Chroniques d'albums : entre rock et pop

Que ce soient Tue-loup, les Hurleurs ou Holden, ces groupes français animent depuis plusieurs années le paysage musical, rock pour les uns, pop pour les autres. Ils n'en sont pas à leur premier essai discographique et tentent de s'imposer en dehors des formats variétés que les acheteurs de disques semblent tellement apprécier. Passage en revue.

Tue-Loup, Les Hurleurs et Holden

Que ce soient Tue-loup, les Hurleurs ou Holden, ces groupes français animent depuis plusieurs années le paysage musical, rock pour les uns, pop pour les autres. Ils n'en sont pas à leur premier essai discographique et tentent de s'imposer en dehors des formats variétés que les acheteurs de disques semblent tellement apprécier. Passage en revue.

TUE-LOUP / Penya (Le Village Vert/ Wagram)

Troisième album pour les Sarthois, troisième touche à une partition pour le moment sans rature. N’oublions pas le véritable tout premier album auto-produit, rare et jamais distribué, uniquement aux concerts. Découvert il y a quelques années grâce à l’album La Bancale en 1998 avec notamment ce titre imparable En rasant les murs, le groupe n’a depuis cessé de rallier les foules. Ainsi qu’une reconnaissance critique avec La Belle Inutileen 1999.

D’emblée les garçons bucoliques du lieu-dit Tue-Loup, imposent leur univers où poésie, onirisme et guitares désertiques s’embrassent dans les flots mélancoliques. Illustré par le chant nuageux et les textes brumeux de Xavier Plumas. A qui l’on pourrait reprocher certains écueils d’un romantisme délétère, une voix qu’on verrait bien secouée de quelques volts supplémentaires. Feutrée, chaude ou traînante et fragile, dommage qu’à terme, la confidence agonise.

A l’aube de cet album, "nouveau" n’a rien d’un argument marketing à tout péter mais bien le maître mot. Nouveau bassiste, nouvel acolyte au clavier, nouvelles influences. Quand l’harmonica de Toro ouvre le territoire d’un morceau défriché par le piano de Bill Evans. Intro gracieuse pour des habitués aux guitares abrasives. Des accents rap aussi, jusqu’aux ambiances électro-jazzy discrètes. C’est une des réussites de l’album, ce jeu perpétuel d’équilibriste fragile, où les guitares folks flirtent avec les déchirures saturées, où le flow furieux de Rom Liteau sur "La main droite du batteur d’Elvis / Aucun signe" révèle les états d’armes schizos d’un Xavier Plumas au cœur lourd. L’originalité se dispute à l’authenticité. Celle d’un hommage posthume et sincère au chanteur réunionnais Alain Peters, Rest’là Maloya ou d'une reprise accaparée à merveille, telle Mon amant de Saint-Jean en d’autres temps.

Enregistré pour la première fois en studio, produit et mixé à la maison dans la ferme familiale, Penya - mauvais garçon en patois sarthois - traduit toute la confiance tranquille d’un groupe sur son terrain, à domicile. Celui des idées graves, des espoirs à venir, brefs des sentiments, de ceux qu’on connaît. Les textes dont la prose maladive et énigmatique est pourtant moins écorchée que par le passé, sont toujours introspectifs mais tendus vers un peu de sérénité. On a beau dire, la vie en ville est peut-être morose, Tue-Loup c’est quand même un peu de grisaille à la campagne.

Pascal Bagot

HURLEURS / Blottie ( Barclay)

C’est vrai qu’il va falloir changer ses habitudes avec Les Hurleurs. Oublier ce premier album Bazar en 1995, ce trublion des cafés concerts imprimant les débuts de son histoire. Trépidant et bavard, bruyant et entraînant, on se sentait presque à l’étroit dans cette java-rock furibarde. Mais aussi comprendre que leur deuxième Ciel d’Encreen 2000 est le trait d’union à l’introduction Blottie aujourd’hui.

