LE CONSENSUS ET LES SURPRISES

L’ovation du jeune public aux vénérables Blind Boys of Alabama, le sacre de la sensation de l’année Bloc Party, la découverte du show blues-punk de Th’ Legendary Shack Shakers, la grâce infinie des chanteurs Ray Lamontagne ou Rufus Wainwright : la 29ème édition du Printemps de Bourges a réservé quelques beaux moments aux musiques anglo-saxonnes mais, une fois de plus, l’essentiel des sensations fortes ont été francophones.

Bilan du Printemps

L’ovation du jeune public aux vénérables Blind Boys of Alabama, le sacre de la sensation de l’année Bloc Party, la découverte du show blues-punk de Th’ Legendary Shack Shakers, la grâce infinie des chanteurs Ray Lamontagne ou Rufus Wainwright : la 29ème édition du Printemps de Bourges a réservé quelques beaux moments aux musiques anglo-saxonnes mais, une fois de plus, l’essentiel des sensations fortes ont été francophones.

      L’année dernière, la dernière soirée du Printemps avait été le triomphe de la scène française, trois jeunes noms – Cali, Sanseverino et Bénabar – encadrant Bashung pour un concert de près de six heures sous le vaste chapiteau du Phénix. Le samedi 23 avril 2005, l’affiche sous le grand chapiteau de 5500 places a été plus internationale, trois groupes anglo-saxons fermant une soirée ouverte par trois groupes français : l’électro metal de No Bluff Sound, le hip hop à braguette ouverte de TTC, le maelström de musiques extrêmes de Mass Hysteria.

Au fond, ce Printemps aura apporté une confirmation de plus que le paysage musical français offre une palette suffisamment large et pointue à la fois pour mobiliser sans peine le public jeune sur des genres débordant tous largement de la seule question musicale et trouvent prolongements et résonances dans les modes de vie des adolescents et des jeunes adultes.

Car le constat s’impose avec une tranquille constance : le paysage musical de notre époque connaît peu de combats majeurs, en lui-même comme face à la société. Rock, reggae, metal, « festif », hip hop ou chanson ne suscitent plus les débats et affrontements qui ont traversé un demi-siècle jusqu’aux premières années de celui-ci. Toutes les tribus, aussi fermées qu’elles puissent paraître, restent ouvertes à l’innovation et au mélange, dans une sorte de flegme hédoniste.

 

 La dernière soirée au Phénix reflétait cette situation culturelle et sociale qui voit une bonne part du public aimer à la fois metal et rap, punk et ragga – ce qui est la partition musicale d’une génération qui hésite entre révolte et apathie, contre-culture et consommation. Et toutes les figures de l’engagement contemporain ou de l’intégration sociale étaient représentées à Bourges – fureur de Black Bomb A et de ses deux chanteurs incarnant toutes les figures vocales du metal ou sérénité sociale du trio Delerm-Boogaerts-la Simone (qui ont quand même, au passage, fait siffler le nom du ministre de la Culture), imaginaire aux amarres larguées chez Nosfell ou lecture gouailleuse du quotidien chez Coup d’marron (dans les Découvertes), recherches entre jazz et drum’n bass chez Sayag Jazz Machine ou introspection variété-rock chez Florent Marchet…

Car, malgré l’engagement de nombre d’artistes, malgré le nombre de ceux qui invitaient à découvrir des horizons musicaux élargis, ce 29e Printemps de Bourges paraissait sans enjeu flagrant, ou du moins sans autre enjeu que donner en partage énormément de plaisir. Les musiques d’Afrique ou du Maghreb, ainsi, se sont posées en familières dans ce Printemps (Amadou & Mariam, Rokia Traoré, le chaâbi de Kamel El Harrachi), tout comme la pluralité des écoles électroniques (rencontre jazz-drum’n bass chez Sayag Jazz Machine, désordre dansant et saturé chez Presidentchirac).

 

    Curieusement, c’est par les marges que le Printemps retrouve l’enthousiasme des surprises, comme avec l’arrivée en France de Pascal of Bollywood, artiste parisien fou des chansons des films indiens, et qui est parti à Bombay apprendre répertoire, danse, gestuelles et chemises extravagantes. Au-delà de toute question d’« authenticité » et de bon goût, son show avec large groupe et danseuse indienne est un délice – alliance de sucre et d’énergie pure, mélange d’Asie, de chanson à l’italienne, de romantisme latino et de variété américaine. Et, dans les Découvertes (qui révélèrent jadis les Têtes Raides, Juliette, Paris Combo, Zebda ou Faudel), la grande lauréate de l’année vient bouleverser quelques figures usuelles de la jeune chanson française du moment. Sans grande surprise, tant elle dominait la sélection de cette année, la chanteuse Anaïs a emporté les deux prix « Attention talent scène » et « Attention talent disque » : d’une délirante puissance comique, son spectacle en solo a aussi surpris par la virtuosité et la pertinence avec laquelle elle utilise sa petite machine à boucles vocales. Mais ses chansons heurtent souvent de front le politiquement correct et la gentillesse forcée de notre époque, de la mièvrerie de couple jusqu’aux platitudes universalistes. Quelque part entre une Jeanne Cherhal (couronnée aux Découvertes 2001) et Coluche, Anaïs pourrait bien compter parmi les quelques personnalités heureusement dérangeantes des temps à venir.