Hureau évoque Barbara
Serge Hureau est directeur du Hall de la Chanson et également chanteur. Après avoir créé un spectacle à partir des répertoires de Charles Trenet et d'Edith Piaf, il s'attaque avec La Grange aux Loups, aux carnets de notes de Barbara.
Sainte Barbara, chantez pour nous
Serge Hureau est directeur du Hall de la Chanson et également chanteur. Après avoir créé un spectacle à partir des répertoires de Charles Trenet et d'Edith Piaf, il s'attaque avec La Grange aux Loups, aux carnets de notes de Barbara.
Cinq ans après sa disparition, l'oeuvre de Barbara suscite toujours autant d'émotion, voire de passion. Telle une madone, certains la vénèrent. Telle à une soeur, d'autres lui confient leur coeur. Le mercantile (Mercury) réédite ses disques et nous offre, par la même occasion, quelques inédits qui valent le coup d'oreille. Des âmes plus subtiles (Serge Hureau & Valérie Lehoux) font leur chemin de Damas, ou plutôt de Précy-sur-Marne, en confectionnant un remarquable site internet consacré à la chanteuse. Certains jubilent (Hureau encore !) en proposant un éclairage neuf sur le sens profond de ces textes, de cette souffrance dont Barbara a su faire un baume pour elle et pour ceux qui l'aiment. Il nous raconte ce chemin entre scène et net.
Lorsque l'on voit votre spectacle, on se dit qu'un néophyte prendrait cette chanteuse pour une dépressive chronique, recluse dans sa maison comme dans un couvent et n'ayant que deux obsessions : l'amour et la mort.
Chez un artiste, ce qui est passionnant, c'est de voir si longtemps après, qu'il a une oeuvre qu'on découvre ou qu'on redécouvre sous d'autres facettes. Ce que vous venez de dire est effectivement souvent ce que les gens pensent au départ en écoutant le travail de Barbara. Dans ses chansons, elle sublime, elle dit les choses de manière très crue ou au contraire très voilée. Dans les années 60, elle a écrit un programme pour un concert à Bobino où elle disait : "Je ne suis pas une intellectuelle, je ne suis pas un poète, je ne suis pas une femme qui vit dans le noir, je ne suis pas obsédée par la mort". Elle affirmait cela et moi, je crois qu'elle est au contraire tout ce qu'elle nie. Elle regarde la réalité mais de manière très abrupte parce qu'elle en a pris plein la gueule. Parce que, quand à l'adolescence on s'est fait violer par son père ou poursuivre par la gestapo parce que juive, il est certain que très tôt, vous apprenez qu'il faut avaler des couleuvres et, malgré tout, tenir le coup. Ce qui est frappant chez Barbara, c'est qu'elle parle très directement aux gens et ce faisant, elle les soutient terriblement !
Qu'est ce qui vous a le plus marqué sur son travail en montant ce spectacle ?
Elle raconte beaucoup ce qu'est la vie d'une artiste en tournée. Qui va de ville en ville pour faire son spectacle et donner du plaisir aux gens, un peu comme une putain qui fait une passe. Elle dit qu'elle va à la rencontre amoureuse de son public. Un de ses plaisirs était d'être à l'affût du bruissement du public qui peu à peu remplit la salle. La plupart des artistes détestent cela et se calfeutrent. Elle non ! Elle adorait entendre le public qui vient vous "bouffer". Elle se comparait beaucoup aux religieuses et disait qu'elle avait pris l'habit noir comme on prend le voile. Sa loge était un endroit de recueillement. Dans la vie, elle n'est pas du tout comme ce personnage sombre que certains idolâtrent. Elle rigolait beaucoup, très mondaine, caustique au possible, assez méchante, très comique. Dans sa loge, elle avait toujours une phrase de son spectacle Lily passion qui disait "J'ai peur, mais j'avance".
Vous théâtralisez certaines chansons comme Dis quand reviendras-tu ? où vous murmurez le texte plutôt que de chanter, pourquoi ?
Elle y parle du manque de l'autre. Le passage où elle dit "Je te parle tout bas, j'ai le mal d'amour, j'ai le mal de toi". Je trouve cela très beau, très intéressant. Et je me suis dit : "Parlons tout bas, murmurons sur scène". On a là une femme qui se dévoile dans le murmure. D'ailleurs, elle est allée loin. Elle a dévoilé avant sa mort qu'elle avait été violée par son père et du coup, on entend des chansons comme Au cœur de la nuit d'une autre manière.
Quels sont ceux vers qui vous êtes allé pour concevoir et récolter les témoignages du site internet ?
Avec la journaliste Valérie Lehoux, qui a une connaissance très fine du sujet, on est allé voir les gens qui ont travaillé avec elle. Jacques Attali, par exemple, nous a dit des choses très fortes sur le fait, par exemple, que peu de gens savaient qu'elle était juive. Le jour de son enterrement, des journalistes étaient très surpris de se retrouver dans le carré juif du cimetière de Bagneux. Attali explique qu'à la fin de sa vie, elle a énormément parlé de cela. Comme de la chanson Göttingen. Rendez-vous compte ! Quinze ans après la guerre, cette femme a été la première à faire le chemin d'un certain pardon. Allez chanter dans un pays où les spectateurs sont probablement des enfants de nazis ! Ce n'était pas évident. Mais Attali nous explique que c'était important pour elle. D'autres nous expliquent qu'elle avait énormément de difficulté pour écrire. William Sheller ou Roland Romanelli nous racontent aussi les nuits interminables et les petits matins passés dans sa maison pour pouvoir accoucher d'une chanson ou d'une mélodie. On a essayé d'accumuler aussi des interviews faites avec des journalistes parfois un peu complaisants et parfois où elle fait un vrai travail de réflexion sur ce qu'est son métier. Quelle était sa démarche, pourquoi, comment elle montre un chemin.
Coffret L'aigle noir intégrale des albums studio enregistré de 1964 à 1996. Plus Versions inédites 1964/1967. Mercury /Universal.
DVD Barbara à Pantin 1981 Universal.