Le graphisme musical de Claire Diterzi
Pour enfanter ce second album solo, Claire Diterzi, ex-chanteuse de Forgette Mi Notte a pris pour muses onze œuvres d’art. Piochant dans les nus de Rodin et de Camille Claudel ou dans les toiles de Fragonard et de Toulouse-Lautrec des idées de textes, de mélodies… et même de voix. Un an de travail précis et intensif qui a porté ses fruits : Tableau de Chasse s’effeuille avec un délice renouvelé à chaque écoute.
Tableau de chasse
Pour enfanter ce second album solo, Claire Diterzi, ex-chanteuse de Forgette Mi Notte a pris pour muses onze œuvres d’art. Piochant dans les nus de Rodin et de Camille Claudel ou dans les toiles de Fragonard et de Toulouse-Lautrec des idées de textes, de mélodies… et même de voix. Un an de travail précis et intensif qui a porté ses fruits : Tableau de Chasse s’effeuille avec un délice renouvelé à chaque écoute.
RFI Musique : Vous avez créé cet album en vous inspirant de sculptures et de peintures.
Comment l’idée vous est-elle venue ?
Claire Diterzi : Elle s’est imposée d’elle-même. Ces dernières années, j’ai composé pour le théâtre, la danse (avec le chorégraphe Philippe Decouflé), le dessin (avec Titouan Lamazou) et le cinéma (avec la B.O de Requiem for Billy the Kid). Je ne l’avais jamais fait pour la peinture et la sculpture, alors je me suis dit : pourquoi pas ! Ça n’a pas été facile : contrairement à la danse et au cinéma, il s’est agi d’écrire sur des œuvres figées et silencieuses. Un comble pour la musique ! Alors j’ai trouvé des trucs. Pour les sculptures, par exemple, j’ai beaucoup travaillé les rythmes, les sonorités. Pour qu’on entende le son du marteau et du ciseau sur la pierre.
De quelle manière s’est concrètement déroulé le travail avec les œuvres ?
J’ai commencé par acheter plein de représentations de tableaux, de sculptures, et aussi des beaux livres d’art, que j’ai découpé sans scrupule ! Au final, je me suis retrouvée avec un cahier bondé d’une centaine d’images. J’avais déjà des chouchoutes en tête, comme La Danaïde de Rodin. J’en ai choisi onze et, malgré moi, toutes représentaient des femmes. J’en suis arrivée à écrire des chansons d’amour, qui parlent du couple, de la sexualité, de la sensualité. Pour chaque chanson, j’ai passé un mois en tête à tête avec l’œuvre, complètement absorbée par elle. Je me suis inventée un film sur chaque personnage représenté : ce qu’il venait de vivre, sa personnalité… Puis, j’ai joué la comédienne avec ma voix. J’ai de la chance, elle me permet de faire ce que je veux : imiter Piaf ou Fréhel, faire l’enfant, la diva, la chanteuse orientale…
Sur le titre La Vieille chanteuse, votre voix est méconnaissable…
J’ai créé ce morceau à partir d’un portrait de Toulouse-Lautrec qui représente la chanteuse de music-hall Yvette Guilbert. J’ai pris la voix d’une femme de quantre-vingts ans et la façon de chanter en vogue au XIXe siècle. Je me suis projetée cent ans en arrière, sans micro, dans un cabaret enfumé, avec le petit nabot Lautrec qui me croquait, les putes du bordel les fesses à l’air, les bougies… J’ai ensuite ajouté un traitement du son pour abîmer le tout et lui donner une patine à l’ancienne, pour que ça sonne comme un gramophone.
La chanson A quatre pattes, avec ses sons dansants et artificiels, vous a été inspirée par une sculpture de l’Américain Allen Jones qui représente une femme-meuble, en forme de table basse. C’est de la provoc’ ?
J’ai découvert cette œuvre de Pop Art pendant mes études d’art. Elle m’avait bien fait rigoler. L’utiliser pour l’album m’a permis de fustiger les clips de r'n’b qui me font gerber. Avec ces mecs qui se la pètent, ces bimbos en string qui se trémoussent sur des blacks à tatouages et aux lunettes de soleil. C’est de l’esthétisation forcenée et une débauche de moyens inutile et honteuse. Vocalement, j’ai galéré pour trouver le ton qui convienne à tout ce superficiel. Puis j’ai pensé à Barbie et la voix d’une potiche de dessin animé s’est imposée !
Vous venez du rock mais Tableau de chasse est multi styles, donc assez inclassable. Etre un ovni musical, ça ne vous dérange pas ?
Non. Je ne suis peut-être pas "étiquetable" mais je suis libre. On vit dans une aire trop consensuelle. Les artistes ont peur de sortir du cadre, le public aussi. Moi j’ai envie d’art, d’audace, de nouveauté. J’ai un métier qui me permet de donner tout ça, alors je le fais. Avec cet album, j’ai voulu qu’on se balade. J’ai donc cherché des sonorités qui déplacent les gens dans le temps et dans l’espace. Avec pour seules références B 52’s et la compile Le mystère des voix bulgares ! Ce sont les deux choses qui m’ont le plus plu dans ma vie. B 52’s, ça me rappelle mon adolescence. Je voulais retrouver leur son très binaire et très radical sur certains titres de Tableau de chasse. Quant aux voix d’Europe de l’Est, elles me fascinent : elles viennent de je ne sais où avec une puissance enfantine et des harmonies hallucinantes. C’est tellement jouissif de chanter ça que j’en ai mis sur le titre Je garde le chien.
Vous avez maîtrisé la conception de ce disque de bout en bout … ?
J’ai fait 90% de l’album toute seule, dans mon studio à Tours. Avec mon ordi et Cubase, mon micro, mes guitares, mes percus, mes castagnettes… Quand il me manquait un son, je le créais. Le seul que j’ai samplé, c’est celui des trompes de chasse pour Tableau de chasse. Il n’y a que moi qui pouvait aller au fond de ce que m’évoquaient les œuvres. J’avais besoin de cette solitude pour aller au bout de mes délires, pour me concentrer. Quand j’écris, je me documente énormément. Il me faut des encyclopédies, des dictionnaires… Je suis vachement bosseuse et exigeante. Je trouve cette précision jubilatoire. Je suis impatiente d’aller bientôt partager tout ce travail sur scène !
Ecoutez un extrait de
Claire Diterzi Tableau de Chasse (Naïve) 2008
En concert du 22 au 24 février, au Théâtre national de Chaillot, à Paris.