CHRONIQUES MÉTISSÉES

RFI musique propose trois chroniques d'album qui mélange chacun à sa manière, des sonorités venues d'horizons différents.

Riké, Izé et Zen Zila

RFI musique propose trois chroniques d'album qui mélange chacun à sa manière, des sonorités venues d'horizons différents.

RIKÉ / Air frais (Up Music/Universal)

Il est plus posé, un peu moins écorché qu’avec Sinsémilia, mais Riké a gardé dans la voix le ton d’un grand adolescent de trente ans qui fait tout "à fond" et n’a pas vu passer les années, accaparé entièrement par l’aventure qu’il vit avec ses compagnons de scène. "J’ai eu envie de donner un peu de moi", explique-t-il pour justifier l’album Air Frais, avant de préciser que cela ne remet pas du tout en cause son appartenance au groupe de reggae grenoblois.

Dans un premier temps, il a bien pensé faire jouer les autres membres de la formation avec laquelle il évolue, mais très vite l’idée de les diriger l’a gêné. Travailler avec d’autres musiciens, c’était par ailleurs l’assurance de ne pas faire du Sinsémilia. Personnel, voire même intime, cet album solo est pourtant un projet mené à deux. Si Riké a composé seul tous les morceaux en privilégiant les sons chauds, acoustiques qu’il affectionne avec une rythmique reggae, il s’est senti encore "jeune" pour l’écriture.

A l’exception d’Istorik, dans lequel il dévoile une partie de sa vie, il a laissé à Mike, l’autre chanteur de Sinsémilia, le soin de rédiger les paroles. "Ce que je ressens, ce que je pense, il sait l’écrire", confie-t-il. Lorsqu’il a lu J’t’envie pour la première fois, il se souvient même en avoir pleuré. D’autres textes auraient pu trouver leur place dans le répertoire de leur groupe, à l’image de L’Addition ou Réveillez-vous en duo avec Tiken Jah Fakoly, "un gars bien" que les Grenoblois avait emmené sur leur tournée il y a quelques années, lorsque le chanteur ivoirien cherchait à se faire connaître en France. Après avoir pris "une gifle monstrueuse" en découvrant Brassens lorsqu’il a repris avec Sinsémilia La Mauvaise Réputation en 1998, Riké s’est penché sans retenue sur la chanson française dont il ignorait tout et s’est mis à l’apprécier, au point de vouloir donner sur son album sa version de Mes Emmerdes, ce succès de Charles Aznavour adapté pour l’occasion sur air de mento, l’ancêtre du reggae.

Bertrand Lavaine

IZÉ / Mobilizé (Lusafrica/ BMG)

Faites de la place au Cap-Vert sur le pavé parisien. Le rappeur Izé signe et persiste. "Je sais d’où je viens […] Je n’ai pas perdu mes repères/ J’suis pas déraciné/ J’ai fait beaucoup de chemin, sans jamais oublier/ Qu’à leurs yeux, je ne suis qu’un simple étranger". Son flow est complètement hanté par la nostalgie de sa terre d’origine. Le créole est bien présent dans le discours. Plus chaud et probablement moins "relâché" que le précédent, le nouvel opus se veut plus fidèle à l’esprit du "bled". On le ressent fortement aux refrains ou sur quelques notes de guitare ou encore en compagnie de Jacky Brown et Stomy Bugsy, ses amis de La Mal Criado [LA-MC] sur le dernier morceau.

Les arrangements latinisés forcent légèrement le trait. Badiu convie "tout le monde…" à la danse, sans s’encombrer de faux-semblants. La touche "racine" est ici assurée par Jay aux manettes. Sur Immigranti, le verbe devient militant. Nous aurons une petite faiblesse -avouons-le - pour Nen’sin et son tempo faussement consensuel. Un hommage franc est rendu au son de la coladeira, qui, le rappelle-t-on à l’envie sur le titre, n’est ni du funana, ni de la salsa: un clin d’oeil y est fait en réalité aux ambiances festives des soirées communautaires en terre étrangère. "Accroché à ma culture/ Je vais danser chaque fin de mois/ Pour être entouré de mes frères/ Comme si j’étais chez moi". Malgré la présence du métro alentour, le rythme du bateau, quittant le pays des parents, accompagne le toasteur dans la quête d’un mieux-être en son Nouveau Monde.

