Nahawa Doumbia, de bon conseil
Il est loin le temps des tournées fleuve, où, pendant 23 soirs par mois, il fallait chanter devant un public différent. Souriante, de retour de Malaisie et pour quelques jours en France, l’inclassable Nahawa Doumbia prend un moment pour revenir sur sa carrière et projeter son regard loin, très loin devant elle.
Inclassable diva
Il est loin le temps des tournées fleuve, où, pendant 23 soirs par mois, il fallait chanter devant un public différent. Souriante, de retour de Malaisie et pour quelques jours en France, l’inclassable Nahawa Doumbia prend un moment pour revenir sur sa carrière et projeter son regard loin, très loin devant elle.
Ce qui surprend d’emblée chez Nahawa Doumbia, c’est la différence entre la voix aérienne de chanteuse et l’autre, grave et rocailleuse, de celle qui répond avec amusement à nos questions.
Nahawa Doumbia, originaire de la région du Wassoulou, au sud Mali, lauréate du prix Découverte RFI en 1981, a mis le didadi, le rythme de sa région au goût du jour, et fut une révélation marquante du festival Africolor. Elle a également été la première "African diva"à être remixée par le DJ Frédéric Galliano et a chanté en acoustique auprès de N’gou Bagayoko, Jean-Philippe Rykiel, ou Moriba Koita. Elle participe depuis 2004 au projet Rythmes de la Parole de Keyvan Chemirani, où Iraniens et Indiens chantent à ses côtés en bambara…Voilà pour faire court, l’éclectique itinéraire musical de la dame… Mais Nahawa tire surtout son aura si particulière au Mali et en Afrique de l’Ouest, de sa posture : femme de conviction, curieuse, audacieuse et engagée.
Briseuse de tabous
Dans ses chansons, Nahawa donne en bambara des "conseils" tirés de sa rude expérience de la vie, ou de ce qu’elle observe dans la société. Très écoutée et dans le même temps décriée (comme c’est souvent le cas en Afrique), Nahawa possède une stature atypique dans le paysage des chanteuses maliennes. La très engagée Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali et amie de Nahawa raconte d’elle simplement "la force de ce qu’elle dit en bambara, la manière dont elle remue les gens lorsqu’elle a compris les enjeux à défendre nous a souvent amené à associer Nahawa à des tournées de sensibilisation pour parler des causes structurelles des migrations africaines par exemple. On a aussi marché ensemble contre les OGM pendant le Forum Social de Bamako. Nahawa était là aussi quand le maire du quartier a voulu nous embêter et nous voler un terrain…".
Nahawa Doumbia est de toutes les luttes, mais elle précise aussi : "Je ne suis pas griote et ne fais pas de politique. Par contre, si quelque chose n’est pas bien, je suis là-bas pour dire la vérité. Je joue partout. Je donne des conseils jusque devant les autorités maliennes. Ils ont peur même". Elle, n’y va en effet pas par quatre chemins. Nahawa met en garde les dirigeants, s’empresse de faire sauter certains tabous, chante des chansons réservées aux hommes ou aux chasseurs Dozo du sud du pays. "On est quand même en démocratie, non ?", s’amuse-t-elle à répéter.
Au début des années 90, le Mali vit des émeutes causées par le régime militaire, Nahawa Doumbia compose alors des morceaux qui seront repris sur tout le territoire. En France, alors que des dizaines de sans-papiers se rassemblent à l’Eglise Saint-Bernard à Paris, elle est en studio et enregistre Yankaw, "les Gens d’ici", une chanson qui invite la diaspora malienne à respecter les lois des pays d’accueil, et les Européens à ne pas bafouer la dignité de ses frères. En octobre dernier, suite aux évènements de Ceuta et Melilla, Nahawa s’est rangée aux côtés d’Aminata Traoré pour lancer La Caravane de la dignité contre les barbelés de l’injustice qui a accueilli sur le tarmac de l’aéroport de Bamako, les Maliens reconduits de force dans leur pays.
Ambitieux projet
Mais parallèlement à ces actions fortes, Nahawa Doumbia réfléchit à un ambitieux projet de disque : "Je suis en train de travailler sur mon prochain album, ça sera toujours avec N’Gou Bagayoko, mais ça va être très différent de tout ce que j’ai pu faire. Avant c’était seulement acoustique, guitare/ chant, là ce sera différent. Il faut toujours chercher de nouvelles couleurs musicales. Il n’y a pas de frontières dans la musique. Je compose à ma façon, je n’écris pas mais je réfléchis comment faire mes chansons… Je fais mon texte, et compose moi-même." Pour celle qui a souvent travaillé en collaboration avec des musiciens de renom, ce prochain album va marquer un tournant. "Je veux faire mon disque cette fois-ci, je serai donc mon propre producteur, après je chercherai une maison en Europe, car le contrat avec Cobalt (label d’Africolor, ndr) est terminé".
Nahawa invoque "la finalité" comme une donnée essentielle de sa vision du monde. "Commencer quelque chose, c’est facile, dit-elle, ce qu’il faut, c’est penser à la suite, à comment cela peut continuer. Dans une chanson qui s’appelle Labankou, je raconte ça. Laban, veut dire finition". Visionnaire, Nahawa ? "Non, mais je vois loin quand même" dit-elle dans un éclat de rire, les yeux remplis des promesses qu’elles a faites au destin.