Blue Note fait son festival
Blue Note, c’est une vieille maison, peuplée de jeunes talents. Depuis soixante-cinq ans, le label a enregistré bien des succès. Aujourd’hui, c’est aussi un festival, dont la deuxième édition se déroule à Paris du 5 au 18 avril. Revue des effectifs avec entre autres, une interview de Marc Moulin.
Le mythique label présente ses artistes
Blue Note, c’est une vieille maison, peuplée de jeunes talents. Depuis soixante-cinq ans, le label a enregistré bien des succès. Aujourd’hui, c’est aussi un festival, dont la deuxième édition se déroule à Paris du 5 au 18 avril. Revue des effectifs avec entre autres, une interview de Marc Moulin.
"Le succès de Norah Jones a provoqué un mouvement incroyable de la part des artistes. Ils veulent être là, d’autant plus que le label a une longue histoire. Ce nom signifie beaucoup de choses pour les musiciens, mais il faut qu’ils aient conscience que nos méthodes de travail, notre structure, ne sont pas comparables à celles de la pop". Blue Note reste malgré tous un label de jazz, avant tout un label de qualité. Bruce Lundvall, honoré en janvier 2005 du titre d’homme de l’année par la profession au Midem, le sait bien. Depuis vingt ans qu’il dirige le label, il a redonné ses lettres au fameux slogan "The Finest In Jazz Since 1939", il a réinstallé un état d’esprit, synonyme d’aventures et d’ouverture. "Cela a pris du temps, mais les artistes Blue Note représentent désormais ce qui se fait de mieux dans cette musique". Pour s’en convaincre, il suffit d’égrener les noms au catalogue : Joe Lovano, Wynton Marsalis, Jason Moran, Pat Martino, Greg Osby, Martin Medeski & Wood, Chucho Valdès… Cassandra Wilson, Patricia Barber, Diane Reeves... Sans oublier les nombreux classiques gravés pour la postérité du catalogue. Sans parler des plus crossover Van Morrisson, Anita Baker, Al Green, Norah Jones... La liste est longue.
Dans cette success story, la France n’est pas en reste. L’écurie y compte quelques poulains qui eux aussi tutoient les sommets. Erik Truffaz, Stefano Di Battista, St Germain qui prépare son retour, rejoints cet automne par Michel Legrand qui prépare un album en hommage à Claude Nougaro. Cet éclectisme de façade ne doit pas cacher un vrai amour de la note bleue. Ce que réaffirme la programmation ouverte de la seconde édition du festival, "plus ambitieuse et peut-être moins évidente que l'année dernière", selon Nicolas Pflug, responsable du label en France. "Truffaz, Stefano di Battista et Jason Moran seront de nouveau là. Terence Blanchard et Marc Moulin aussi, et ils se font plutôt rares en concert... Chucho Valdes accompagné de Bebo et de Michel Legrand au Cirque d'Hiver sera évidement un moment phare". On pourra découvrir la Californienne Brisa Roché, chanteuse installée depuis quelques années à Paris qui vient d’enregistrer, et retrouver le trompettiste sarde Paolo Fresu, qui vient lui aussi de signer sur le prestigieux catalogue.