En majorité soutenu par les compos d’Alexis Ouzani, Mobilizé est un album qui puise également aux sources majeures de la musique noire actuellement en vogue, avec des influences bien frappées de soul et de r’n’b au passage.

Soeuf Elbadawi

ZEN ZILA / 2 pull-overs 1 vieux costard (AZ / Universal)

Malgré ce patronyme, Zen Zila n’est pas adepte du new age. Originaire de Villeurbanne, ce groupe français pratique une intense fusion où les influences chanson, rock et funk baignent dans un entêtant parfum d’Orient. Wahid Chaib, le chanteur et Laurent Benitah son alter ego guitariste ont inventé Zen Zila pour nous secouer de leur métissage sismique. Zen Zila, en arabe dialectal, ne signifie-t’il pas tremblement de terre?

Après un premier album en forme de credo multiculturel, Le mélange sans appel, ce nouvel opus va porter encore plus haut l’étendard de l’intégration républicaine. Troisième génération immigrée, qui assume toutes ses racines, tout autant bercés de Piaf ou de Nino Ferrer que des Beatles ou de Hendrix, la recette naturelle de l’harmonie façon Zen Zila intègre joyeusement tous ces éléments pour nous servir un son neuf aux saveurs pourtant si familières. Ni Rachid Taha, ni Karim Kacel, plutôt Magyd de Zebda! Avec une vraie cohésion de groupe, Wahid et Laurent, leurs quatre "acolytes" musiciens, comme ils disent, et de nombreux invités ont capturé les treize ballades multicolores de l’album dans les conditions du live. Normal pour une formation qui a déjà plus de 300 scènes au compteur!

Dès l’ivresse arabo-andalouse du premier titre, Le bon sens, Zen Zila annonce la couleur, dans les textes et dans les sons, elle sera furieusement vivante. Et cultivée, citant au gré des compositions, Victor Hugo, Gainsbourg ou Voltaire. "Y’en a ras le bol des clichés/du chiqué sur l’orient" proclame Wahid. Et il le prouve avec la festive Tata Aïchaune belle histoire de smala à la Pieds Nickelés, épicée entre raï, rock et groove aux confins du 113 et de leur tonton du bled.

Poly-rythmeurs habiles, les membres de ZZ glissent vers le blues rock et les guitares de U2 avec la climatique La tendance. Entre La Mano et Zebda, exotique gigue irlandaise et folky ska, On s’formateincarne l’esprit patchwork du groupe. Souvenirs de traboules lyonnaises comme du grand frère Kent et la flûte de Il est 5 H Paris s’éveille de Dutronc se retrouvent dans leur Saint-Jean-Croix Rousse. Hommage au grand-père immigré qui n’avait dans son sac que 2 pull-overs 1 vieux costard, le blues oriental El ouricia inspire son titre à l’album. Car ces textes chantent aussi la fierté de la classe ouvrière, comme Lennon avec son Working Class Hero. Du cool raï blues nostalgique et mélancolique au rock en talk over de Li fête met, ZZ fait vibrer une solide émotion francophone. Et si l’ombre de Serge plane surJuste un vers, c’est qu’au nom de l’a(na)mour (inexorable et sans issue?), l’ami Wahid l’a confectionnée en utilisant le plus de titres possibles de l’homme de La chanson de Prévert. De la Porte des Lilas à Je suis venu te dire que je m’en vais les titres de ses chansons fleurissent en jungle verbale jusqu’au touchant Merci Monsieur Gainsbourg final.

Zen, ces zigues-là, ça c’est sûr! 2 pull-overs 1 vieux costard, sous ces frusques frustres, un coeur pulse la chamade. Bien plus qu’une joyeuse sarabande, ce second album mène Z(en) Z(ila) au top, car il est une leçon de vie, une simple histoire de respect qui fait toute la différence.

Gérard BAR-DAVID