SŒUR MARIE KEYROUZ

Fès, le 7 juin 2001 – La religieuse libanaise Sœur Marie Keyrouz était l’invitée du Festival des Musiques Sacrées à Fès le samedi 2 juin et ce, pour la troisième fois en sept ans. Retour sur un destin exceptionnel et interview.

Portrait d’une dame en noir

Fès, le 7 juin 2001 – La religieuse libanaise Sœur Marie Keyrouz était l’invitée du Festival des Musiques Sacrées à Fès le samedi 2 juin et ce, pour la troisième fois en sept ans. Retour sur un destin exceptionnel et interview.

Elle a tout d’une Diva. Une voix rare et une beauté sans égal. Le monde du show business aurait aimé en faire une nouvelle Barbra Hendrix ou une autre Feyrouz. Mais Sœur Marie Keyrouz n’est pas de celle qui s’en laisse conter. Le livre qu’elle a écrit s’intitule «Je chante Dieu» et cela ne fait aucun doute. Elle est grande, carrée et porte immanquablement une robe noire que seule une croix byzantine autour du cou vient égailler. Ses pommettes sont hautes et ses yeux bleus brillants viennent adoucir un visage volontaire.

Elle est née au Liban dans un village du nom de Dier El Ahmar. Très tôt, dans sa chorale, on a su déceler une voix hors du commun. Quand éclate la guerre dans son pays, la jeune femme qu’elle est alors, réalise que sa vocation est de devenir religieuse. De confession maronite, elle va entrer dans la congrégation des sœurs Basiliennes Chouérites. Elle veut se consacrer aux autres et envisage de devenir médecin. Mais le poids de la tradition la fera renoncer car dans cette congrégation, une sœur ne peut exercer ce métier. Ce renoncement et cette déception profonde l’auront sans doute poussée inexorablement vers le chant, domaine dans lequel elle semble avoir hérité d’un «don de Dieu».

Sœur Marie Keyrouz va se servir de sa voix comme d’un instrument de paix. «J’avais commencé à chanter depuis l’âge de 4 ans, j’étais déjà semi-professionnelle à douze ans. Mais c’est en 84 que j’ai vraiment senti qu’il y avait dans ma voix une mission, un message. J’ai vécu la guerre au Liban, j’ai vu les morts, j’ai vécu l’atrocité de la guerre et les gens réclamaient le chant.» Elle parle alors avec émotion du jour où elle a apporté du réconfort à une mère qui venait de perdre son enfant. Bien que très bouleversée, elle a chanté devant elle a cappella et a réussi à l’apaiser. «A défaut de vaincre le Mal avec le Bien, nous avons choisi de le vaincre avec le Beau ».

Pour Sœur Marie, le Beau se trouve aussi bien dans les chants sacrés des Eglises Chrétiennes d’Orient, dans le répertoire sacré de la musique occidentale, de Gounod ou de Schubert, que dans des chants inspirés par la religion musulmane. Pour le récital donné à Fès avec l’Ensemble pour la paix, composé de musiciens chrétiens et musulmans, elle a choisi d’interprété un poème de Rabi Al Hazaouia, martyre musulmane du VIIème siècle. «Son texte est extraordinaire. C’est la première musulmane qui ait parlé de l’amour divin. Elle s’était retiré dans le désert et avait décidé de se consacrer à Dieu.» Car Sœur Marie Keyrouz milite pour le rapprochement des hommes et donc des religions. Ses choix artistiques ne sont dictés que par sa foi. Elle considère que sa voix exceptionnelle n’est qu’un instrument : «Quand je suis sur scène, je ne me sens pas du tout moi-même. Mon nom s’efface, il n’y alors plus que son nom. Le nom de Dieu. Il est le premier artiste pour faire ce monde merveilleux.»

Un poète libanais Rawad Tarabay vient de publier un recueil de poèmes dans son pays. L’un d’entre eux est consacré à Sœur Marie : «Cela m’a beaucoup émue. Cela m’encourage. Mais ce poème ne m’est pas adressé. Il s’agit de quelqu’un (ndlr : Rawad Tarabay) qui déclare ce qu’il ressent en m’écoutant chanter et non pas en me voyant. C’est un poème adressé au talent de Dieu.» Avant d’être chanteuse, Sœur Marie Keyrouz est religieuse. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’être très active dans son domaine. Elle est Docteur en musicologie et anthropologue religieuse à l’Université de la Sorbonne à Paris. En 1994, elle a fondé dans la capitale française, l’Institut International des Chants Sacrés. Ses élèves viennent du monde entier et les listes d’attente sont longues.

Sa passion pour la connaissance l’a même incitée à faire pratiquer une radioscopie de son larynx. «Il fallait que je comprenne ce qu’il a dans ma gorge. Mon larynx est ouvert à toutes les techniques vocales, orientales comme occidentales. Cela permettait de comprendre un peu mieux la cloison qui existe entre chanteurs orientaux et occidentaux. Ce n’est pas le même type d’émission vocale. J’ai donc scientifiquement mis ma voix au service des chanteurs quels qu’ils soient, afin de casser les barrières culturelles et surtout religieuses ».

Ici à Fès, elle a interprété les Psaumes pour le Troisième millénaire du nom de son dernier opus. La communion avec le public était totale. Sa voix limpide et son timbre rare ont littéralement envoûté les Fassis. Consciente d’être dans une ville où la spiritualité tient une grande place, elle déclarait «A Fès, on se sent humain. Alors qu’il y a dans le monde entier, des haines, des atrocités, des horreurs… avec le chant, l’art et la beauté, on a envie de se dévoiler, de dévoiler l’Homme, de dévoiler le Divin qui est dans chaque homme.» Croyant ou non, nous devrions tous être attentifs à ce discours de tolérance et de paix, à cette leçon d’humanité.

Entretien réalisé par Laurence Aloir
Texte et photos Valérie Passelègue