Carla Bruni

Mannequin vedette des années 90, Carla Bruni sortait il y a quelques mois, Quelqu'un m'a dit, un premier album de chansons dépouillées et douces, dont elle est l’auteur-compositeur et qui a été réalisé par Louis Bertignac. Une très belle réussite couronnée par des ventes record : un million d'exemplaires en France et 500.000 en dehors des frontières hexagonales. Interview.

La belle âme de la belle.

Mannequin vedette des années 90, Carla Bruni sortait il y a quelques mois, Quelqu'un m'a dit, un premier album de chansons dépouillées et douces, dont elle est l’auteur-compositeur et qui a été réalisé par Louis Bertignac. Une très belle réussite couronnée par des ventes record : un million d'exemplaires en France et 500.000 en dehors des frontières hexagonales. Interview.

"Je ne voulais pas que ce soit sophistiqué ou décalé. Je ne voulais pas une pose particulière. Je voulais que ce disque soit comme une fille qui se réveille, avec le visage qu’on a le matin. Je voulais que ce soit un peu nu, pas trop habillé, pas trop maquillé - je n’ai fait que ça, pendant douze ans." Eh oui, pendant douze ans, Carla Bruni a été une apparence - maquillage, pose, vêtements. Mannequin à une époque où les médias s'en sont entichés, elle compte parmi ces quelques filles dont tout le monde connaissait le visage et, pour peu qu’on lise la presse people, la vie si glamour. On savait longtemps avant sa retraite (en 1998, fortune faite), quelle était sa famille : père compositeur dodécaphonique, mère pianiste de concert, sœur actrice... Mais on ne savait pas grand chose de son âme, de son coeur, de sa sensibilité.

Et voici son disque, qui est peut-être la plus délicieuse surprise depuis la rentrée : des chansons superbes, paroles et musiques de Carla Bruni, arrangements et réalisation de Louis Bertignac (ex-Téléphone, qu’on n’imaginait pas capable de tant de délicatesse et de discrétion). Entre folk genre Joni Mitchell et chanson française tendance Gainsbourg-Rezvani, des étourdissements délicieux (Le toi du moi, la plus dansante et astucieuse déclaration d’amour depuis longtemps), des confessions très pudiques, des ballades infiniment tendres, le single Quelqu’un m’a dit (tout guitare et petite voix feutrée, éraillée, attendrissante) et la belle reprise d’une très rare chanson de Gainsbourg, La Noyée... Et puis le joyau Tout le monde, poignante chanson sur les vies ordinaires, distraites, abandonnées à la paresse du destin : "Tout le monde a une seule vie qui passe/Mais tout le monde ne s’en souvient pas/J’en vois qui la plient/Et même qui la cassent/Et j’en vois qui ne la voient même pas ". Rencontre avec une jeune femme qu’on a longtemps prise pour une image, et qui se révèle une très belle artiste.

Onze chansons en trente-sept minutes : votre disque a le format d’un 33-tours.
C’est la structure des disques que j’ai vus depuis toujours. J’aime les disques qui racontent une histoire, comme Ziggy Stardust ou Melody Nelson mais, là, c’est mon premier disque et je suis allée à l’essentiel en ce qui me concerne : des chansons les plus proches de moi, les plus honnêtes possible. Ça a l’air stupide, ça ne concerne personne, mais j’avais envie d’être honnête, de ne pas trop me trahir. C’est pour ça que je suis aussi intime dans les chansons.

Ecrivez-vous des chansons depuis toujours ?
J’écris depuis toujours. Au début, ce n’était pas des chansons, mais de la poésie - enfin, je ne sais pas si je peux oser appeler ça de la poésie. Je n’écris pas de prose, même pas un article, même pas un portrait, je ne pourrais pas travailler sur l’écriture d’un roman ou d’un essai. Je n’écris qu’en chanson, qu’en poésie - des phrases courtes, cueillies, écrites sur l’instant, pas forcément rimées. Je ne chanterais pas si je n’écrivais pas de chansons.

Quand vous étiez petite, songiez-vous à devenir chanteuse ?
Oui. A chanter des chansons, à en écrire...

Certaines chanteuses vous faisaient-elles envie ?
Presque toutes les filles qui chantent me font envie. Jeanne Moreau, Françoise Hardy, Suzanne Vega, Rickie Lee Jones, Barbara, Mina, Ornella Vanoni, les chanteuses d’opéra, les country girls avec leur guitare au pied de leur roulotte, j’aime les filles qui chantent. C’est toujours un peu la même chose : elles chantent l’amour, le désamour. Mais mes inspirations sont plutôt les filles qui écrivent plutôt que les filles qui chantent. J’aime l’écriture des femmes qui, en chanson, est délicate, particulière.

Ecrire des chansons, c’est un métier ?
C’est une forme. Ce n’est pas une technique, c’est une structure. La différence avec la poésie, c’est la structure couplet-refrain. Je sais qu’il y a des gens qui font des chansons sans couplet ni refrain, des disques magnifiques comme celui de Bashung : de la musique et de la poésie en même temps. Mais moi, j’ai des goûts classiques.

Quand vous écrivez, vous nourrissez-vous en écoutant les autres ou évitez-vous de rien entendre ?
Je n’écoute rien quand j’écris, et je n’ai rien écouté depuis que j’ai fait ce disque. Là, j’ai carrément besoin de nourriture ! J’ai écrit sur tout ce que j’avais écouté et tout ce que j’avais gratté pendant des années, je ne suis pas retournée écouter. Ça décourage d’écouter les autres, les très bons : si j’écris une chanson et que j’écoute du Ferré, du Gainsbourg, du Brassens, du Barbara, du Dylan, je laisse tout tomber ! Il y a un moment où je cherche une illusion. Pas l’illusion d’être bonne ou mauvaise, mais l’illusion d’y arriver. Et si je me mets à écouter les autres, c’est mort.

Pourquoi avoir demandé à Louis Bertignac de réaliser cet album ?
Louis n’est pas, au départ, un réalisateur d’albums, c’est avant tout un musicien. Et il y a entre nous une amitié très forte. Je le connais depuis que j’ai quinze ans - et j’en ai trente-quatre, ça fait presque vingt ans ! Je lui ai envoyé des maquettes de l’album comme copain, pour avoir son opinion. Il ne m’a même pas rappelée pour me dire s’il aimait, il s’est mis à faire des arrangements. Il a commencé par Tout le monde : il a gardé ma guitare et ma voix, a découpé un passage au milieu pour mettre un solo, en respiration. Il me l’a envoyée par ordinateur et j’ai dit : "C’est exactement ça que je veux".

Allez-vous faire de la scène ?
J’ai envie d’essayer. J’en vois, des grandes interprètes, qui disent : "Je me sens hyper bien sur scène, c’est là qu’est ma vie". Je trouve ça très beau, mais ce n'est pas une phrase que je formulerais. Je ne dirai jamais que j’ai fait tout ça pour aller sur scène, que ma vie est là. Simplement, si les gens ont envie de me voir, j’aimerais bien essayer de le faire, pour chanter ce disque, pour chanter d’autres choses, pour voir ce que ça fait. Si ça intéresse quelqu’un, je le ferai volontiers, mais je ne veux pas jouer toute seule devant une salle vide.

Si les choses fonctionnent bien, vous voyez-vous chanter trente ans encore ?
J’en prendrais volontiers pour trente ans ! C’est délicieux...

Quelqu'un m'a dit (Naïve)