VIVALDI L’IRLANDAIS
Paris, le 19 mars 2002 - Plante hybride à l’image de la pochette en forme de croix celte recouverte de cactus, O’stravaganza est le nouvel opus concocté par Hughes de Courson avec Youenn Le Berre. Le premier est le spécialiste des greffes musicales singulières (Bach chez les Pygmées, Mozart en Egypte). Le second, est le pilier de Gwendal, un des groupes phare du folk progressif breton. Commentaire à la croisée des cultures.
Carambolage celto-classique
Paris, le 19 mars 2002 - Plante hybride à l’image de la pochette en forme de croix celte recouverte de cactus, O’stravaganza est le nouvel opus concocté par Hughes de Courson avec Youenn Le Berre. Le premier est le spécialiste des greffes musicales singulières (Bach chez les Pygmées, Mozart en Egypte). Le second, est le pilier de Gwendal, un des groupes phare du folk progressif breton. Commentaire à la croisée des cultures.
RFI Musique : Comment a germé cette rencontre celto-baroque qui consiste à mélanger Vivaldi, incontournable compositeur italien du XVIIème siècle, avec les traditions irlandaises ?
Hughes de Courson : En fait, cette rencontre ne relève pas du hasard. A l’époque de Vivaldi, aux XVII-XVIIIème siècle, il y avait un compositeur irlandais qui s’appelait Turlough O’Carolan. C’était un peu le Alan Stivell de l’époque pour l’Irlande parce qu’il essayait de sauvegarder le patrimoine musical traditionnel de son pays menacé par la colonisation anglaise. Egalement musicien, Turlough O’Carolan rencontra à Dublin un violoniste italien nommé Geminiani qui lui fit découvrir l’œuvre de Vivaldi. Il fut très enthousiasmé par le compositeur vénitien. L’idée de rapprocher la musique baroque italienne de Vivaldi et la tradition celtique est partie de là. Nous avons voulu poursuivre l’expérience quelques siècles plus tard.
Pourquoi renouveler l’expérience de nos jours ? N'avez-vous pas le sentiment d’avoir tout simplement réécrit une certaine partie de l’histoire de la musique ?
Youenn Le Berre : Peut-être, mais quand on est musicien, on a envie de s’amuser avec la musique qu’on aime ou qu’on pratique. Réunir les deux styles a été un jeu pour nous. Et puis à l’époque de Turlough O’Carolan, le rapprochement ne s’est effectué que dans un seul sens. C’était seulement l’influence de la musique nouvelle italienne - dite baroque avec l’explosion de Vivaldi- sur la musique irlandaise. Mais il est évident que Vivaldi n’a jamais été marqué par la culture celte, je ne sais même pas s’il la connaissait. Ce qu'on sait, c'est qu'il aimait les danses populaires. C’est en cela que la musique de Vivaldi est en quelque sorte proche du folklore et de certains rythmes irlandais. Dans beaucoup de ses sonates, on retrouve des rythmes de danses comme les gigues. Ces dernières sont d’ailleurs construites sur les mêmes tempos et tonalités que les gigues irlandaises.
Pour concocter les 14 pièces de votre opus, vous avez dû faire preuve d’une sélection rigoureuse au regard de l’étendue du répertoire de Vivaldi et des musiques celtiques. Quels ont été les critères ?
Hughes de Courson : On a écouté et réécouté chacun toute l’œuvre enregistrée de Vivaldi, ce qui ne représente que 20% de ce qu’il a composé. Ensuite, on s’est laissé bercer. C’est-à-dire que l’on se disait, est-ce que cela peu se marier ? Petit à petit le choix s’est opéré sur un certain nombre de pièces de Vivaldi qui pouvaient correspondre à des rythmes irlandais. Et inversement, avec le patrimoine celtique, c’est ainsi que les 14 pièces ont été retenues. Cela c’est fait vraiment très naturellement.
Au final, O’stravaganza est une partition hybride celto-classique. Quelle est la part d’authenticité dans cette œuvre ?
Youenn Le Berre : Pour que l’on passe du répertoire baroque au registre celtique en douceur, nous avons dû réécrire. Par exemple, certaines gigues sont inspirées de la tradition irlandaise, elles respectent le style mais sont réinventées. Tout est à la manière de. Il n’y a pas que de l’authentique Vivaldi ou du véritable folklore celte, il y a notre touche aussi. Ce qui fait qu’au final, on ne faisait plus la différence entre notre contribution et l’original, car nous avons tellement remué ces musiques. En fait, c’est une espèce d’interpénétration assez fusionnelle. De toute façon, la musique pure, cela ne veut rien dire. C’est comme les races pures, cela n’existe pas. La musique irlandaise, en particulier, est une culture qui a toujours évolué en se nourrissant de tout temps d’influences extérieures.
