Marsatac
La relève du hip hop marseillais avait rendez-vous le week-end dernier au Marsatac Connexion Festival, deuxième du nom. Près de 2000 spectateurs ont arpenté chaque soir les salles et les allées des Docks des Suds, alléchés par une affiche éclectique et deux plateaux stars, assurés par les labels de Khéops (Sad Hill) et de Kool Shen (IV My People), respectivement piliers d'IAM et de Suprême NTM.
La planète mars !
La relève du hip hop marseillais avait rendez-vous le week-end dernier au Marsatac Connexion Festival, deuxième du nom. Près de 2000 spectateurs ont arpenté chaque soir les salles et les allées des Docks des Suds, alléchés par une affiche éclectique et deux plateaux stars, assurés par les labels de Khéops (Sad Hill) et de Kool Shen (IV My People), respectivement piliers d'IAM et de Suprême NTM.
Ils ne sont pas venus, ils ne sont pas tous là ! Vingt-quatre heures avant le début des hostilités, les nerfs des organisateurs (une association marseillaise baptisée Orane) sont mis à rude épreuve. Durs en affaires, les Américains du label Rawkus, programmés le samedi, jettent l'éponge et annulent leur prestation. Il est vrai qu'entre temps les enchères étaient montées, les petits blasés du rap new-yorkais (pourtant l'une des meilleures écuries indépendantes) réclamant trois fois le cachet négocié… Exit Pharaphoe Monch et sa clique, suppléés in extremis par KDD, les voisins toulousains, et Quinte Flush, une partie de la Mafia Trece venue de Paris.
Heureusement, ces entourloupes n'auront pas entravé l'essor d'une manifestation ambitieuse qui s'installe comme la deuxième du genre à Marseille, après Logique Hip Hop. En 1999, le festival balbutiant n'avait pas forcé pour remplir le petit Espace Julien (1000 places). Cette année, avec un budget (1 million de francs) qui a plus que triplé, il a fallu déménager aux Docks des Suds, vastes entrepôts portuaires réhabilités et situés au milieu de nulle part, à l'extrémité d'un quartier sinistré. L'espace conquis permet au Marsatac de s'ouvrir aux autres disciplines de la culture hip hop : le graff, le djaying, le vjaying (images mixées en direct), la photo et la danse, avec GBF Force et Massilia Force.
Rappeurs en herbe
Côté concerts, les plateaux "L'underground s'exprime" ouvrent le bal, sur la "petite scène". De tous les coins de la cité phocéenne, première place du rap en France, de jeunes bataillons d'enragés, diversement inspirés, sont venus tenter leur chance à la grande loterie du rap business. A Marseille, les aspirants au vedettariat sont légion mais les places de plus en plus chères : d'un côté, peu nombreuses et situées en centre-ville, les structures manquent à beaucoup ; de l'autre, les maisons de disques ne signent plus autant de rap qu'avant. Alors, qui de cette bonne vingtaine de formations sera la Fonky Family de demain ? Difficile à dire. La joyeuse anarchie qui entourait ces prestations, loin des sets parfaitement huilés des têtes d'affiches (programmées à partir de 21h), cache mal la pauvreté des textes de nombre des participants, malgré une spontanéité de bon aloi et une bonne volonté manifeste. Il faut dire qu'à la différence des "stars" du Marsatac Connexion, les jeunes pousses n'ont pas tous eu droit à une balance aussi exigeante… On retiendra toutefois les 45 Niggaz, La Salle Equipe, Soo Sol, Obsen ou encore Carré Rouge.
Valeurs sûres
Le 2 juin, Bounce inaugure le bal dans une relative indifférence, contrairement à son successeur sur la grande scène : Prodige Namor. Le groupe joue à domicile mais en aura surpris plus d'un avec un show intense, énergique et finalement salué par un triomphe inattendu, pour ces outsiders qui n'ont qu'un seul album à leur actif (L'heure de vérité sorti l'an passé). Le public n'était pourtant pas si facile, d'autres n'ont pas su s'attirer les mêmes faveurs. Cheb Aïssa, l'une des belles voix du raï, a pu constater que l'ouverture d'esprit des fans de rap était parfois étroite. Le mélange raï-rap ayant déjà été expérimentée sur disque (K-Mel- Cheb Mami, Faudel-Cut Killer-DJ Abdel, Freeman-Khaled…), la participation de certains rappeurs au concert de Cheb Aïssa, plutôt qu'une programmation purement raï (aux arrangements proches de la variété), aurait peut-être pu inverser le verdict. Mais c'est Daddy Lord C qui essuiera le plus gros bide : sa performance, certes décevante, a été saluée par un silence de mort et quelques sifflets. Du coup, le boxeur-rappeur, sonné, interrompra prématurément le combat. Succédant à Cheb Aïssa et précédant Daddy Lord C, les new-yorkais Dujeous du label Wax Poetic Productions, avaient placé la barre haut, avec une musique teintée de jazz et un jeu de scène très américain.
Ambiance sucrée-salée
Backstage, l'ambiance vire à l'aigre. Programmés en dernier, Kool Shen et sa bande, devant le retard pris, exigent d'entrer en scène alors que Le 3ème Œil et K Spécial (leurs compatriotes de Seine Saint-Denis) n'ont pas encore joué. A leur décharge, IV My People ne se contentent pas de mettre le feu dans les coulisses : ils le foutent aussi sur scène ! Piochant dans les disques solo de ses membres (à commencer par Zoxea des Sages Poètes de la Rue), dans ceux de NTM (l'emblématique " Seine Saint-Denis style ") et dans leur répertoire commun, ils offrent le plus percutant des shows, ovationnés par une audience qu'ils n'ont cessé de titiller. Difficile alors pour Le 3ème Œil et K Spécial de prendre la relève, d'autant qu'il est plus de 2 heures du matin et que le public semble ressentir une certaine fatigue.
Le lendemain, l'atmosphère était redevenue sereine, hormis d'inévitables pics de tension. Week-end oblige, l'affluence du samedi excède celle de la veille, malgré un programme qui n'offrira que rarement la même intensité. Au pied levé, KDD pallient fort honorablement à la défection des artistes Rawkus. Plus tard, les Marseillais se partageront les têtes d'affiche : d'abord, une performance tout en humour et en bons mots de La Cosca, menée par Freeman (d'IAM) et K Rhyme Le Roi (en retard), et épaulée par les jeunes Psy 4 De La Rime, valeur montante du rap marseillais, et l'impayable Bouga, présentateur du Marsatac Connexion et rappeur pagnolesque à ses heures (" Belsunce breakdown " sur la bande originale du film d'Akhénaton) ; ensuite, Khéops et les artistes de son label Sad Hill, auxquels sont venus prêter main forte quelques membres de Mafia Trece. Un succès.
Mais la vraie surprise de la journée est âgée de 14 ans, rappe dans un groupe à Dijon (La Filiale) et se prénomme Adil. Au culot, l'aspirant rappeur convainc Quinte Flush de le laisser freestyler pendant leur balance. L'énergie et la décontraction du bonhomme séduisent le groupe, qui l'invitera le soir même à donner de la voix sur la grande scène. C'est aussi cela l'esprit hip hop.