VU D’AILLEURS Janvier 2004

Francophobes, les Etats-uniens? La musique, langage universel s’il en est, ne s’embarrasse ni des idéologies ni des campagnes médiatiques. Après le succès du second album des Nubians l’an dernier, d’autres artistes venus de France ont récemment conquis le coeur de certains médias.

Vu d’Amérique

Francophobes, les Etats-uniens? La musique, langage universel s’il en est, ne s’embarrasse ni des idéologies ni des campagnes médiatiques. Après le succès du second album des Nubians l’an dernier, d’autres artistes venus de France ont récemment conquis le coeur de certains médias.

Oublions l’actualité internationale. La crise au Proche-Orient, l’après-guerre en Irak, la mondialisation économique, la construction européenne, bref tout ce qui divise depuis un an les administrations américaine et française. Parlons musique. Le duo versaillais Air revient le 27 janvier, avec la sortie de leur nouvel album studio, Talkie Walkie (Virgin/EMI), qui paraîtra une semaine auparavant en avant-première mondiale au Japon. C’est que, depuis six ans, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel sont devenus des poids lourds des musiques électroniques. Billboard, la Bible de l’industrie de la musique aux Etats-Unis, ne s’y est pas trompée, leur consacrant un long article dans l’édition du 10 janvier. «Selon EMI, le duo a vendu 3,2 millions d’albums à ce jour», dont 1,8 million de Moon Safari, leur tout premier CD. Produit par Nigel Godrich, qui a notamment œuvré pour Radiohead, «Talkie Walkie contient trois instrumentaux et sept chansons. Godin et Dunckel chantent sur chacune d’elles, en lieu et place des chanteurs invités sur les premiers albums», note Billboard. «Nos deux premiers albums étaient la thèse et l’antithèse», a déclaré Nicolas Godin lors d’un point de presse rapporté par Billboard. Ce troisième disque ouvrirait une nouvelle ère, y compris dans leurs relations avec leur maison de disque. «Dunckel clame que le duo a perdu ses ‘affinités’ avec Virgin: ‘Nous pensons que notre maison de disques devrait avoir une vision des choses à plus long terme’.» Godin et Dunckel s’affirment attentifs à la manière dont Virgin gèrera la promotion de Talkie Walkie et compte renégocier leur contrat. En attendant, pour fêter ce nouveau disque, Air s’apprête à entamer une grande tournée, qui partira fin janvier du Japon, et atteindra l’Europe en février et mars, puis les Etats-Unis en avril.

Dans un genre (le rap) qui privilégie le verbe, MC Solaar est le seul Français à susciter l’intérêt, sinon la curiosité, de la presse américaine, à défaut de toucher un large public, barrière de la langue oblige. D’ailleurs, le message a parfois bien du mal à passer. «Le sens de l’aventure a depuis longtemps abandonné la musique de Claude M’Barali, alias MC Solaar», estime non sans raisons Michael Freedberg, le chroniqueur de l’hebdomadaire The Boston Phoenix (9-15/1), après une écoute qu’on espère assidue de son récent opus, Mach 6 (East West/Warner). «Ce qu’il reste? (…) Une volonté d’utiliser et de réutiliser, à l’aide de combinaisons sans cesse renouvelées, les mélodies, les atmosphères, les rythmes lents, les chorus et les permutations jazz» que Solaar a toujours adoré. Pas mal, mais pas excitant non plus, encore moins surprenant. «Il connaît son rôle», flaire d’ailleurs le Boston Phoenix, décidément bien perfide.

Souad Massi semble avoir plus d’attrait. C’est en tout cas l’humble avis du New York Times (7/1), qui passe en revue l’album Deb, commercialisé en 2003 en France sous étiquette Island et désormais disponible outre-Atlantique grâce au label Wrasse.«Dotée d’une belle voix et d’une large palette d’influences qu’elle extirpe, Souad Massi est l’une des nouvelles chanteuses les plus intéressantes d’Afrique du Nord. Influencée à parts égales par la musique chaâbi et la chanson française, cette guitariste et chanteuse algérienne, qui vit aujourd’hui à Paris, produit une musique à la fois exotique et familière.»

Classique et «classieux»

En ces temps (malheureusement révolus) de trêve des confiseurs, seuls les artistes classiques ou lyriques se sont véritablement distingués sur les scènes nord-américaines – raison de plus pour mettre en lumière des personnalités peu médiatisées d’ordinaire, comme Pierre Boulez et Roberto Alagna. Le Chicago Sun Times (16/12/03) s’est récemment émerveillé de la soirée donnée au Harris Theater de Chicago par le chef d’orchestre Pierre Boulez qui, avec les Chicago Chamber Musicians, et face à 850 spectateurs, «a joué un programme de musique contemporaine». A l’honneur: Edgard Varèse, Elliott Carter, Anton Webern et Harrison Birtwistle. «Peut-être que les gens étaient ici pour voir le nouveau théâtre. Peut-être étaient-ils là pour Pierre Boulez. Quelle qu’en soit la raison, ils ont entendu le meilleur de la musique contemporaine, jouée avec talent par des musiciens dévoués à un public avide d’entendre quelque chose de nouveau. Un beau cadeau de Noël, assurément!»

Gilles Rio