Souad Massi
Née à Alger et exilée à Paris depuis 1999, Souad Massi n’a pas froid aux yeux. Avec ses mots, elle proclame tout haut ce que tous ne pensent qu’en silence. Femme et auteur/compositeur, elle sait bien que le seul futur possible, c’est la liberté pour son pays «brisé» (deb). Interview et reportage sur Souad en studio à Bruxelles.
Souad l'insurgée
Née à Alger et exilée à Paris depuis 1999, Souad Massi n’a pas froid aux yeux. Avec ses mots, elle proclame tout haut ce que tous ne pensent qu’en silence. Femme et auteur/compositeur, elle sait bien que le seul futur possible, c’est la liberté pour son pays «brisé» (deb). Interview et reportage sur Souad en studio à Bruxelles.
RFI musique: Votre nouvel album deb est si éclectique, qu’on y retrouve de la rumba zaïroise, du zouk, du flamenco, de l’arabo-andalou, du folk…
Souad Massi: J’ai baigné dans une musique arabe orientale africaine et en même temps j’écoutais beaucoup de rythmes occidentaux. C’est sans doute ce mélange qui me permet maintenant de m’exprimer.
Comme sur votre premier album Raoui, les textes sont vraiment tristes. Pas les musiques, au contraire. Il y a toujours ce contraste en vous ?
Il est encore plus triste que le premier, non ?
Peut-être parce que vous êtes partie depuis plus longtemps ?
Certaines de ces chansons existaient déjà depuis des années, j’en ai aussi composé d’autres en France. Et si elles sont tristes, c’est que je suis passée par des moments qui n’étaient pas faciles. Mais j’espère parvenir un jour à écrire des chansons plus gaies.
Il faut dire que la situation de ce pays où vous avez passé les 27 premières années de votre vie ne s’est pas franchement améliorée.
Cela ne va pas mieux. Au contraire cela empire. Sur cet album, par exemple , dans Houria, je parle d’une femme et en même temps je parle de l’Algérie. C’est vrai qu’il y a de l’inquiétude, de l’espoir, c’est très ambigu. On me demande toujours: «As-tu de l’espoir en ce qui concerne l’Algérie?» Et je ne sais plus quoi répondre. Un jour apporte un peu d’espoir et le lendemain il s’envole aussitôt. On vit vraiment dans l’incertitude, en Algérie on vit vraiment de jour en jour. C’est pour cela qu’il y a Houriaqui signifie «la liberté».
Et qu’il y a aussi cette chanson Le bien et le mal. Car cette situation algérienne se retrouve dans plein de pays. Je suis très pessimiste par rapport à ce qui se déroule dans le monde, surtout en ce moment par rapport à la guerre d’Irak. Il y a le conflit arabo-israélien qui dure depuis des années. Je suis si déçue, je me dis que cela ne sert à rien d’aller découvrir l’espace alors qu'on arrive pas à s’aimer, à trouver des solutions, on n’avance pas. Ce sont toujours les innocents qui payent de toutes façons. Je ne crois pas aux guerres propres et je ne crois pas aux frappes chirurgicales, cela n’existe pas.
Une de mes chansons préférée, c’est Moudja,car c’est une histoire d’amour exotique avec ce mélange de l’arabe et de l’anglais.
On était en studio, on l’a fait de manière très spontanée. Mon batteur est jamaïcain de Londres, il parle beaucoup en anglais, on a pensé que c’était intéressant de passer un message qui serait compris par tout le monde. Par rapport à ce qu’on vit en ce moment, c’est très dur de communiquer. C’était cela le but, la communication.
Mais il y a une vraie douceur dans cette chanson, même si son thème est la solitude.
