Kid Loco
Double actualité pour Kid Loco qui, pour la circonstance, ne s'est pas fatigué outre mesure. Son label, Yellow Productions, a en effet décidé de faire du neuf avec du vieux, en proposant une réédition et une compilation de remixes imaginés pour d'autres artistes, distribuées par East West. Avis aux fans et aux curieux !
Deux CD pour patienter
Double actualité pour Kid Loco qui, pour la circonstance, ne s'est pas fatigué outre mesure. Son label, Yellow Productions, a en effet décidé de faire du neuf avec du vieux, en proposant une réédition et une compilation de remixes imaginés pour d'autres artistes, distribuées par East West. Avis aux fans et aux curieux !
Pour le commun des mortels, l'album "A grand love story", paru en 1997, est l'acte de foi de Kid Loco, en tous cas son disque le plus connu et le mieux vendu à ce jour (près de 20.000 exemplaires écoulés en France et quelques 35.000 à l'exportation). Cette communion réussie entre des rythmes trip hop et une production soyeuse, à la limite du easy listening, a permis au bidouilleur inspiré de Belleville de toucher une audience à l'étranger, en Grande-Bretagne surtout, mais également en Europe continentale et au Japon.
Seulement, s'il ne possède pour l'instant qu'un seul véritable album à son actif, Kid Loco ne chôme pas pour autant. Le compositeur se double d'un producteur dont la renommée enfle. En 1998, il a ainsi réalisé près d'une trentaine de remixes pour de nombreux artistes, tant français qu'internationaux. Avec sa pochette prompte à flatter l'œil (un bataillon de dix créatures superbes et sveltes réunies dans le plus simple appareil), "Jesus life for children under 12 inches", l'un des deux "nouveaux" CDs, récapitule en douze plages cette année besogneuse.
D'horizons divers, les remixés ont pour nom Talvin Singh ("Traveller"), Kat Onoma ("la Chambre"), Pulp ("A little soul"), Cornu ("Youpi"), Saint Etienne ("4-35 In the morning"), The Pastels ("The viaduct") ou encore The High Llamas ("Homespin rerun"). Hétéroclites, les univers s'enchaînent sans cassure, refondus entre les mains d'un DJ fan des Beastie Boys et de Massive Attack, qui n'affirme pouvoir créer qu'aidé par quelques menues volutes de marijuana. La direction artistique est particulièrement cohérente, contrairement à beaucoup de compilations fourre-tout.
L'autre disque est la réédition en version digipack d'un mini-album désormais considéré comme culte par les aficionados, dont la version originale en vinyle est âprement recherchée par les collectionneurs. Commercialisé une première fois en 1996, ce "Blues project" à l'atmosphère ouatée a été remastérisé en début d'année. La redécouverte de cette galette oubliée s'apprécie d'un trait, de "Public paranoïac number one" à "Let us now praise famous men" et "Sister Curare", tant le voyage est bref (6 morceaux et un peu plus de 31 minutes de musique).
Qui est Kid ?
Incontestablement, ces deux sorties simultanées constituent une excellente occasion pour les retardataires de faire connaissance avec Kid Loco, avant qu'un nouvel album ne le révèle peut-être à un public plus large encore. Parisien de Belleville, né en 1965, Kid Loco, de son vrai nom Jean-Yves Prieur, reçoit son premier grand choc musical à l'âge de treize ans, à la faveur d'une vague punk aussi foisonnante et accrocheuse par son esthétique et l'attitude anarchisante qu'elle prône que limitée artistiquement.
Au début de la décennie précédente, il décide de passer à l'acte et fait ses premières armes comme guitariste du groupe rock Les Brigades. Mais à cette époque, c'est dans les coulisses que le Kid gagnera ses premiers galons. Au milieu des années 80, lassée par le désert musical français qui n'accordait que quelques strapontins aux musiques nouvelles, toute une scène rock s'organise petit à petit en marge des grandes multinationales du disque. L'ère du rock alternatif, qui n'a pas survécu aux années 90, était née, avec son cortège de groupes (Les Garçons Bouchers, Ludwig Von 88, Mano Negra, etc.) et de labels indépendants.
Dans cette mouvance, avec deux camarades, Kid Bravo (qui ne prendra que bien plus tard le pseudonyme de Kid Loco, en référence au documentaire de Jean Roch "Les chiens fous") monte sa propre structure de production : Rock Radical Records, ancêtre de Bondage Productions. Très prisé en son temps, Bondage Productions est à l'origine des carrières des Béruriers Noirs et autres Satellites, sans oublier Nuclear Device, les VRP et les Washington Dead Cats.
Directeur artistique, producteur, designer de nombreuses pochettes d'albums : malgré l'effervescence du moment, l'expérience ne laissera pas un grand souvenir dans la mémoire de Kid Loco. Interviewé en février 1998 par l'hebdomadaire culturel les Inrockuptibles, il n'avait pas de mots assez durs pour stigmatiser la mentalité de ces années-là, à commencer par les artistes, dépeints ni plus ni moins comme "des emmerdeurs sans aucun talent - la preuve, c'est que quasiment aucun ne fait de la musique aujourd'hui -, pour qui le label était surtout un bon plan. L'esprit alternatif, nous étions bien peu à le partager. Pour les groupes, l'esprit alternatif, c'était surtout nous saouler pour apposer des foutus macarons horribles sur le rond central de leurs disques. Ils argumentaient sur une liberté artistique totale mais ne faisaient que des morceaux lamentables et nous imposaient des détails qui nous coûtaient un pognon fou. Ce que je retiens, c'est que nous n'avons fait aucun bon disque : je n'en revendique aucun et je ne les écoute jamais". Dont acte.
Déçu par le milieu rock, Kid Loco quitte le label Bondage avant qu'il ne sombre définitivement, reprend sa liberté d'artiste et s'en va explorer de nouvelles terres musicales, où le rock croise le hip hop, et les instruments, le sampler. Il forme alors le groupe Mega Reefer Scratch qui signe en 1991 sur la major Sony Music son unique album "Honky soul times". Deux mois après la sortie du disque, le combo se sépare déjà, divisé entre velléités incompatibles. Les impératifs commerciaux cadrent visiblement mal avec le mode de fonctionnement du Kid en devenir. Pas plus que le travail d'équipe d'ailleurs. En 1994, son projet suivant, Catch My Soul, part littéralement en eau de boudin, sapé par une chanteuse qu'il qualifie d'"ingérable".
Finalement, il aura fallu que Jean-Yves Prieur s'isole dans sa tour de Babel remplie de sons, de vinyles croustillants et de samplers pour que l'artiste Kid Loco parvienne à maturité, dégagé des compromis qu'entraînent inévitablement les décisions collectives. Du "Blues project" de 1996 à "A grand love story" l'an dernier, en passant bien sûr par la sélection de remixes fraîchement sortie, il n'est pas trop tard pour explorer l'univers d'un des grands noms de la scène électronique française.
Gilles Rio
"Jesus life for children under 12 inches" (Yellow Productions/East West)
"Blues project" (Yellow Productions/East West)