Bruno Coulais, N°1 avec "Les Choristes"

Alors que les musiques de film sont à l'honneur du Festival de Cannes,  une musique de film français, composée et interprétée par des Français, est en tête des ventes de disques. Avec Les Choristes, Bruno Coulais s'impose au sommet de la hiérarchie des compositeurs de BO. Une gloire qui le laisse de marbre.

Le disque est sorti depuis deux mois et Bruno Coulais commence à être un peu débordé. Cela se passe ainsi, quand une musique de film est un succès: c'est un peu par surprise, alors que le chantier est depuis longtemps achevé, que la promotion commence vraiment. Déjà, pour Himalaya, en 1999, Bruno Coulais avait été sous les projecteurs: la bande originale du film d'Eric Valli était montée jusqu'à la onzième place des ventes de disques en France – une très belle performance pour une BO. Cette semaine, le disque des Choristes est en première place du Top albums et le compositeur a un solide programme d'interviews, alors que la promotion du film est normalement achevée depuis belle lurette. "Ce n'est pas si mal, dit Coulais. ça permet de prendre un peu de recul, d'être dans un autre temps, de regarder les choses avec un peu de distance". Un tel succès? "C'est inattendu, bien sûr. Très mystérieux".

Pour raconter son histoire de pensionnaires qui forment une chorale sous la direction d'un professeur de musique singulier (Gérard Jugnot), Christophe Barratier a fait appel à un compositeur très en vue, plutôt sophistiqué et inventeur de mariages musicaux inédits. Coulais admet volontiers qu'il n'était guère attiré, a priori, par l'idée d'écrire une musique pour chorale d'enfants. "Le coté patronage me faisait un peu peur. Et puis le faux angélisme - l'enfance n'est pas un monde gentillet, c'est le monde des terreurs, de la cruauté. Pourtant, les voix d'enfants sont souvent dans mes musiques. Elles y ont souvent quelque chose de sacré - pas d'angélique, non -, comme dans Himalaya, dans Microcosmos, dans L'Enfant qui voulait être un ours, dans Le Fils du requin, dans Le Petit Prince a dit, dans Les Rivières pourpres pour la terreur qu'elles génèrent dans un univers angoissant. Mais j'ai rarement utilisé des chœurs d'enfants. Et puis, là, Christophe Barratier voulait beaucoup de thèmes en majeur, alors que j'ai depuis toujours une réticence avec le majeur. Il fallait une musique simple, de plus en plus travaillée, de plus en plus polyphonique. Mais le sujet imposait que la musique ne soit pas trop savante: on n'aurait pas cru au personnage si la musique, par exemple, était atonale".

Dans ces conditions, un aspect du cahier des charges a son importance: "Je devais faire que ces chœurs d'enfants soient aussi la musique du film, qu'ils servent à la narration, ce qui donne une autre couleur au chant choral". Et tout le reste de l'aventure est une série de belles chances, comme la découverte des Petits chanteurs de Saint-Marc et de leur soliste Jean-Baptiste Maunier dès la première journée d'auditions à Lyon. Ou cette singularité du travail avec Christophe Barratier, qui a une solide formation musicale: "C'est la première fois que j'envoie au réalisateur des partitions, et qu'il me fait des remarques techniques sur celles-ci".

Bruno Coulais s'avoue "moyennement satisfait" de la musique des Choristes, musique "pas difficile à écrire" qui illustre bien, selon lui, le paradoxe du compositeur de bande originale, "qui n'est pas là pour écrire son œuvre, mais doit quand même essayer d'être un peu content". Il invoque le fait que l'œuvre est encore trop jeune pour pouvoir écouter le disque et en juger avec sérénité - "dans un an ou deux, je verrais si j'ai envie de la jouer en concert".

Pour l'instant, alors qu'il passe du statut de compositeur très en vue dans le cinéma à celui de "numéro 1" – succès oblige –, il affirme surtout n'avoir pas envie d'être "installé dans le chœur d'enfants, de devenir le compositeur de la musique chorale." Le meilleur site Internet de filmographies, imdb.com, le crédite de quatre-vingt-quatorze musiques pour le cinéma et la télévision et on le voit volontiers en successeur de Michel Legrand ou Maurice Jarre. Lui, il se dit "pas pressé de retravailler au cinéma". Il parle de composer un opéra, de faire un disque de soul music avec Akhenaton... On sent que le démange l'envie de retrouver ses divers complices réguliers, des chanteurs corses d'A Filleta aux Marseillais d'IAM (dont il a arrangé une bonne partie de l'album Revoir un printemps)... Simplement, avec Les Choristes, "la famille s'agrandit". Il y a maintenant un tout jeune homme, Jean-Baptiste Maunier, que Bruno Coulais pourrait bien retrouver pour un nouveau chantier.

Les Choristes, bande originale du film d'Eric Valli. 2004 (Virgin)