Panorama rapologique 2008
L'année écoulée aura été riche pour le hip hop francophone. Avec l'attendu Booba, avec les vétérans NTM ou les petits nouveaux Keny Arkana ou Baloji, on aura pu écouter les différentes tendances de ce mouvement dont les chiffres de vente des disques ne donnent pas toute la mesure de la créativité.
De Booba à NTM
L'année écoulée aura été riche pour le hip hop francophone. Avec l'attendu Booba, avec les vétérans NTM ou les petits nouveaux Keny Arkana ou Baloji, on aura pu écouter les différentes tendances de ce mouvement dont les chiffres de vente des disques ne donnent pas toute la mesure de la créativité.
Ça n’est pas un scoop : l’industrie du disque dort d’un profond sommeil, et entre dans la phase terminale de son ultime chapitre. Demain, la musique sera gratuite, produit d’appel pour vendre des marques ou alimenter des sonneries de portables. La ligne Maginot dessinée par quelques optimistes procéduriers qui pensent renverser cette tendance lourde avec la "riposte graduée" (un terme qui déclenche déjà des barres de rire chez les bootleggers) risque de se fissurer à vitesse grand V.
En attendant, les musiques urbaines, et le rap français en tête de ligne, paient les frais de la désaffection du public. Ce qui aurait du être une des sorties majeures de 2008, le très attendu 0.9 de
, a débuté à la sixième place du Top Albums, avec un nombre d’exemplaires vendus trois fois moindre que Ouest Side, sorti voilà deux ans. Pourtant, cet album puissant ne manquait pas d’atout, mais avait comme principale faille d’être, comme tous les autres albums du moment, téléchargeable certes illégalement, mais surtout gratuitement, en deux minutes chrono. Pas de Star Ac’ cette année pour le météore B deux O, mais quelques classiques au menu de 0.9, notamment Salade tomates oignons, hymne désabusé d’une génération fougueuse condamnée à l’échec.
L’autre classique attendu est ce Code de l’horreur signé Rohff, qui aurait dû sortir le même jour que 0.9 mais a été décalé au 15 décembre. Et c’est tant mieux : l’âge d’or est fini, pas la peine de diviser encore les ventes en proposant deux albums majeurs le même jour. Le contenu de ce nouveau Rohff est explosif, et quelques-uns de ses titres resteront au panthéon du rap hardcore, notamment le très lourd Rap Game et Testament, un cri du cœur d’une intensité phénoménale.
Qui d’autre restera parmi les sorties 2008, à l’ombre de ces deux géants ?
a tenté de compenser l’échec commercial de l’album du collectif hip hop Beni Snassen, Spleen & idéal, avec un solo très marqué par la chanson française, Dante. Succès critique au rendez-vous, mais le public rap boude ce disque original enregistré live avec l’arrangeur de Gainsbourg, Alain Goraguer, qui contient un surprenant duo avec Juliette Gréco, Roméo et Juliette.
Et puis il y a les fougueux, les sanguins, ceux qui se moquent de la crise et balancent des punchlines à plein poumon, comme Seth Gecko. Repéré par son titre Le million, celui qui se prend pour le fils caché de Jacques Mesrine a le sens du slogan (C’est pas un bon vent qui m’amène, c’est le cyclone Katrina) et balance Ma couillasse comme premier single de son album Les fils de Jack Mess. Les filles apprécieront. Ou pas. On verra.
Old school
Plus old school, section "back in the days" : Le retour de Kool Shen et JoeyStarr, les jadis sulfureux
qui ont réussi l’exploit de bourrer cinq Bercy avec un répertoire datant des années 1990. Triomphe annoncé, essai transformé. Une façon de prouver que la barre fatidique des 40 ans n’est plus un obstacle, pas plus pour les deux rappeurs, qui ont mouillé le maillot pendant plus de deux heures chaque soir, que pour le public, dont une grande partie avait l’âge des duettistes du hardcore de la banlieue nord. Nostalgie, quand tu nous tiens…
Et le Sud, dans tout ça ? 2007 avait été l’année de Soprano, 2008 voit le retour de son groupe les
, dont l’album Les cités d’or fut la principale manifestation hip hop marseillaise dans les charts. Et les parrains
fêtaient leurs 20 ans ensemble devant les pyramides de Gizeh, en Egypte, histoire de faire vivre grandeur nature leur rêve pharaonique. Keny Arkana, pasionaria alter mondialiste, se contenta en 2008 d’un mini album intitulé Désobéissance, avec en étendard le fabuleux titre Cinquième soleil.