Plus électrique, plus instinctif et aérien, voilà un rock qui étouffe mais aspire à l’air frais. Décidés à radicaliser leurs intentions pour cette sortie, les Parisiens ont laissé la part belle à l’empirisme, laissant les compositions se faire et se défaire au fil des improvisations. Pas de schéma préétabli, de calcul carriériste, un patronyme raccourci à sa plus simple expression :Hurleurs.

Tranchant, et le groupe de nous inviter à rentrer rapidement dans le vif du sujet. Une violence sous-jacente. A défaut de lui donner corps, elle s’écrit. Organique. Référencée. De Nick Cave and the Bad Seeds à Tindersticks, reprenant certaines pistes de Kat Onoma. Une sorte de western urbain cotonneux où la chaleur écrase la valse des formes évanescentes. Quelques trompettes mariachis en procession funèbre, des accords de banjo. La voix Jean-Charles Versari. Celle désenchantée des héros fatigués d’un film de Peckinpah, L’Epreuve du Feu et Dans Ton Sommeil. Mais avant tout la volonté de regarder ailleurs, juste pour voir si ce ne serait pas meilleur.

On flirte alors avec des univers prestigieux tout droit hérités de collaborations somptueuses. Produit par Ian Caple (Tindersticks, Bashung, Tricky), la présence du multi-instrumentiste Adrian Utley, guitariste de Portishead, une basse par-ci, un piano par là-bas… décidément proche d’une certaine frange de la scène française, ayant notamment travaillé avec Bashung. Stuart Staples des Tindersticks invité à pousser le refrain sur la reprise de The Other Side of Town de Curtis Mayfield. La reconnaissance des pairs en somme. Les hommages aux aînés aussi. India Songde Jeanne Moreau et The Needle and the Damage Donede Neil Young, tous deux revisités. Ces ambiances aux mots lourds que l’on connaît ailleurs, tendues aux arrangements d’orfèvre. Une sorte de diamant noir dont les multiples facettes révèlent chaque fois une nouvelle part d’un mystère insaisissable. Ici un rock onirique, délicat et ténébreux. Une beauté troublante et l’envie de se blottir dans ce voile noire, même s’il n’a rien de salvateur.

Pascal Bagot

HOLDEN / Pedrolira (Village Vert/ Small)

Un souffle de voix à la Françoise Hardy, une musique électro pop qui lorgne sur les sixties et un producteur germano-chilien, Holden malgré un style baroquo-nostalgique pourrait bien s’imposer avec son second album Pedrolira comme l’avenir d’une pop easy listening à la française.

En 1998, Holden avait marqué les esprits et les oreilles avec une drôle de petite mélodie entêtante à base de sample et de clarinette : La Machine. Mais à part ce succès d’estime, l’album qui s’ensuivit fit un four qui valut à Holden de traverser le désert pop pendant quatre longues années.

Deuxième coup de semonce donc pour cette formation emmenée par Mocke à la guitare et Armelle au chant. Pedrolira - du nom d’une rue chilienne que le groupe a assidûment fréquenté ces derniers temps - se démarque du précédent album par un ton moins sombre, plus chatoyant. Sûrement aidé en cela par le baroque Uwe Schmidt (connu également sous les pseudonymes de Senor Coconut, Lisa Carbon, Atom Heart ou encore Mike McCoy !) Holden se (re)découvre une voix de soie quelque peu noyée sous les guitares de L’arrière monde : celle d’Armelle Pioline. Rehaussée d’un vibraphone à la Modern Jazz Quartet sur C’est plus pareil, d’un piano à la Dave Brubeck ou d’une guitare à la Django Reinhardt sur Une fraction de seconde, les nuances, les subtils arrangements de ces chansons sont le point commun entre l’ancien monde du jazz et les belles inspirations de groupe dont on se délecte comme pour Paris Combo, Pink Martini ou même St Germain.

Dans le studio de Santiago où furent enregistrés les onze titres de ce nouvel album, le groupe parisien semble renaître. A l’image des silhouettes détourées aux roses stylisées et aux jupes Courrèges qui ornent la pochette, Holden, avec le temps présent et celui d’une certaine nostalgie des sixties, est en train de se profiler à l’horizon comme l’un des groupes pop qui comptera à l’avenir.

Frédéric Garat