Drôles de chanteuses

Les chanteuses du moment sont des filles qui nous font rire. Mais ce n’est pas si simple. Explications de texte avec Anaïs et la Grande Sophie, deux représentantes de la jeune génération montante de la chanson française.

Les filles font de l'humour

Les chanteuses du moment sont des filles qui nous font rire. Mais ce n’est pas si simple. Explications de texte avec Anaïs et la Grande Sophie, deux représentantes de la jeune génération montante de la chanson française.

"De l’intervention salutaire de l’humour et du second degré dans la chanson française féminine d’aujourd’hui". L’intitulé est un peu bourratif, mais il synthétise bien le courant d’air frais qui souffle de gorges féminines sur la chanson française qu’on appelle "nouvelle". Juliette, Jeanne Cherhal, Clarika, Anaïs, La Grande Sophie et quelques autres sont responsables de ce vigoureux courant qui donne à écouter des chansons légères sans pour autant être fugaces. Des artistes qui, à l’occasion, touchent à des sujets sensibles, voire graves, sans jamais perdre ce sens inné de la complicité rigolote.

Et pourtant, choisir d’emprunter cette voie n’est pas une sinécure. Comme en témoignent deux éminentes représentantes de cette "vague", La Grande Sophie, et la grandissante Anaïs, qui toutes deux souffrent un peu du côté réducteur qu’impose une écriture humoristique. La France n’est certes pas le pays des "entertainers" et une chanson (comme un film) dramatique, même maladroite, aura toujours ici plus de valeur intrinsèque qu’une galéjade bien tournée. Faire sourire en même temps qu’on fait écouter ses refrains tend à vous réduire à un rôle d’amuseur patenté, peu crédible dans d’autres domaines.

Humour et crédibilité

"Le problème, dit Anaïs, c’est qu’en France on a tendance à séparer un peu tout, donc on estime que ceux qui font de la chanson rigolote ne font que ça. Ce qui n’était pas le cas dans les années 30/40, où l’on pouvait faire des chansons drôles, ou tristes, et on était juste considéré comme des chanteurs. Il n’y avait pas d’étiquette, on pouvait faire rire de temps en temps. Un journaliste m’a même demandé un jour si j’étais la "Anthony Kavanagh de la chanson" ! Heureusement cette étiquette, je ne l’ai pas de la part du public. Je ne dis pas que tous les journalistes et les médias me font souffrir, mais le public, lui, n’est vraiment pas comme ça. Et puis, c’est aussi à moi de montrer qu’on ne peut pas me catégoriser là-dedans."

"Je suis d’accord, poursuit La Grande Sophie, même essayer de mettre de la légèreté, c’est un peu mal vu. On veut que la musique soit caricaturale dans le sérieux. Je me faisais cette réflexion : quand on écrit : "si j’en crève" dans une chanson, on est tout de suite pris beaucoup plus au sérieux. On fait plus attention à toi, tu deviens plus crédible. Si on est amusant, on a l’impression que c’est léger, volatile … C’est dommage, mais moi je ne m’attache pas à ça. Les artistes qui le font, c’est ce qui va les détacher des autres. Et puis quand c’est Bobby Lapointe, je trouve ça très touchant." Voilà un nom de lâché, et pas des moindres. Mais dans ce domaine précis, il est vrai qu’on rencontre plus d’hommes que de femme. La parité de l’humour chanté est loin d’être respectée, même par nos deux figures de proue du moment.

Les Rita ou Marie Dubas

"Dans le genre, dit La Grande Sophie, je réécoute souvent Bobby Lapointe, et aussi Dutronc, il y avait pas mal d’humour dans les textes de Lanzman. Nino Ferrer : ses chansons comme Mirza ou le Téléphon le faisaient prendre pour un personnage léger, alors qu’il était désespéré. Chez les filles, c’est plus difficile à trouver, mais il y avait un peu de ça chez les Rita, avec Andy ou la mélodie de Marcia Baïla. Dans la nouvelle génération, il y a Clarika."

Anaïs, pour sa part, voue un culte à une figure des années trente. "Marie Dubas est une de mes grandes influences. Aujourd’hui, des gens comme moi ou Jeanne Cherhal, on écrit nos propres chansons. Mais à l’époque, c’étaient des paroliers et des compositeurs qui créaient des morceaux pour les artistes, elles étaient des interprètes assez géniales. Marie Dubas s’est fait écrire des chansons absolument hilarantes, ou parfois plus subversives que des chansons d’aujourd’hui."

Car aujourd’hui comme hier, l’humour reste sans doute l’arme la plus efficace pour transmettre un discours qui, derrière le rire, amène à la réflexion. "L’humour permet de faire passer beaucoup plus de choses, raconte Anaïs, je n’aurais pas pu faire La plus belle chose au monde, ma chanson sur l’accouchement, autrement qu’en prenant le contre-pied des choses. C’est ce que j’aime faire. Je ne fais même pas exprès quand ça devient drôle, l’écriture m’échappe ! Je ne peux pas m’empêcher de mettre de l’ironie. J’écris pour dédramatiser la vie."

Refrain similaire chez La Grande Sophie, dont le processus d’écriture s’articule autour d’une "volonté de mettre un contraste entre le texte et la musique. Je pense aussi qu’on peut raconter des choses plus sombres sur des airs légers, pour ne pas planter le clou dans le dramatique. Je prends la vie du côté joyeux, pour donner un espoir aux gens." Mais au fait, est-ce qu’une chanteuse drôle est plus sexy qu’une autre ? Anaïs ne se pose pas la question : "sur scène, j’essaie d’être moi-même. J’ai trouvé ce qui convient. Quant au charme de la femme drôle, ça ne marche pas trop à 15 ans. Mais à partir de 20, c’est vrai que ça fonctionne mieux. C’est mon expérience qui me fait dire ça !" La Grande Sophie confirme. "Justement, c’est encore plus classe une fille sexy qui peut avoir de l’humour. Mais on n’est pas obligé de la jouer comme ça, il faut se sentir bien dans ce qu’on fait."

Anaïs en tournée en France, à Paris le 17 mai (La Cigale)
La Grande Sophie en tournée en France, à Paris le 28 & 29 avril (La Cigale)