Georges Moustaki
A 68 ans, Georges Moustaki se livre à un premier bilan discographique avec un coffret de dix CD paru début décembre chez Polydor-Universal. Ayant depuis quarante ans chanté tous les plaisirs et tous les bonheurs, il peut contempler maintenant l’œuvre tout entière : nonchalance unique, amour de l’amour, rencontres musicales et humaines qui ont donné tant de classiques. L’occasion de s’attarder avec l’auteur du Métèque sur quelques épisodes de sa carrière.
'Les gens pensaient que j’étais belge.'
A 68 ans, Georges Moustaki se livre à un premier bilan discographique avec un coffret de dix CD paru début décembre chez Polydor-Universal. Ayant depuis quarante ans chanté tous les plaisirs et tous les bonheurs, il peut contempler maintenant l’œuvre tout entière : nonchalance unique, amour de l’amour, rencontres musicales et humaines qui ont donné tant de classiques. L’occasion de s’attarder avec l’auteur du Métèque sur quelques épisodes de sa carrière.
Avez-vous participé au choix des chansons pour ce coffret ?
Il y a presque tout donc le choix n’a pas consisté à écarter des chansons, mais plutôt à choisir entre certaines versions – j’ai enregistré plusieurs fois Les Eaux de mars ou Le Temps de vivre. Il n’y a pas beaucoup d’enregistrements en concert parce que cela fait doublon avec les versions en studio. Et j’ai souvent privilégié le studio, pour des raisons techniques, et parce que ce n’est vraiment agréable d’écouter un concert que dans son intégralité. Là, il fallait que ce soit cohérent et harmonieux : deux atmosphères, deux qualités techniques, c’est difficile...
Ce qui est surprenant en écoutant ce coffret, c’est à quel point vous épousez parfois votre époque, comme dans les années 70, lorsque vous avez fait quelques chansons très pop.
Ce n’était pas pour la tendance de l'époque, mais la rencontre avec des musiciens. Quand j'ai rencontré Catherine Lara, elle m’a apporté des sons plus proches de sa génération, donc plus proches de l'actualité. Si je l'avais écoutée, j'aurais mis partout des batteries binaires. Et puis j'ai fait des disques en Angleterre mais sans chercher à m'incorporer à une tendance précise. Simplement, je ne pouvais pas me boucher les oreilles au monde qui m'entoure.
Ces rencontres ont parfois profondément changé la matière de vos chansons, comme dans cette rencontre avec le groupe Flairk en 1982 ?
Flairk était un groupe instrumental néerlandais qui avait un niveau de virtuosité et de composition exceptionnel. J'ai entendu un disque d'eux au cours d'une tournée en Hollande et j’ai demandé à les rencontrer. Ils ne comprenaient rien à mes chansons en français et je voulais qu’ils apportent leur musique à mes chansons. C'était la première fois que je sortais de ma latinité et de ma Méditerranée. Cela a été une belle aventure mais ça ne pouvait pas aller très loin parce qu'il y avait une incompatibilité de comportement: en tournée, nous nous sommes choqués les uns les autres. J'étais choqué par leurs méthodes trop disciplinaires, trop rigoureuses; ils étaient bouleversés par mon débraillé sur scène, par le fait que je ne décidais pas à l'avance l'ordre des morceaux, que je changeais le tempo des chansons...
Mais vous avez aussi chanté une chanson avec accordéon musette, très traditionnelle, Heureusement qu'il y a de l'herbe, en 1981 ?
Je n’avais jamais vu de maître de l’accordéon musette et, là, ce sont Marcel Azzola, Richard Galliano et Joe Rossi qui jouent ensemble! L'idée des paroles vient d’une conversation avec Coluche. A l'époque, je faisais pousser de l'herbe sur ma terrasse et il m'a dit: "Tu ne veux pas m'écrire comment il faut faire, s’il faut de l'engrais, de l'eau, tout ça?" Ça m'a valu des déboires parce que, à RTL (première station de radio française, ndlr), on m’a dit "Ah! enfin, tu fais une chanson populaire à l'ancienne!" et ils l'ont programmée tous les matins, jusqu'à ce qu'un auditeur leur reproche de faire du prosélytisme pour le cannabis – ce qui n’était pas forcément la bonne manière de prendre la chanson.
Par ailleurs, vous avez souvent été censuré ?
Sacco et Vanzetti a été interdit en Corée du Sud. Mais quand j’y suis allé, je l’ignorais, et je l’ai évidemment chantée : le producteur a dû payer une très forte amende. Joseph, par exemple, a été interdit en Espagne et en Italie parce que je prenais des libertés avec la Bible. Mais, en Espagne, sous le franquisme, j'ai eu beaucoup de chansons interdites.
Il ne fallait pas vous en étonner quand vous avez chanté Flamenco en 1975: "Qui chantera le flamenco dans une Espagne sans Franco ?"
J'étais déjà censuré. Alors, censuré pour censuré, j'ai mis le paquet !
Le Métèque, en 1969, a même mis du temps à être diffusé à la radio…
Quand Le Métèque est sorti, on ne l'a pas entendu du tout. Il avait été chanté par Pia Colombo sans aucun succès, alors ça ne m'a pas étonné. J’ai appris plus tard que c’était à cause du mot "juif" dans le refrain, dont personne ne savait s’il était employé dans un sens positif ou non. Plus tard, quand j'ai chanté en Israël, on m'a demandé pourquoi je ne disais pas que je suis juif. J'ai répondu: "Mais je chante 'ma gueule de métèque, de juif errant'!" On m'a dit que "juif errant", ce n'est pas la même chose que "juif". Mais, si je ne suis pas attaché à une identité de juif, je revendique celle de juif errant.
Pourtant vous êtes issu d’une famille juive ?
Je peux dire que je suis issu d'une famille juive mais je ne respecte ni ne renie rien qui soit juif. Je ne m'identifie pas à une judéité : dans ma culture originelle, j'ai autant d'orthodoxie que d’islam et de judaïsme. J'étais dans un pays œcuménique : en tant que Grec, j'étais associé à l'orthodoxie et nous fêtions la Pâque grecque et le Noël orthodoxe… En Egypte, si on n'était pas croyant, on n'était pas juif – ce qui était le cas de mon père. Quand j'ai écrit le livre Fils du brouillard avec Siegfried Meir, je me suis déclaré juif pour établir le parallèle entre le judaïsme solaire, le judaïsme sans sectarisme ni danger d’un juif né à Alexandrie, et le destin d’un juif d'Europe orientale. Je ne connaissais pas le mot de bar mitzvah avant de devenir chanteur et d’aller en tournée aux Etats-Unis.
Vous avez un indéfinissable accent en français. D’où vient-il ?
Si c'était un accent égyptien, je roulerais les r, ce que je n'ai jamais fait en français, alors que je le fais en espagnol ou en italien. Peut-être est-ce parce que j'ai été dans des écoles françaises dès mon plus jeune âge. Je suis réellement un citoyen de la langue française: c'est dans cette langue que je me suis réellement exprimé le plus tôt. Quand je suis arrivé en France, je parlais parfaitement français, à part l’emploi de quelques mots trop livresques ou l'absence de vocabulaire très actuel. Mais j'avais déjà un accent qui me signalait comme étranger, et souvent les gens pensaient que j'étais belge…
Georges Moustaki/ Tout Moustaki ou presque… (10 CD, Polydor /Universal)