Keren Ann en liberté

Actuellement en tournée en Amérique du Nord, la chanteuse Keren Ann vient de sortir un nouvel album en anglais qui porte simplement son nom. Simplicité apparente, la jeune femme est en effet une véritable chercheuse de sonorités nouvelles, hors des tendances du moment, presques intemporelles.

Nouvel album en anglais

Actuellement en tournée en Amérique du Nord, la chanteuse Keren Ann vient de sortir un nouvel album en anglais qui porte simplement son nom. Simplicité apparente, la jeune femme est en effet une véritable chercheuse de sonorités nouvelles, hors des tendances du moment, presques intemporelles.

Un rien habille sa voix. Avec Keren Ann, qu'elle chante en français ou en anglais, la légèreté du timbre en même temps qu'une production d'orfèvre vous emmène vers des contrées imaginaires, vaguement mélancoliques et toujours élégantes. Sorti il y a quelques semaines, l'album simplement intitulé Keren Ann vient apporter, s'il en était besoin, un peu plus de certitude quant au talent de son auteur.

Rencontrée à Paris avant qu'elle ne s'envole vers l'Amérique du Nord pour une série de concerts, Keren Ann, jeune artiste décidée, sait ce qu'elle veut : "Chacun a sa manière de travailler. En ce qui me concerne, je connais l'ambiance et l'atmosphère de l'album que je veux faire. Je ne sais pas par quel moyen y aller, quel chemin je vais prendre. Je ne sais pas si je vais d'abord enregistrer la rythmique, d'abord les guitares, tout ensemble. En général, je commence toujours par enregistrer dans mon studio avant de savoir ce que je choisis, soit guitare/voix, soit piano/voix. Ensuite j'ai les idées qui viennent." Solitaire, à la recherche de d'un résultat qui puisse la satisfaire, elle ne laisse rien au hasard.

Fonctionnant beaucoup à l'instinct, elle n'en oublie pas moins que la chanson a aussi besoin d'être construite. En cela, Keren Ann rappelle quelques uns de ses principes : "L'écriture des chansons reste pour moi la chose la plus importante d'un album. On va en studio parce qu'on a des chansons. C'est vrai que parfois il y  a des chansons qui viennent plus rapidement que d'autres mais avant que nous soyons satisfait, elles demandent qu'on les aiment. Tout cela est très instinctif. Même si dans le fond toute forme de création, c'est à la fois l'instinct et l'architecture, il y a toujours un peu des deux. C'est pareil pour le son, la texture, l'orchestration, le choix des instruments, la manière dont on construit la chanson." Après cet étape, le travail continue. Sur cet album, elle précise que la post-production a été une moment  important. Globe-trotter, elle aime arpenter la planète à la rencontre de nombreux autres artistes. Elle se retrouve ainsi dans des studios différents à enregistrer, là un son de guitare, là un morceau de piano.

A l'écoute de cet album, le traitement sonore de sa voix semble particulier. Lointaine quelques fois, aérienne à coup sûr : "Avant j'aimais bien enregistré les voix de manière intimiste, dans de petites pièces, sombres…et là j'ai eu envie d'utiliser des grandes pièces, des hauteurs de plafond, la voix un peu comme sur scène et parfois de la traiter avec certains effets. On peut mettre différents micros, avec différentes compressions, … le son, quand on enregistre la voix nous emmène quelque part et nous donne des idées pendant qu'on enregistre. En général, j'aime bien que la voix soit naturelle et instinctive. L'idée, c'est vraiment de créer une ambiance sonore dans laquelle je peux me noyer, où je peux sentir le chant sortir."

Ecrit en anglais, Keren Ann mélange les genres. De la tradition américaine du song-writing à la mélopée pop, la chanteuse se délecte de n'appartenir qu'à elle-même, toujours touchée par une certaine mélancolie qui la suit depuis ses débuts. Très internationale, "citoyenne du monde", il lui semble presque inopportun de parler d'influences : "Ma musique n'est pas influencée par différentes cultures, elle n'est pas world music. C'est moi qui suis assez cosmopolite. Je me sens chez moi en France, chez moi en Israël, le pays ou je suis née, à New York où j'ai vécu. Je n'ai pas une appartenance nationale à un lieu plus que l'autre. C'est pareil avec les langues, car j'ai été élevé comme ça. Il n'y a pas vraiment de barrières. Et les barrières, les murs qui séparent les gens, je ne les comprends pas. Par moment, cela m'attriste. Quand je reviens ici en France, je trouve qu'il y a trop de barrières entre les différentes cultures. C'est quelque chose qu'il ne devrait pas y avoir. Nous vivons dans un monde qui est grand, mais qui finit par être petit."

L'étriqué, le petit, l'étroit ne semble pas lui convenir. Un souffle de liberté se fait sentir. A la question, existe t'il des contraintes pour vous ? la réponse fuse sans hésitation : "Aucune. Non sinon, j'aurais choisi un autre métier. Déjà quand on choisit d'écrire des chansons, on se doit de raconter des choses avec des couplets et des refrains. On n'écrit pas un roman. C'est une forme d'écriture qui a déjà ses propres limites. Mais là dedans, je suis totalement libre.

Personne autour de moi, ni mes amis ni les gens avec qui je travaille n'écoutent l'album avant qu'il ne soit complètement fini. Plus libre que cela, il n'y a pas. Je n'ai pas envie qu'une réflexion quelconque ne m'influence dans la direction de l'album. Je pense qu'il y a une seule manière de faire ce métier, c'est de faire ce qu'on veut. Après il faut beaucoup travailler pour le faire, avoir de la discipline mais c'est autre chose."

Keren Ann, la trentaine légèrement dépassée, pourrait faire des projets à l'infini. L'avenir ne semble pas la préoccuper outre mesure : "Je n'ai jamais eu de plans, de projets. J'ai laissé la vie m'emmener là ou elle voulait. Toujours. Je suis incapable de vous dire où je serai dans six mois. Je fais avec les ingrédients qu'on me donne. Pour le reste, c'est la vie qui décide. Ce n'est pas dans mon caractère de faire des projets, ça n'a jamais été le cas." Là où d'autres s'interrogeraient sur leur carrière, sur leur devenir dans le monde impitoyable de la musique, la jeune femme répond sereinement : "Je ne dépends pas de mon métier. Peut être qu'il y a dix ans, c'était le cas. Je ne dépends pas aujourd'hui de ma création. C'est elle qui dépend de moi. Je lui donne du temps. Je ne veux pas devenir son esclave parce que je me suis retrouvée dans des périodes où je n'arrivais pas à m'arrêter. Aujourd'hui je pense que c'est important de s'arrêter, de vivre la vie pleinement et moi, en tout cas, j'en ai besoin."

Keren Ann (Delabel/Emi) 2007