"Nous faisons aussi une soirée spéciale autour du thème Jazz et Cinéma au Drugstore Publicis avec des projections de documents rares. Et enfin, nous rendons un hommage à Claude Nougaro sur la scène du Cirque d'Hiver le dimanche 10 avril avec des grands noms de la chanson française et du jazz : - M, Zazie, Bénabar, Mauranne, Sanseverino, Art Mengo, Aldo Romano, David Linx, etc. Les bénéfices de cette soirée seront reversés à l'association contre le cancer du Professeur Khayat." L’affiche confirme la bonne tenue de Blue Note, et plus globalement la bonne santé du jazz et de la scène dans un marché atteint de sinistrose. Comme note Nicolas Pflug : "Je suis assez optimiste pour l'avenir : il y a une vraie effervescence de nouveaux talents et les jazzmen sont de plus en plus décomplexés et s'ouvrent aux autres genres musicaux. Et surtout, on perçoit un rajeunissement du public, qui confirme que le jazz est dans "l'air du temps", presque "à la mode"." D’ailleurs, Bruce Lundvall voit plus loin pour ce festival, le seul au monde directement affilié à un label : "Grâce à cet événement, nous pouvons aussi réunir tous les représentants de Blue Note dans le monde. C’est un rendez-vous unique, tant en termes artistiques que pour le business interne à la compagnie. En 2006, il est possible que l’on fasse de même à Amsterdam, à Londres... En fait, il s’agirait d’un festival itinérant à la manière des grands rendez-vous rock de l’été aux Etats-Unis."
"De l’éternel recommencement"
Pianiste de jazz, compositeur de musiques de films, producteur d’albums pop, humoriste à ses heures, le Bruxellois Marc Moulin se joue de tous les éclectismes. Plus de 35 ans que ça dure, entre jazz fusion avant-gardiste et electro minimaliste... En 2001, le co-fondateur de Telex a signé un retour gagnant sur Blue Note, avec Top Secret suivi trois ans plus tard de Entertainment, aux lisières de la sphère électronique. Aujourd’hui, il publie Sam’ Suffy, disque mythique paru en 1975 sur Columbia où derrière des titres "potaches", se cachait un trio d’aventuriers d’une soul progressiste. Jamais en reste, le Belge travaille sur l’écriture de deux pièces de théâtre, "une commande, plutôt genre sérieux et une comédie", et annonce la sortie en septembre d'un album d'inédits dont la moitié de reprises de Telex, 20 ans après le dernier album.
Que représente Blue Note dans l'inconscient de tout musicien ? et dans le contexte d'une industrie du disque mal en point ?
C'est complexe. La marque au sens du marketing a une image forte, notamment parce que le nom (l'expression) l'est. Pour prendre les plus prestigieux des autres labels-PME (petites et moyennes entreprises du jazz), ils ont (avaient) un nom moins magique : Prestige, Riverside, Contemporary, Impulse, c'est bien mais ce n'est pas Blue Note. Au-delà, il y a surtout un label où les deux fondateurs (Alfred Lion et Francis Wolf) ont su exprimer leurs fantasmes, leurs idéaux, leur esthétique. Ils ont été très forts dans le développement d'artistes "second couteaux", très importants en jazz (Grant Green, les organistes Jimmy Smith et autres, les Three Sounds, Stanley Turrentine, Kenny Dorham…). Et puis il y a le son Rudy Van Gelder, et les pochettes Reid Miles, bien sûr.
Comment regardez-vous la diversité actuelle de la scène jazz ? Et en quoi l'aviez-vous, comme d'autres, devancée dès les années 70 ?
Je pense que le jazz fait sa synthèse, et surtout la synthèse de ses rôles divers : art, artisanat, divertissement. Mon principal apport est dans le fait d'assumer le volet divertissement - qui n'exclut pas l'expérimentation, au contraire : atteindre un public non-spécifique, non spécialisé. Mon expérience, c'est ce public, autant que ma musique.
Comment vous dresseriez-vous un autoportrait qui puisse refléter l'éclectisme que vous incarnez ?
J'ai un profil d'éternel recommencement; je ne fonctionne jamais sur des acquis, je refuse le système-carrière. Parfois, je vais chercher dans des activités non-musicales, pour atteindre cette expérience de la naïveté, de la fraîcheur. Le multimédia intrigue et déroute aujourd'hui, car on aime ce ou celui qui peut se définir en une phrase simple. Mais c'est mon truc (radio, théâtre, presse, musique...).
Marc Moulin Entertainment (Blue Note) 2004
Marc Moulin Sam' Suffy - 30th anniversary Edition (Blue Note) 2005