Les polyphonies colorées d’A Filetta

Le nouvel album d’A Filetta, Bracanà parcourt les multiples facettes artistiques de ce combo de chanteurs fondé il y a tout juste 30 ans. Toujours partant pour rencontrer leurs frères chanteurs à travers le monde, A Filetta s’impose comme un des groupes les plus excitants de l’île de Beauté. Interview de Jean-Claude Acquiva, un homme qui a choisi sa voix.

Nouvel album Bracanà

Le nouvel album d’A Filetta, Bracanà parcourt les multiples facettes artistiques de ce combo de chanteurs fondé il y a tout juste 30 ans. Toujours partant pour rencontrer leurs frères chanteurs à travers le monde, A Filetta s’impose comme un des groupes les plus excitants de l’île de Beauté. Interview de Jean-Claude Acquiva, un homme qui a choisi sa voix.

RFI Musique : Ce nouvel album s’intitule Bracanà. Quel est le sens de ce mot corse ?
Jean-Claude Acquaviva : Il a deux significations : "bariolé" et "changer de couleur à l’approche de la maturité". "Bariolé" correspond bien à ce nouvel album, à ces 14 chants métissés. "Bracanà", on le dit du pelage d’un animal. Cet album est tout sauf uniforme. On y retrouve des chants liturgiques chrétiens, des chants géorgiens, des monodies traditionnelles, des créations dont une, Liberata, à la mémoire de Pierre Griffi, un héros de la Résistance en Corse. Ce morceau sert de générique à un téléfilm sur la Resistance sur l’île durant la Seconde Guerre mondiale. Treblinka parle d’espoir, du souffle de vie au cœur de l’horreur, 1901 de l’exil à travers les destins de frères géorgiens. L’Invitu est extrait de notre création autour du Médée de Sénèque. C’est un disque ouvert, en fait. Mais "bracanà" se dit aussi d’un fruit qui change de couleur en mûrissant. C’est aussi ça un peu le reflet de notre parcours sur ces 10 dernières années durant lesquelles nous avons beaucoup tourné et provoqué beaucoup de rencontres. Ce parcours atypique nous a conduits vers d’autres traditions polyphoniques tout autour de la Méditerranée, mais aussi plus largement dans le monde, en Asie, en Afrique. On ne sort pas indemne de tout ça. Forcément notre répertoire évolue. Chaque album est différent. Heureusement d’ailleurs, en 30 ans de carrière, ça serait vite ennuyeux pour nous, comme pour le public.

Que regard portez-vous sur ces 30 ans d’activité ?
Tout d’abord, j’ai vraiment la sensation que ces 30 années sont passées en quelques heures seulement… Il n’y a ni frustration, ni amertume. Aucune routine ne s’est installée. Nous n’avons jamais raisonné en termes de développement de carrière. Nous avons plutôt évolué au gré de rencontres, de nos rêves et de nos surprises. C’est probablement ce qui explique notre longévité. Pour nous, l’important est d’avancer, et d’avancer ensemble. Nous avons la même façon de voir la vie. On adhère à la même démarche. Ça passe par une grande rigueur dans le travail, rigueur qui ne nie pas pour autant la personnalité de chacun. C’est ce qui nous permet de nous renouveler, en invitant par exemple des plus jeunes à nous rejoindre.

Quelques souvenirs forts au fil de ces 30 ans ?
Beaucoup de tournées nous ont marqués par la qualité des échanges. Dans le Caucase par exemple ou dans la Géorgie de l’après-guerre civile. En Afrique, nous avons été impressionnés par ce que nous avons vu et par l’accueil du public, pas forcément celui des organisateurs. Les Rencontres Polyphoniques que nous co-organisons à Calvi, depuis 20 ans sont aussi des moments forts.

Quelques mauvais souvenirs, aussi ?
Pas tant que ça. Bien sûr quelques galères souvent liées à de mauvaises conditions scéniques ou lorsque nous avons inauguré un festival en Hollande et que nous avons joué devant un parterre vide, ou dans des villages qui semblaient désertés. Aujourd’hui, on en rigole. Les vrais coups durs sont liés à la disparition de proches.

Quelles perspectives pour le chant corse ?
Il y a 30 ans quand on a commencé, c’était assez exotique. Même en Corse. En fait, il a des vagues. L’intérêt pour notre travail et pour les musiques que nos défendons en général croît ou décroît en fonction de raisons qui nous sont parfois totalement étrangères. Le boum des Voix Bulgares a provoqué un temps un regain d’intérêt pour les traditions vocales. Forcément les difficultés que traverse l’industrie du disque ne sont pas sans conséquence sur notre développement. Il y a quelques années, nous étions plus souvent conviés sur des plateaux télés. Maintenant moins. Notre musique n’a pas fondamentalement changé. La télé, si. 

Comment imaginez-vous votre avenir musical ?
On ne se projette pas … Impossible de dire ce qu'il en sera dans 5 ou 10 ans. Je sais juste que l’on continuera à faire entendre notre voix, parce qu’on a des choses à dire, parce que notre volonté est intacte, notre enthousiasme et nos rêves aussi. Nous continuerons à produire tant qu’il y aura de l’envie, du souffle et de l’entrain. Quant à la musique, elle continuera ! C’est comme la vie, on ne se pose pas la question de pourquoi on vit. On vit, point barre !

A plus court terme, quels sont vos projets ?
Des projets de rencontres évidemment. En septembre, lors des prochaines Rencontres Polyphoniques, nous allons travailler avec Danyel Waro. Nous donnerons un concert dans la foulée et nous nous retrouverons pour Africolor en décembre. C’est un extraordinaire personnage, un militant de l’humanité et de la "batarcité". Sinon, nous travaillons avec des musiciens de jazz tel le trompettiste Paolo Fresu ou le bandonéoniste Daniel di Bonaventura. Nous avons aussi collaboré avec le guitariste portugais Jorge Fernando et avec Yves Duteil sur son dernier album.

Des envies de collaborations autres ?
On aimerait bien travailler avec Gabriel Yacoub ou Gianmaria Testa. Ce qui nous intéresse dans ces rencontres et dans la musique de manière générale, ce n’est pas l’idée du but à atteindre mais plutôt celle de l’épanouissement au quotidien. Il est clair qu’avec l’arrivée de la world, nombreux sont ceux qui ont cru aux vertus du métissage. Mais le métissage pour qu’il soit réussi doit être l’aboutissement naturel d’une rencontre.

Vous avez travaillez pour le monde de l’image, le théâtre, l’opéra ou la danse… est-ce aussi une façon de contourner la crise du disque ?
Dans les faits, c’est peut-être ça… Mais nous, on n’a sollicité personne. Ce sont plutôt Bruno Coulais ou Sidi Larbi Cherkaoui (le chorégraphe : ndlr) qui sont venus à nous. Il n’y avait rien de calculé, pas de volonté de dire : "on va faire ça pour contourner la crise du disque…". Il est indéniable que ces collaborations nous ont ouvert de nouveaux publics.

 Ecoutez un extrait de

A Filetta. Bracana (Harmonia Mundi) 2008
En tournée en Corse et en Europe.
20e Rencontres de Chants polyphoniques du 9 au 13 septembre à Calvi en Corse