Cette rencontre musicale a été aussi une rencontre humaine puisque vous avez constitué un ensemble mixte composé de concertistes baroques italiens et de musiciens traditionnels irlandais.
Hughes de Courson : Dans ce genre d’expérience, ce qui nous intéressait, c’était de voir la relation qui pouvait naître entre les êtres humains. En ce qui me concerne, les musiciens sont plus importants que la musique. Ce sont eux qui fabriquent cette matière sonore. En fait, nous avions le désir de favoriser la rencontre de deux mondes différents : d’un côté, des musiciens de tradition orale, de l’autre, des instrumentistes académiques de culture écrite. L’occasion de rappeler cette interrogation : quelle est la différence entre un musicien classique et un musicien traditionnel ? Et bien, pour que le musicien classique ne joue plus, il faut lui retirer la partition. En ce qui concerne l’artiste traditionnel, c’est l’inverse, on doit lui mettre une partition sous les yeux pour le stopper (rires).
La musique c’est pas du papier, c’est du son ! Bref, en l’occurrence, l’ensemble mixte réunissait 18 musiciens, tous de haut niveau. L’échange était donc relativement facile, même si au début, une petite méfiance envers les styles était perceptible. Chacun voulait garder son identité mais ça n’a pas duré, car d’abord ce sont deux musiques européennes. Et puis, au bout de quelques jours, on était tous copains, on bouffait et buvait tous ensemble, on comparait la bière irlandaise avec la grappa (ndlr, eau-de-vie italienne). C’était tous de jeunes interprètes qui avaient envie de s’amuser en travaillant. Vous savez, la musique de Vivaldi est assez festive, tout comme la musique irlandaise.
Chez les disquaires, où est classé ce CD ? Au rayon classique ou musiques du monde ?
Youenn Le Berre : Cela dépend, notre disque se vend bien dans l’espace musiques du monde, mais il est aussi présent au rayon classique. On devrait créer un bac intitulé Omni : objet musical non identifié ...
Avant cette aventure, vous aviez, Hughes de Courson, déjà expérimenté Mozart, l’Egyptien, un triomphe vendu à quelque 150.000 exemplaires, qui succédait à Bach l’Africain avec Lambarena. Visiblement la recette marche. N'est-ce pas un peu facile de réitérer ce genre d’opération ethno-classique ?
Hughes de Courson : C’est vrai que lorsque les gens me demandent si je vais faire Beethoven, l’esquimau, je me pose des questions. Certains m’ont un peu accusé de fabriquer un produit marketing. Ce qui n’est pas tout à fait vrai ! C’est juste dans le sens où les maisons de disques donnent leur accord lorsque je leur présente un projet de ce type. Comme ce genre d’idée fonctionne en terme de vente, c’est normal que les labels répondent présent et nous aident.
Cela dit, j’aime ce style de défi même si la symbiose n’est pas garantie. On apprend à chaque fois des petits trucs : trouver des passerelles entre les cultures, permuter les rôles en faisant, dans le cas présent, jouer du Vivaldi par les interprètes irlandais et inversement. Quand j’ai réalisé en 1994 l’album Lambarena avec la collaboration du grand musicien gabonais, Pierre Akendengué, j’avais le sentiment que ce disque était un peu un collage. Après, en 1997, avec Mozart l’Egyptien, le choc a été encore plus difficile : confronter des bergers du Proche-Orient, considérés comme musiciens, avec un orchestre symphonique occidental.
Aujourd’hui, Vivaldi l’Irlandais c’est très infusé, on passe d’un répertoire à l’autre sans s’en apercevoir. Trop pour certain, mais c’est un jeu. Honnêtement, j’ai toujours eu peur de la musique, dite classique. Ces expériences sont un exutoire pour moi. Ne l’oubliez pas, je suis un autodidacte. J’ai d’ailleurs de nouveaux projets. Le gouvernement chinois m’a convoqué après avoir eu connaissance de ces créations ethno-classiques. Il m’invite à faire quelque chose avec la musique chinoise que je ne connais pas du tout. C’est peut-être le signe d’une nouvelle infusion musicale ...
O’stravaganza (Virgin classics) 2002