Oui, car je suis en train de ressortir tout ce que j’ai vécu de très longues années là-bas. Dans cette chanson, j’étais encore adolescente, j’étais jeune.Moudja,Deb, c’est pareil, je les ai écrites à cette même période. Il n’y a queYa kelbi ou Passe le temps qui soient vraiment récentes. J’avais déjà les textes, les musiques. Même les arrangements. Il y a un vide énorme en Algérie, c’est l’ennui. Moi cela me permettait de voyager dans ma tête, de m’évader. J’avais du temps, j’aimais la musique et avec mes deux frères on en faisait sans cesse à la maison. Les arrangement de Debétaient depuis si longtemps dans ma tête. Le tabla, le sitar…tout était écrit. J’utilise des accords vraiment basiques, parce que je ne connais pas les autres accords très compliqués. Je compose d’une façon très simple.
Si la femme occupe la place centrale dans vos textes, il y a pourtant une chanson chantée du point de vue de l’homme, c’est Yemma.
C’est vrai, je parle de moi, mais aussi de gens que j’ai pu rencontrer et qui me font partager leurs histoires. La plupart étaient des garçons rencontrés en Angleterre, des étudiants qui m’ont dépeint leur quotidien. Mais ceux que j’ai rencontré ailleurs ont presque la même histoire à raconter.
Lorsqu’on téléphone à sa mère tout va toujours bien, même si cela n’est pas vrai ?
On ne veut pas faire de peine aux gens qui nous aiment. Il ne faut pas les inquiéter. Si c’est un petit mensonge, cela n’est pas grave. Pourtant j’ai horreur du mensonge, je suis très directe. Des fois même trop franche au point de blesser.
On trouve aussi de la rumba zaïroise ?
Yawlidi, là il y a la contribution du bassiste guyanais qui nous ramène sa couleur. En même temps il y a le bendir qui fait que l’on reste au Maghreb, c’est bien de pouvoir métisser de la sorte.
Par contre le texte n’est toujours pas très joyeux ?
Non, j’y parle des élections, des gens qui ont le pouvoir. Je dénonce ceux qui veulent nous arnaquer et qui sont prêt à tout pour gagner aux élections. C’est dédié à ces gens-là.
Le bien et le mal a été inspiré par un visite à Bab el oued après les terribles inondations ?
Je l’avais composé avant de partir, dès que j’avais vu ces images terrifiantes à la télé. Cela m’a fait beaucoup de peine pour tous ceux qui sont morts. Ces images étaient affreuses.
Vous êtes urbaniste de formation, vous devez souffrir de voir ce pays où rien ne se construit ?
Non, il y a de belles villas qui se construisent! Non, là sur ce point je ne suis pas d’accord. Car quand j’y étais, j’ai vu des châteaux, des beaux palais. Si cela construit, c’est pour la nomenklatura. Ils veulent fêter l’«Année de l’Algérie», mais il y a beaucoup d'hypocrisie là-dedans. Je me mets à la place des gens qui vivent là-bas, qui s’ennuient devant une télé où les programmes n’offrent aucun intérêt, où la vie est terriblement chère; sans parler des coupures quotidiennes d’électricité et d’eau. Je ne sais pas comment ils font. Il y a comme un désir de vouloir affamer les gens, ainsi ils ne pensent plus qu’à leur ventre. On a beau être créatif, on est toujours freiné par de la bureaucratie, la mauvaise gestion , la corruption…
La perle de l’album, il faut aller la chercher tout à la fin…
Cela me fait plaisir, la musique de Beb el mahdi est si belle. Elle swingue. C’est plein d’histoires d’amitié que j’ai regroupé en une seule. Cette image de rencontre avec quelqu’un que l’on aime beaucoup, puis il y a une cassure et cette personne traverse la rue pour ne pas t’affronter, c’est très dur à vivre cela.
Etes vous plus sûre de vous qu’à l’époque du premier album ?
A la sortie du premier disque, j’étais terrorisé . Je ne pouvais pas l’entendre, je me sentais mal. Mais là, le deuxième album, je suis contente de l’écouter, je prends du plaisir à l’écouter, je suis beaucoup moins angoissée.
