sous le sobriquet Ti Goy et présent sur ces bandes magnétiques sorties des oubliettes de l’histoire. "Gustavo qui travaillait à Radio Barlavento m’a demandé si j’aimerais participer à des enregistrements avec Ti Goy, Caraca et d’autres musiciens dont j’ai oublié le nom… Je lui ai dit que j’étais d’accord, qu’il n’avait qu’à organiser ça avec Ti Goy, dont le plus grand plaisir était que j’aille chez lui pour qu’il m’apprenne ses musiques et que je les chante… Nous étions toujours ensemble !", se souvient en 2008 la dame de Mindelo. C’est donc sous l’aura de Ti Goy, dont elle était la protégée et avec qui elle faisait le bonheur des riches portugais amarrés au Cap-Vert, qu’elle va poser sa voix sur des coladeras dont le compositeur métis avait le secret. Plus enlevées et enjouées que les traditionnelles mornas, ces guirlandes de guitares qui fleurent bon le carnaval étaient à la mode.

C’est d’ailleurs l’une des révélations de cet album, dont il faut en outre souligner la qualité éditoriale et le travail iconographique, à hauteur des productions anglo-saxonnes : Cesaria Evora s’y montre sous un jour plus joyeux, même si les textes qu’elle porte restent encrés dans le quotidien du petit peuple et les histoires sentimentales. L’une des autres anecdotes qu’elle rapporte dans le livret est l’origine de son surnom : Diva aux pieds nus. En fait, c’est en se déchaussant lors d’un récital, histoire de se sentir plus à l’aise, que la rumeur naquit ! Rien à avoir avec la misère dans laquelle elle s’enfoncera lorsque ses protecteurs partiront pour Lisbonne et que sa première heure de gloire fut passée, au mitan des années 1960.

Elle reviendra longtemps plus tard, alors qu’entre-temps le Cap-Vert a connu sous indépendance et les modes musicales se sont succédé, la rejetant dans les arrière-salles et les oubliettes de l’histoire officielle. Avant de réenregistrer en 1984, puis de rencontrer José Da Silva. Une légende va renaître, et avec elle un "petit pays" va apparaître sur les cartes du monde entier. "Dix grains perdus dans l’Atlantique", comme le confie Cesaria Evora de sa sensuelle voix. C’est ainsi que commence une autre histoire, alors qu’elle a un demi-siècle. C’est aussi les premières lignes du livre que consacrent Véronique Mortaigne et Pierre René-Worms à cet archipel créole, avec pour guide sa sereine sirène.

 Ecoutez un extrait de

Pour en savoir plus sur Cesaria Evora, consultez sa biographie

Cesaria Evora Radio Mindelo (Lusafrica/BMGSony) 2008
V. Mortaigne, P. René-Worms Cesaria Evora & le Cap-Vert (Ed. Tournon/RFI) 2008