Kassé Mady Diabaté, griot planétaire

A l’instar de Salif Keita, Kassé Mady Diabaté est l’un des plus grands chanteurs de l’Afrique mandingue. Il vient de sortir un nouvel album, enregistré entre son village de Kela, au bord du fleuve Niger, et Cuba. Le tout produit par un label mexicain !

L’autre voix d’or du Mali

A l’instar de Salif Keita, Kassé Mady Diabaté est l’un des plus grands chanteurs de l’Afrique mandingue. Il vient de sortir un nouvel album, enregistré entre son village de Kela, au bord du fleuve Niger, et Cuba. Le tout produit par un label mexicain !

Formidable voix du Mali, réapparue discrètement en 2000 dans l'album Kulanjan de Taj Mahal et Toumani Diabaté, Kassé Mady Diabaté est un chanteur beaucoup trop méconnu. Au cours de l’été 2002 en France, il fut l’une des belles surprises du festival Les Suds à Arles. Dans la cour de l'Archevêché, accompagné par le joueur de luth ngoni Bassékou Kouyaté, avec Adama Diarra (percussions), Fousseyni Kouyaté (ngoni basse) et Lassana Diabaté (balafon), il a fait une démonstration saisissante de sa capacité à laisser jaillir et susciter l’émotion, mais aussi à mener la tradition dans des chemins très libres.

Kassi Kasse, son nouvel album, a été conçu avec le même état d’esprit, dans une optique d’ouverture et de rencontre. Enregistré entre le Mali et Cuba à l’initiative du label mexicain Discos Corason, il a la bonne idée de rappeler les liens qu’eurent jadis ces deux pays. Boncana Maïga, qui fut arrangeur de Kassé Mady, a vécu neuf ans dans l’île caribéenne avant de fonder l’orchestre Las Maravillas au Mali, dont fit partie Kassé Mady ainsi que le flûtiste Dramane Coulibaly, invité dans ce nouveau projet, produit par Lucy Duran et Eduardo Llerenas.

Kassé Mady y reprend  Maimouna , l’un des succès des Merveilles du Mali et Balomina Mwenga , un titre popularisé par l’Orquesta Aragon, écrit à l’époque par le zaïrois Franklin Boukaka.

Hormis une petite partie des prises faites à Cuba (notamment l’enregistrement de Orlando "Cachaito" Lopez, le contrebassiste vedette du Buena Vista Social Club), tout a été pris en situation, à l’endroit même où Kassé Mady s’est imprégné de l’héritage culturel, de la tradition des siens, avant de la transmettre à son tour, à Kela, un village au bord du Niger, près de la frontière guinéenne. C’est là qu’il est né en 1949, dans l’est du Mali, près de Kangaba, un endroit réputé pour avoir donné au pays de nombreux musiciens talentueux et où sont nées de nombreuses mélodies transmises de génération en génération jusqu’à aujourd’hui. Kassé Mady n’ignore rien de l’importance, du rôle fondamental du djeli (griot), messager, annonciateur de nouvelles, symbole de la culture de l’oralité, miroir et mémoire du peuple.

Artiste incontournable depuis 30 ans au Mali

Lui-même est issu d’une famille prestigieuse de griots. Son lointain ancêtre a combattu aux côtés de Soundjata Keita, grand conquérant de l‘Empire mandingue au XIIIème siècle. Kassé Mady porte le surnom de son grand-père, dont on dit qu’il avait une si belle voix que lorsqu’il chantait, les gens pleuraient. En hommage à celui-ci, il fut donc appelé lui aussi Kassé Mady qui signifie "pleure Mady" (Mady est une variante régionale de Mohammed- Mohammadu/ Mamadu/ Madu/ Mady). Les premiers envols de sa voix fusent d’abord dans les mariages, dans des fêtes, des cérémonies diverses. En 1970, il intègre l’orchestre de Kangaba, le Super Mandé, un nom que son frère Lafia Diabaté, également un des hommes-clés de Kassi Kasse, a conservé pour baptiser son groupe actuel à Bamako, celui en fait qui accompagne Kassé Mady sur ce nouveau projet.

En 1972, le gouvernement, poursuivant sa politique d’encouragement et de valorisation de la culture nationale amorcée après l’indépendance, le désigne comme chanteur du National Badéma, l’un des orchestres nationaux qui sut le mieux transposer le répertoire traditionnel mandingue sur les instruments modernes. Après un passage dans Las Maravillas du Mali (sous la direction astucieuse de Boncana Maïga, un habile mélange entre musique cubaine et tradition mandingue), en 1976, le Badéma est rebaptisé National Badéma du Mali (qui signifie famille nationale du Mali). Grâce à son épatant chanteur Kassé Mady Diabaté, il va marquer durablement les esprits avec des titres tels que Sindiya (réenregistré plus tard par Ali Farka Touré sous le titre Singya), Fodé, qui sera également le titre du premier album solo de Kassé Mady, en 1988, produit par Ibrahima Sylla, réalisé par Boncana Maïga.

Fodé sera suivi par Kela Tradition (distribués tous les deux chez Mélodie), enregistré dans une optique plus minimaliste, avec un parti pris acoustique mettant davantage en valeur les qualités de chanteur de Kassé Mady. On verra également Kassé Mady impliqué dans le projet d’identités croisées Songhai 2, avec le groupe de flamenco espagno Ketama et Toumani Diabaté, qu’il retrouve ensuite dans Kulanjan, avec Taj Mahal. Depuis, Kassé Mady était d’une grande discrétion. Et puis un jour, à Kela, les villageois ont écarquillé les yeux devant l’étrange effervescence régnant autour de l’infirmerie. A l’intérieur, on avait planté des micros. En un rien de temps la bâtisse avait été transformée en studio. Un illustre enfant du pays enregistrait là, sans manière, son nouvel album.

Kassi Kasse – Mande Music From Mali (Hemisphere - Virgin) 2003