Paris, plages d’Hawaii
Les vingt-quatre 78 tours ressuscités et réunis sur Paris, plages d'Hawaii témoignent de l'intrusion inattendue de la guitare hawaïenne dans les différents répertoires de la musique populaire française des années 1930.
L'exotisme d'avant-guerre
Les vingt-quatre 78 tours ressuscités et réunis sur Paris, plages d'Hawaii témoignent de l'intrusion inattendue de la guitare hawaïenne dans les différents répertoires de la musique populaire française des années 1930.
En ce temps-là, Hawaii n’est pas loin de La Havane ou au large du Brésil, quelque part où l’on danse la biguine à l’ombre des grands bananiers… L’exotisme ne se soucie pas vraiment de géographie, ni même de vérité musicale, lorsque Paris s’entiche de la guitare hawaïenne. Hollywood aime ces îles du Pacifique sur lesquelles flotte le drapeau américain (à Pearl Harbor, notamment) et les musiciens de là-bas en profitent pour visiter le monde. Dans une capitale française qui semble ne jamais dormir, le son de ces guitares venues du Pacifique excite musiciens, patrons de cabarets et éditeurs de musique. Alors on adopte les techniques hawaïennes, les glissandi, les cordes frottées et les notes tenues, et on sent un parfum de lagon dans le musette, le tango, le paso doble, la chanson ou le répertoire de brasserie – ce mélange de classique léger et de musique de genre qui annonce autant la musique d’ascenseur que le piano-bar.
Cyril LeFebvre et Dominique Cravic, grands arpenteurs des marges de la musique populaire, ont exhumé vingt-quatre titres des années 30 enregistrés à Paris et dans lesquels s’illustrent Gino Bordin, Alex Manara, Daniel Arnaü et quelques autres guitaristes hawaïens français. Chansons sentimentales, 78 tours de danse, Chanson hindoue de Rimsky-Korsakoff, bluettes vaguement orientales, faux folklore du Pacifique, reprise absconse du classique napolitaine O Sole Moi : ce disque est un trésor de surprises abracadabrantes au charme capiteux. C’est un peu comme ouvrir un vieux flacon neuf d’un parfum Guerlain disparu, à la fois furieusement fleuri et un peu éventé. On s’attend à saisir des effluves fugitives et fragiles et on est étourdi de senteurs spectaculaires et implacables... On ne résistera pas, ainsi, à la beauté entêtante de J’ai mis mon cœur dans ces roses ou à une version vénéneuse de Tristesse de Frédéric Chopin, presque soixante ans avant que Serge Gainsbourg en fasse son Lemon Incest.
Paris, plages d’Hawaii – Guitares hawaïennes 1930 (Paris Jazz Corner/Universal Jazz) 2006