Plus au Sud, l’Afrique rapologique continue sa croissance, avec l’apparition du tirailleur Foumalade, beau parleur sénégalais dont le premier album On va tout dire aurait mérité plus que le succès d’estime qu’il a obtenu. Au Burkina-Faso, les rappeuses étaient à l’honneur pour la huitième édition du fameux festival Waga Hip Hop, preuve renouvelée de l’inventivité du rap à Ouagadougou et dans la sous région.
Les flops de 2008 ont été hélas nombreux, à commencer par celui du Peace Maker de
, qui a confirmé la rancune du public pour cet artiste hors normes qui a trop bruyamment soutenu Sarkozy et le paie dans les urnes des ventes. Déception aussi pour le "rookie" Al Péco et son album ColonizaSon, pour la compilation rap inspirée du film sur Mesrine, pour le talentueux Baloji venu du Congo via la Belgique avec Hôtel Impala, et pour le Belge de souche James Deano, dont l’album Le fils du commissaire n’a pas rencontré le même succès que son single Les Blancs ne savent pas danser. En 2009, on retrouvera le sympathique Belge au cinéma en terrifiant chef des skinheads pour la suite de Banlieue 13, film d’action produit par Luc Besson.
Forte impression
Médine, le barbu au verbe haut, a frappé fort avec Arabian Panther, album sur lequel des titres comme Code barbe ou RER D ont fait forte impression. Tout comme l’écorché vif Nessbeal, qui a su fendre son armure de Superman et montrer ses faiblesses dans Rois sans couronne, un album qui témoigne de la maturité de l’ex-lieutenant de Booba.
On ne saurait oublier dans ce récapitulatif le formidable À l’ombre du show business, dernier album d’un Kéry James en forme olympique qui a prouvé avec des titres forts comme Le combat continue 3, XY ou L’impasse qu’on pouvait avoir à la fois du sens moral et du flow. Et le featuring de Charles Aznavour a été pour l’ex-Idéal J, la cerise sur le ghetto.
Histoire de conclure ce bilan calmement mais avec l’œil sur le futur, on prend les paris sur 2009 : l’outsider de l’année à venir est originaire de Caen, et se prénomme Aurélien. En compagnie de son compère Guillaume, alias Grinch, il se moque de tout, et surtout de lui, avec un humour cynique qui fait parfois penser à Eminem. Normal pour un rappeur blanc. OrelSan, puisque c’est de lui dont il s’agit, a fait péter les compteurs d’internet avec le clip Changement, où Nessbeal fait une apparition aux côtés d’un lapin blanc géant. La promesse d’un grand carton pour début 2009 ? À coup sûr. En tout cas s’il y a encore des albums qui se vendent l’année prochaine.
Le coup de cœur 2008 de Sefyu
J’ai bien craqué sur l’album de Nessbeal, Rois sans couronne. Parce que j’admire la sensibilité et la sincérité qu’il y a dans ses propos. C’est assez subtil et touchant, ce qu’il te raconte. Dans le rap, ça n’est pas courant, des gens qui arrivent à se dévoiler, à se mettre à nu pour exprimer des sentiments. Nessbeal a ce truc du mec écorché qui ne va pas hésiter à dire qu’il regrette ces années où il n’embrassait pas assez sa mère, où il ne lui a pas assez dit "Je t’aime". C’est beau, quand on sait tout l’orgueil qu’il y a chez un artiste, de pouvoir dire les choses comme ça. Dire sur un autre support ce qu’on n’a pas les couilles de dire en face, je trouve que c’est artistiquement fort. C’est ça être un artiste : quelqu’un qui peut dire dans une chanson ce qu’il n’arrive pas à dire dans la réalité de la vie. Comme un peintre qui peint ce qu’il a envie de voir. Ça me touche.