Bernard Lavilliers toujours en partance

La tête au Liban, un pied en Jamaïque et l’autre aux Etats-Unis, Bernard Lavilliers nous propose un nouveau carnet de voyage musical. Ce Samedi soir à Beyrouth a été construit sur une base reggae agrémentée d’influences soul, blues ou orientales. Un disque enregistré dans de mythiques studios de Kingston et de Memphis. Un album sombre et hypnotique marqué par l’ambiance si particulière de la capitale du pays du cèdre. Bernard Lavilliers nous en parle avec bonhomie.

Dix-septième album studio au compteur !

La tête au Liban, un pied en Jamaïque et l’autre aux Etats-Unis, Bernard Lavilliers nous propose un nouveau carnet de voyage musical. Ce Samedi soir à Beyrouth a été construit sur une base reggae agrémentée d’influences soul, blues ou orientales. Un disque enregistré dans de mythiques studios de Kingston et de Memphis. Un album sombre et hypnotique marqué par l’ambiance si particulière de la capitale du pays du cèdre. Bernard Lavilliers nous en parle avec bonhomie.

RFI Musique : Comment a débuté la conception de ce nouvel album ?
Bernard Lavilliers : Mon projet, c’était d’avoir pas mal de bases jamaïcaines tout le long mais qui auraient pu être orientalisées. Je pensais que le fils de Fairouz, Ziad Rahbani m’écrirait des cordes mais en juillet 2006, à cause de la guerre, ce n’était plus tellement possible. Ce n’est que repoussé. On l’a fait avec d’autres gens qui jouaient des flûtes, du saxophone en roseau et du oud. On est arrivé au titre Samedi soir à Beyrouth, un reggae très très lent, modal avec quasiment qu’un seul accord tout le long comme dans la musique orientale.

Pourquoi le Liban ?
Je connais Beyrouth depuis 1982. Je suis parti là-bas le 1er février 2006. J’ai commencé à écrire sur la ville, ce qu’elle était devenue par rapport à ce que j’avais connu, c’est à dire reconstruite par Rafic Hariri [Premier ministre du Liban entre 1992 et 2004, assassiné en 2005, ndlr]. Les Libanais sont des gens assez particuliers. Il ne faut pas leur parler de la guerre, c’est mal élevé. J’ai essayé de retraduire ça dans les chansons. En permanence, il y a une guerre en latence. Des deuils non assumés, des histoires de clan en plus des histoires de religion. C’est un mille-feuille, c’est très compliqué. Et en même temps, ils font la fête comme personne. Ils ont un besoin intense de vivre parce qu’effectivement, ils peuvent mourir le lendemain.

Le samedi soir, je suis allé voir des concerts dans un lieu qui s’appelle le Music Hall. Et le dimanche suivant, l’ambassade du Danemark explosait à cause de l’affaire des caricatures de Mohamed. C’était extrêmement dangereux, ça aurait pu tourner à la guerre civile. Vu la tension sur place, j’ai trouvé remarquable que les chefs ne ressortent pas les armes. J’ai donc écrit une deuxième chanson Ordre Nouveau avec ces paroles  "la peur ne nous tuera pas". Les gens, en écoutant ce morceau auront peut-être l’impression que je ravive la flamme de mon passé d’anarchiste. Ce n’est pas que ça. La suite de l’album n’est pas inspiré par Beyrouth mais au fond, cette histoire m’a beaucoup marqué.

Vous avez aussi enregistré à Kingston en Jamaïque…
J’adore la façon dont les Jamaïcains font des rythmes lents. J’ai enregistré dans le studio Tuff Gong. Je connais une partie des musiciens depuis 1979. Je leur ai fait écouter une maquette extrêmement rudimentaire. Ensuite, il a suffi de faire tourner. Moi je chantais, on recommençait une dizaine de fois jusqu’à ce que ça vienne et on enregistrait.

Autre lieu mythique, vous êtes parti sur la route de Memphis…
J’ai fait deux chansons typiquement soul là-bas, Ma belle et Je te reconnaîtrai. Nous étions dans le studio de Willie Mitchell, un grand spécialiste âgé de 80 ans. C’est le seul producteur de soul avec un studio encore en exercice, les autres comme celui de Stax sont des musées. Là aussi, j’ai chanté avec les musiciens jusqu’à ce que ça tourne. C’est la seule manière d’être crédible, sinon ils te prennent pour un touriste et ils font le minimum syndical. Après, on leur a fait écouter les rythmiques jamaïcaines en leur disant d’ajouter des cordes, des cuivres et même des guitares wah-wah. J’ai rencontré Skippy, le mec qui a fait les guitares sur le titre Shaft. Assez génial le gars ! Finalement à Memphis, le reggae, ils connaissent ça de très loin. C’est marrant comme aux Etats-Unis, par villes et par états, ils ont leur musique et ils ne s’intéressent pas au reste. Pour eux, on était exotique. Ils n’avaient peut être jamais rencontré de Français qui chante sur du reggae.

C’est comment comme ville, Memphis ?
Le centre ville est désert. A 9h du soir, tous les restaurants sont fermés. Moi je me levais très tôt pour aller faire de la boxe dans une salle et à 7h du matin, il n’y avait pas de bagnole. Il n’y a même pas d’embouteillage ! Il y a eu comme une déflagration dans cette ville. Tout est à vendre. On a l’impression que les mecs ont déserté leurs magasins. Ça fait très ville de chercheur d’or : "On a rien trouvé alors on s’en va en laissant tout en l’état."

Retour en France. Avec le titre Bosse, vous brocardez la "valeur travail" mise en avant lors de la dernière campagne présidentielle. C’est une prise de position ?
Depuis un an, ils nous assomment en disant que les Français ne foutent rien, qu’ils passent leur temps en vacances, qu’ils sont tous au chômage ou au RMI… Mon père a travaillé, moi je travaille, on est tous obligé de bosser, on y échappe pas. Mais bosser  24h sur 24, je ne suis pas sûr que ce soit efficace. Le titre est écrit au quatrième degré. Bosse, je ne suis pas contre, c’est une grosse dérision des slogans politico-médiatiques. J’ai raccourci le "travailler plus, pour gagner plus" avec un simple "Bosse" qui swingue beaucoup plus ! On pourrait presque faire un clip dessus, du genre Les Temps modernes de Chaplin.

Bernard Lavilliers Samedi soir à Beyrouth (Barclay) 2008
En tournée en France dès le mois de février, et au Zénith de Paris du 13 au 15 mars.