Khaled

Paris, le 10 décembre 1999 - L'ancien cheb devenu cheick du raï, Khaled, sort un nouveau disque intitulé "Kenza". Au moment même de cette sortie très attendue, le chanteur est retourné dans son pays qu'il avait quitté il y a treize ans pour être entendu dans un procès l'opposant à un ancien producteur mais aussi et surtout, pour envisager de faire une série de concerts en Algérie au printemps prochain. Chaleureusement accueilli par les habitants de son quartier d'Eckmul à Oran, Khaled revient sur son "chemin de Damas".

Retour au bled

Paris, le 10 décembre 1999 - L'ancien cheb devenu cheick du raï, Khaled, sort un nouveau disque intitulé "Kenza". Au moment même de cette sortie très attendue, le chanteur est retourné dans son pays qu'il avait quitté il y a treize ans pour être entendu dans un procès l'opposant à un ancien producteur mais aussi et surtout, pour envisager de faire une série de concerts en Algérie au printemps prochain. Chaleureusement accueilli par les habitants de son quartier d'Eckmul à Oran, Khaled revient sur son "chemin de Damas".

Vous venez tout juste de rentrer d'Algérie, un pays que vous avez quitté il y a plus de 13 ans. Cela a dû être un moment de très grande émotion pour vous.

Oui. Comment dire ? Je me rappelle du premier jour ou je suis arrivé en France en 86. Et de mon premier concert à Bobigny. A l'époque, je disais que je ne ferais jamais un autre concert comme celui-là, tant l'émotion était grande.
Mais là, c'était pire. L'émotion que j'ai eu en arrivant à Alger !!! J'étais stressé pendant une semaine avant le départ. Impossible de dormir...

Qu'est ce qui vous a le plus touché en retournant sur votre terre natale?

J'étais ébloui par ce pays. Et puis il y avait un manque. Le manque des odeurs, de la lumière, de certains quartiers, des resto et des bars où j'allais à Alger ou à Oran, avec mes amis. L'accueil a été formidable. Ils voulaient me faire les honneurs. Tout le monde me disait "Bienvenue chez toi". "Tu es ici chez toi".
Il est vrai que j'avais cette peur, cette crainte des menaces. Mais tout le monde a été si chaleureux, si rassurant avec moi. Ils me disaient : "Ne crois pas ce que les gens disent. Personne ne te touchera, même pas le vent !" (rires). "Tu es notre espoir, tu es le fils de ce pays, de l'extérieur. Tu nous as rendu hommage et maintenant c'est à nous de te rendre hommage".

Avez-vous pensé à ce moment-là à Cheb Hasni, à Matoub Lounès ?

Oui, bien sûr. Pour moi, il n'était pas question d'oublier ces hommes qui sont tombés. Les comédiens, les journalistes, les enseignants ou les moines qui ont été tués. Pour moi, ce sont des moudjahidins. Des martyrs qui ont été sacrifiés pour ce pays et il n'est pas question de les oublier. Quand j'étais là-bas, je pensais que là où ils sont, ils doivent être heureux et ils doivent partager la joie que j'ai eue quand je suis retourné au pays.

Avez-vous rencontré le président Bouteflika ?

Je l'ai rencontré à Monaco avant de partir en Algérie. Il m'a vu comme un citoyen, un jeune Algérien. Il m'a mis en confiance en me disant : "En Algérie tout le monde t'attend, tout le monde t'aime. Quand est-ce que tu viens chez toi ?". Juste ces mots. Le fait qu'il m'ait dit cela m'a fait énormément plaisir bien sûr.Mais ma joie provient surtout du fait d'avoir été accueilli par les gens de mon pays. Là-bas, ils sont toujours aussi assoiffés de joie, de fêtes et de musique. J'ai vu des restaurants tous les 100 mètres, des bars avec de la musique tous les 50 mètres.. Des gens qui se couchent à 4h00 du matin !

Il est question de votre retour au printemps pour une série de concerts, tout comme Enrico Macias qui a quitté le pays en 62. Est-ce que vous pensez que la concorde civile, la réconciliation nationale passe vraiment par le retour des artistes en Algérie ?

