Fontaine Baroque
Pour son seizième album, Brigitte Fontaine s’est inspiré des romans libertins du XVIIIe siècle. Il en ressort Libido, douze titres entre malice et gravité, que "la Fontaine" définit comme "baroque’n’roll".
Brigitte et la Libido
Pour son seizième album, Brigitte Fontaine s’est inspiré des romans libertins du XVIIIe siècle. Il en ressort Libido, douze titres entre malice et gravité, que "la Fontaine" définit comme "baroque’n’roll".
Brigitte Fontaine ne l’a jamais caché. Pour elle, la chanson n’a rien de "l’art mineur" décrit par le "plus grand chanteur vivant" (1) : Serge Gainsbourg. "C’est un art à mes yeux, disait-t-elle dans une interview accordée en 1999 au journal l’Humanité, contrairement à d’autres qui pensent que ce n’est pas sérieux. Qu’ils aillent se faire voir !". "C’est un petit monde qui voyage, explique-t-elle aujourd’hui. Je ne suis pas une sainte, mais je voudrais toucher un maximum de gens. Une chanson, c’est de l’art populaire, pour joindre beaucoup de personnes."
Entrecoupé non pas de morceaux (elle n’aime pas le terme), mais de "pièces ou de chansons" badines à caractère hautement loufoque (Comme dans un film de la Metro, Noces), Libido se révèle souvent sombre et grave. Comme à l’image d’Elvire, une chanson de trois minutes et des poussières, avec violons baroques et clavecin, qui conte avec surréalisme ("Nous avons pris d’assaut/Son château intérieur/C’était un château d’eau/Fruits de mer jolies fleurs/Cygnes et nénuphars/Crevettes cormorans"), l’histoire d’une "tribade (ndlr : femme homosexuelle) de douze ans."
Codes libertins
Brigitte Fontaine connaît ses classiques. Très jeune, elle s’est nourrie des récits libertins du XVIIIe. "Pas ceux de Sade, ceux de Rétif de la Bretonne", précise-t-elle. À cette littérature, "la Fontaine", comme on l’appelle parfois, a emprunté des codes. Au sujet de Cul Béni, un titre rock bruitiste, violemment anticlérical ("Petit trou du cul/damné fils de pute/ton vit mis à nu/tes roustons en rut"), à la Sonic Youth, elle dit : "Le curé défroqué, c’est un des grands fantasmes de la littérature libertine." Pour ce seizième album, au nom "rigolo" évoquant "ce charlatan de Sigmund Freud et la psyché libertine", Brigitte Fontaine a donc puisé dans le vocable usité par les libertins. On retrouve ainsi, au détour d’un couplet, des termes presque oubliés de la langue française. Comme priape, qui désigne un sexe masculin, ou porphyre, une roche avec laquelle on construisait les palais libertins. D’où le petit lexique de sept mots, en première page du livret en forme de BD rose et noire, dans le style années 30.
Homogénéité
Moins éclaté que Kékéland, l'album de toutes les collaborations (Noir Désir, Sonic Youth, Loo & Placido…), moins bancal que Rue Saint Louis en l'Ile, sorti en 2004, Libido se veut plus homogène. Le couple musical (et extra-musical), Brigitte Fontaine-Areski Belkacem semble ainsi s'être resserré autour d'orchestrations baroques où les pluies de cordes - toujours aussi bien maîtrisées par Areski Belkacem - soutiennent pianos et clavecins. Les collaborations se limitent aussi à peu de choses : l'apparition de M, "un mec génial", qui assure les guitares de l'album, chante et réalise Mister Mystère ; celle de son acolyte, le Bumcello Vincent Ségal au violoncelle et deux titres "offerts" à Jean-Claude Vannier, connu pour sa participation au disque culte de Serge Gainsbourg, Melody Nelson. "C'est un ami avec qui on est toujours resté en contact, depuis qu'il avait entièrement composé, réalisé et arrangé Brigitte Fontaine est je-sais-pas-quoi." (en réalité, Brigitte Fontaine est folle, le premier album de "la Fontaine", qui date de 1968).
Réduites sur le papier, ces apparitions restent assez inégales. Il y a de l'anecdotique : la trop sucrée Barbe à papa composée par Vannier, un Mister Mystère franchement balourd. Du bon : Mendelssohn et son clin d'œil malicieux au célèbre Melody Nelson du couple Gainsbourg/Vannier. "J'écoutais Melody Nelson/Du très regretté Mendelssohn…" Et de vrais réussites : les guitares de M, le violon de Ségal, qui ne dénote pas dans les arrangements toujours très pertinents d'Areski Belkacem. Au final, cela donne un album que cette femme qui "ne craint pas de dire (qu'elle) aime les hommes, même si (elle) n'en aime qu'un seul : Areski Belkacem" définit comme "baroque'n'roll". Ce qui ne lui va pas si mal.
(1) Propos extrait de la série À voix nue, réalisée par Tewfik Hakem pour France Culture.
Brigitte Fontaine Libido (Polydor) 2006
En concert à Paris le 5 décembre au Trianon et le 12 à la Flèche d'Or