La France est elle plus métissée, plus «arabisée» aujourd’hui au niveau de la culture, de l’art culinaire etc…
S.M: Au niveau de la culture, on ne voit pas beaucoup de personnes arabe ou black à la télé, pourtant tant d’arabes et de blacks regardent cette télé sans jamais s’y retrouver. Tant de médecins, des grands profs algériens sont en France, cela me fait plaisir, mais en même temps c’est dommage car s’ils sont là c’est qu’il ne peuvent plus pratiquer chez eux . En même temps, certains maghrébins réussissent sans que l’on parle jamais d’eux, quand on évoque les arabes ce sont toujours ces images de jeunes des cités qui restent dans leur cage d’escaliers. On ne parle pas de ceux qui sont devenus juges ou avocats ou même chercheurs ou philosophes. La première fois que j’ai vu un philosophe maghrébin, cela m’a fait plaisir. On ne parle pas de ces gens-là, c’est pas intéressant, c’est pas commercial, cela ne fait pas gonfler le taux d’audience des TV.
Gérard Bar-David
Souad en studio à Bruxelles.
« Un jour, ma mère m’a téléphoné, presque en larmes. Elle ne se sentait pas bien car les gens disaient du mal de moi en Algérie, faisaient courir des rumeurs. C’est à ce moment-là que j’ai écrit Ya kalbi , qui veut dire Oh mon cœur. Une chanson qui fait référence à un proverbe arabe : quand le fruit est inaccessible, on dit qu’il est pourri… » L’ICP, l'un des studios d’enregistrement les plus reconnus d’Europe, le 13 décembre 2002, 11 heures du matin. La nouvelle princesse algérienne travaille à la création de son nouvel album. Ce jour-là, elle n’a pas encore choisi son titre mais elle veut qu’il « donne le ton, entre amour, mélancolie et nostalgie ». Deb (brisé) sort cette semaine, et nous emporte dès les premières notes vers un rêve oriental, celui de la liberté.
Dans le studio, un joueur indien de tabla se tient aux côtés de Souad. « Je tenais à évoquer l’Inde dans cet album. Une expression en arabe qui m’amuse m’a inspiré : quand tu demandes à quelqu’un de te faire une course par exemple, et qu’il a mis un temps énorme à revenir, tu lui dis : je ne t’ai pas demandé d’aller jusqu’en Inde ! Quand j’étais en Algérie, je voulais partir loin, et le plus loin pour moi, à l’époque, c’était l’Inde ! » Et le joueur de tabla de lui répondre en riant : « Pour moi qui vit en Inde, le plus loin, c’est l’Algérie ! »
Sonorités indiennes… Bien d’autres influences nous embarquent dans un voyage à travers les continents, du violoncelle au luth, en passant par la flûte africaine… La voix de Souad évoque aussi celle de Latifa Raafat, une grande du monde oriental plus précisément du Chaabi marocain… Souad sait chanter dans la finesse, la pureté ; au-delà, elle a ce don de transmettre ses émotions à travers les barrières de la langue.
Au studio, l’ambiance de travail est à l’image de Souad : sérieuse, concentrée mais aussi détendue, complice… « Mon réalisateur, Erwin, a toujours une pomme avec lui, c’est son grigri. Il lève sans arrêt la tête pour la regarder ! Un jour, je l’ai remplacé par une citrouille ! Il a fait une de ces têtes ! »
Souad est tout sauf une laborieuse. Elle avoue même ne pas travailler sa voix autant qu’elle le devrait. Fausse modestie de la part de cette chanteuse aux accords parfaits ? Avec son réalisateur, son manager Abdel, et l’ensemble de ses musiciens, Souad Massi concocte en effet un album touchant et envahissant. Et si tout le talent de Souad tenait à cette approche ludique et décontractée de sa passion, loin des formatages marketing ? Et si la clef de ce deuxième album tenait dans cette phrase qu’elle murmure le sourire aux lèvres : « Ma discipline, c’est la vie ! »
Souad Massi Deb (AZ / Universal) 2003
En concert le 28 mars à Saint Martin de Crau (13), le 5 avril en première partie d'Ismael Lô au Zénith de Paris, le 11 à Péage de Roussillon (38), le 25 à St-Ouen (93), le 26 à Taverny (95), le 30 à l'Olympia et le 1er mai à Douala (Cameroun).