DE BARCLAY À BARCLAY

Paris, le 9 Août 2001 - Cocorico ! Pour fêter ses 50 printemps, le label bleu, blanc, rouge, Barclay, sort un luxueux coffret de quatre CDs, retraçant l’épatante épopée d’une maison incroyablement fertile et festive. Un vivarium vivace qui au fil des années s'est penché sur chaque style musical, avec pour seul souci un désir d’excellence exacerbée… à la Claybar !

Monsieur Eddie et tous ses amis

Paris, le 9 Août 2001 - Cocorico ! Pour fêter ses 50 printemps, le label bleu, blanc, rouge, Barclay, sort un luxueux coffret de quatre CDs, retraçant l’épatante épopée d’une maison incroyablement fertile et festive. Un vivarium vivace qui au fil des années s'est penché sur chaque style musical, avec pour seul souci un désir d’excellence exacerbée… à la Claybar !

Dans ces années insouciantes de l’après-guerre, tout semblait possible et Edouard Ruault était bien déterminé à aller jusqu’au bout de son rêve. Avec la Libération, la France avait littéralement succombé au jazz qui s’était répandu dans le sillage des GI’s. Inversement, les Noirs Américains avaient découvert que la vieille Europe ne connaissait pas la ségrégation raciale, à la différence de l’Amérique. Et c’est ainsi que Saint-Germain-des-Prés devint le « home away from home » pour tant et tant de Dieux du jazz.

Entêté par cette musique et cette vision de l’Amérique, Edouard Ruault va se métamorphoser en Eddie Barclay, bien avant que Jean-Philippe Smet ne décide pour les mêmes raisons de devenir Johnny Hallyday. Avec sa seconde femme Nicole, ce fils de cafetier de la gare de Lyon va monter Blue Star, son propre label de jazz dans leur appartement familial du XVIème, dont les pièces se remplissent bientôt de cartons de 78 tours. Et tel Darry Cowl avec son triporteur, Eddie va livrer lui-même ses fragiles galettes chez les disquaires.

En 1950, Blue Star devient ainsi Barclay Records. Le plus Yankee des labels français publie son premier joyau avec le fulgurant On The Sunny Side Of The Street Le saxo star Sidney Bechet, accompagné de son French band, fait rouler le bon temps de ses accents mélancoliques de New Orleans, comme la procession d’un enterrement créole sur Bourbon Street. La presse musicale d’alors comme Jazz News, va bientôt porter au nu ce label de jazz si authentique et pourtant si parigot !

Les virtuoses, à l’image du guitariste Django Reinhardt, du trompettiste Chet Baker ou du violoniste Stéphane Grappelli, seront les premières signatures du label qui compte déjà plus de 200 références. Toujours à l’affût d’innovation made in USA, au tournant des années 60, Eddie par sa jazz connection, cultive des liens privilégiés avec le Nouveau Monde. Ainsi initié par son pote Alan Morrison, un ex-GI devenu rédacteur en chef du magazine Ebony, il sera le premier en France à projeter tout le potentiel de la technique révolutionnaire du microsillon. Celle-ci permettait de graver jusqu’à trente minutes de musique par face sur un support bien plus léger et résistant que le fragile 78 tours. De la même manière, au virage des années 6O le label Barclay sera le premier dans l’Hexagone à investir sur l’enregistrement deux pistes stéréo puis sur le 16 pistes !

Mais la très grande force de Monsieur Eddie, c’est d'avoir toujours su s’entourer des meilleurs. Dès 1959, son talent scout (chercheur de talents) n’est autre que Boris Vian et c’est le flamboyant Quincy Jones qui dirige l’orchestre-maison qui accompagnera les stars Barclay jusqu’au firmament. Henri Salvador, le ricain expatrié Eddie Constantine, le gigantesque Jacques Brel, Léo Ferré, Charles Aznavour, Dalida, Nougaro mais aussi Guy Marchand, Jean Yanne, vont incarner cette seconde époque des flamboyantes années Barclay. Eddie, s’il a déjà un pied à Saint-Tropez, n’est pas encore le nabab d’aujourd’hui. Toujours un contrat type en poche, il arpente inlassablement les loges des cabarets et des night-clubs pour dénicher un talent rare qu’il signe dans la foulée entre 4 et 5 heures du matin. Un contrat souvent largement sablé au champagne millésimé.

Avec l’avènement des yéyés, Barclay prend naturellement la tangente portant au sommet des palmarès, les Franck Alamo, Vince Taylor ou les Chaussettes Noires d’Eddy Mitchell. Il saura également surfer avec art sur les années pop avec Nino Ferrer, Brigitte Bardot, Esther Galil, Robert Charlebois, Diane Dufresne, Pierre Vassiliu, Patrick Juvet, Daniel Balavoine ou Bashung.

Mais après plus de trente ans, comme Gainsbourg sut un jour inventer Gainsbarre, Barclay génère Claybar. C'est l'époque où Eddie, le père fondateur, passe la main au milieu des années 80, au bouillant Philippe Constantin qui n’a pas laissé son nom sur la rondelle centrale, mais à qui cette anthologie de 89 chansons est pourtant justement dédiée. Tintin, pour tous ses amis était un tout autre Pygmalion que l’homme qui entassait ses photos "ego trip jet set" sur les tables du salon de son immense appartement de la rue de Friedland. Chez Pathé-Marconi, il avait déjà signé Higelin, Téléphone et Starshooter au crépuscule des 70’s. Cette fois un sang neuf va très largement abreuver le sillon Barclay avec Stephan Eicher, Bernard Lavilliers, Kent, l’Affaire Louis Trio, Gamine et Noir Désir. Parallèlement à ces carrières de longue haleine, Tintin en corsaire du single développe une politique de tube inédite avec le Chacun fait ce qui lui plaît de Chagrin d’Amour, Luna Parker, Caroline Loeb et sa Ouate, Blanchard et son accordéon.

Mais Philippe Constantin avait un autre amour : celui d’une world music qui avait élu domicile à Paris dans le sillage de la décolonisation. Sa première grande réussite est d’imposer en 87, un griot guinéen, au sommet des classements. Et le Yéké Yéké de Mory Kanté ouvre bien d’autres voies (voix ?). Grâce à ce percutant tam-tam planétaire, Carte de séjour, le groupe de Rachid Taha et Khaled, notre francophonie ouvre encore plus largement son cœur et ses oreilles. Tintin enrôle aussi Ismaël Lo, Wassis Diop, Salif Keita, Angelique Kidjo…

Hélas, au milieu des années 90, il doit lui aussi passer la main pour mener son triste combat contre ce mal qui le dévorait de l’intérieur. Comme Barclay survit à Eddie, le fameux noceur de Saint Trop', Claybar ne cessera jamais de pulser ses rythmes neufs. Ainsi les Toulousains Zebda, les Bretons Little Rabbits ou Denez Prigent viennent rejoindre l’écurie comme le rasta Pierpoljak ou les rappers Diziz la Peste, Lady Laistee et Rocca. Sans oublier les nouveaux héros de la French Touch, Modjo, premier Français à avoir hanté plus de trois semaines d’affilées le top des hit britishs…

Cocorico ! Du rêve "jazzé" américain de Monsieur Eddie aux samples des DJ’s, ce coffret long-box panoramique et franco-supersonique, est avant tout une belle histoire, à vivre comme un incroyable voyage à remonter le temps.

Gérard BAR-DAVID

De Barclay à Barclay (Barclay, 2001)