Il était temps qu'Enrico Macias dont les parents et les grands-parents sont enterrés en Algérie pose ses pieds là-bas... Quand j'étais plus jeune, je me suis bagarré pour la cause des harkis et des fils d'harkis en France. Leurs parents ont fait une "erreur" dans le temps, c'était il y a plus de 30 ans. Et depuis les enfants ont pu retourner au pays. Est-ce qu'ils devaient continuer de payer ? Enrico, lui, est toujours à la porte de son pays Et maintenant, il va pouvoir retourner sur les traces de sa famille. Là-bas, surtout les Constantinois (Macias est originaire de Constantine, ndlr), ils m'ont dit "Enrico ?!? Quand il reviendra... Ba ba ba !!!! On va faire une fête des années 60 !!!". Tout le monde l'attend avec impatience.

Vous avez deux filles, est-ce que vous espérez qu'elles vont rester en France ou bien aller grandir en Algérie?

Elles feront ce qu'elle voudront. Mais j'ai envie que mes filles aillent voir où est né leur papa.

Est-ce que le papa envisage de retourner vivre dans son pays?

Maintenant, j'y retournerai comme je veux. J'irai passer mes week-ends. Ceux que j'ai vus là-bas m'ont dit "On aimerait bien rencontrer ta famille. Voir ta femme et tes filles pour les embrasser, les toucher, discuter avec elles".

Est ce que vous n'avez jamais douté de votre retour en Algérie ?

Non ! Jamais je n'ai douté. Dans toutes mes interviews, je l'ai toujours dit. J'ai de l'espoir pour ce pays. Les choses vont s'arranger.

Parlons de votre album. Après "Sahra", le précédent, vous avez donné le nom de votre seconde fille à celui-ci... "Kenza" cela veut dire trésor en arabe. J'ai fait cela pour être sûr d'avoir la paix plus tard. Quand elles grandiront chacune aura un album à son nom, et il n'y aura pas de dispute à la maison.

C'est un CD très varié avec des morceaux funk, rai, salsa. Il y a plus de groove sur ce disque, plus de groove en général…

Avec cet album, je voulais côtoyer d'autres pays que je ne connaissais pas encore. La salsa, c'est plus celle des spanish à Oran. On a grandi avec les gitanos et avec le flamenco. J'avais envie d'un mélange pluriethnique.

Vous reprenez "Imagine" de Lennon avec la chanteuse Noa. C'est un titre presque trop évident pour symboliser l'harmonie et la réconciliation entre les peuples. N'y avait-il pas d'autre reprise possible ?

Cela fait cinq ans qu'on le chante ensemble. J'adore cette chanson et pourtant je ne connais rien en anglais. On la chante en hébreu et en arabe pour montrer qu'on est que des artistes et qu'on ne monte pas sur scène avec des kalachnikovs pour se faire la guerre. Si les autres pouvaitent suivre cet exemple, ce serait fabuleux. On voulait aussi rappeler que depuis cinquante ans que le conflit dure, il y a des gens qui sont nés dans la guerre, qui sont morts dans la guerre et qui n'auront jamais connu les délices de la paix. On ne dit pas qu'on va construire à nous seul la paix par cette chanson. Nul n'est prophète chez lui.

Jean-Jacques Goldman signe le single "C'est la Nuit" synonyme de tube. Est-ce que la collaboration avec Goldman est devenue un passage obligé?

Pas du tout. On n'est pas sur un ring, en compétition à vouloir mettre KO son voisin en vendant plus de disques. Je ne suis pas un poète français et le meilleur en France pour moi c'est Jean-Jacques. Son écriture est facile à chanter. Ses mots sont toujours justes. On apprend vite son langage, sa plume est légère. "Aïcha" m'a ouvert beaucoup de portes qui m'étaient fermées sur des radios, ou dans des pays qui n'ont jamais voulu passer de chanteurs arabes. J'ai vu des Allemands chanter "Aïcha" en français, des Hollandais et des Américains reprendrent les couplets par cœur. Cela m'a fait un immense plaisir. Il faut donc que je fasse appel à Goldman. Et puis, il y avait aussi cette idée d'un album qui doit chanter la paix. Avec le mélange du juif, de l'arabe, du français, de l'américain...
Histoire de redire qu'il n'y a pas de frontières avec la musique, on a pas besoin d'un passeport pour composer ensemble.

Khaled "Kenza" (Barclay)

Propos recueillis par Frédéric Garat