Teknival dans la Marne

Le 1er mai pour certains, c'est la fête des travailleurs, pour d'autres, beaucoup moins festifs, le début de la chasse à la tourterelle. Pour d'autres enfin, cette date marque le début de la saison des Teknivals.

Megarave de printemps

Le 1er mai pour certains, c'est la fête des travailleurs, pour d'autres, beaucoup moins festifs, le début de la chasse à la tourterelle. Pour d'autres enfin, cette date marque le début de la saison des Teknivals.

Un Teknival est un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de fous de techno qui se réunissent à la campagne pour écouter de la musique électronique durant quatre jours, le tout bien sûr, sans aucune autorisation. Bref, c'est le côté extrême de la techno et pas le moins intéressant. Cette année, on peut remarquer un véritable tournant de cette scène, avec un public plus jeune, plus féminin mais toujours aussi fêtard.

C'était sûr et certain, cette année le Teknival aurait lieu dans la banlieue lilloise, à quelques kilomètres de la plus grande ville du nord de la France. L'infoline, le répondeur sur lequel sont donnés les lieux de rassemblements, n'a donné l'adresse exacte que tard dans la soirée de vendredi. Les premiers camions chargés de groupes électrogènes, d'ordinateurs, de platines vinyles, d'aliments et boissons à vendre sont arrivés sur les lieux dans la nuit de vendredi à samedi.

Le lieu ? une ancienne base militaire désaffectée située à Marigny, dans le département de la Marne, à 150 kilomètres de Paris. Un ancien aérodrome en fait. Et cela a son importance puisque durant les 4 jours, il pleuvra non-stop et que les routes goudronnées permettront aux ravers de ne pas finir avec une pneumonie. Combien de camions se sont réunis ? Une bonne cinquantaine, ce qui veut dire autant de "sons" différents, du hardcore à la hard techno en passant par la jungle.

25 000 personnes, soit une ville française de taille moyenne, qui se construit en quelques heures, voilà qui interpelle les forces de l'ordre qui ont assisté impuissantes à cette invasion, comme nous l'expliquait Alexis, membre de la tribu des Mas I Mas, une tribu qui prêche la parole jungle depuis de nombreuses années : "Bien entendu, c'est une démonstration de force. Le Teknival du Premier mai est une façon d'évaluer les nouveaux sons. C'est aussi un rassemblement politique. Mais cette année, je suis vraiment surpris puisque je ne connais aucune tribu. Il y a là toute une nouvelle génération de musiciens. La scène des Teknivals se renouvelle et ça c'est une bonne chose."

Nouvelle génération et surtout féminisation du mouvement. Comme les vieux travellers délaissent de plus en plus ces rassemblements massifs pour des raves plus intimes avec seulement quelques centaines de personnes, l'ambiance est moins radicale et n'effraie plus les jeunes filles que l'on retrouve derrière les bars improvisés ou comme Claire qui expose ses photos dans une tente. On ne vous le dira jamais assez : une fête réussie est une fête mixte.

Coté prévention, les infatigables Médecins du Monde étaient présents : les fêtards fatigués pouvaient se retrouver dans leur tente et se reposer un moment. Tout l'attirail préventif de lutte contre la toxicomanie était mis gratuitement à la disposition du public.

Cette nouvelle génération de tribus musicales, contrairement à ses aînés, ne vit pas toute l'année dans ses camions. Les Nawak par exemple, sont assez représentatifs de ces nouveaux enfants des free party : "On suit les Teknivals depuis près de 8 ans. Au début, on était spectateur et puis ensuite, c'est logique on a acheté un camion, des amplis, des ordinateurs et on a commencé à poser des sons un peu partout". Durant quatre jours Greg, Etienne, Romain et ses amis proposeront au Teknival un son "soutenu", comprenez hardcore.

Pour rentrer dans leurs frais et rembourser la location des 20 000 watts, les Nawak ont monté un bar, ils vendent des pizzas, des tshirts et surtout des K7 et des maxis vinyles de leurs live. Bref, une petite entreprise autogérée qui permet de rentrer dans ses frais mais certainement pas de dégager des bénéfices : "Le but c'est vraiment de se dire le lundi, on a pu organiser une belle fête avec une belle décoration, un gros son, et on a fait danser les gens sans les voler puisque tout est gratuit. Les gens d'ailleurs nous laissent de la monnaie, pas des sommes énormes mais juste quelques francs. "

En se baladant dans le village voisin de Sézanne, on se rend compte que les habitants ne sont pas forcément hostiles au Teknival. Une boulangère me dira que pour elle c'est une bonne chose : "Ils sont un peu bizarres ces jeunes, mais ils sont sympas et en plus ils consomment. Moi je n'ai plus rien à vendre. Et puis ici, il ne se passe rien alors ça met un peu d'animation… ". Les forces de l'ordre se sont montrées plutôt discrètes, hormis une camionnette de gendarmes qui relèvent tous les numéros d'immatriculation à l'entrée du Teknival et l'hélicoptère du petit matin qui prend des photos, il semblerait qu'au mieux les autorités laissent faire et contrôlent de loin ou au pire n'arrivent toujours pas à intervenir à temps.

Certains journalistes n'ont toujours pas compris ce qui se joue dans ces rassemblements et pratiquent véritablement la contre-information : clichés, mensonges, incompétence et manque de culture semblent être les qualités requises pour traiter ce mouvement qui peut paraître extrême. Le quotidien national France Soir par exemple, publiait le lundi 30 avril un article édifiant, " rédigé " par une certaine Sandrine Baglin. "Zombis en treillis et dealers se sont donnés rendez-vous pour une rave sauvage et chaotique sous la pluie" ou "Pour accéder à la base, il faut braver les barbelés, se battre avec la boue qui colle aux pieds." Comment se fait-il qu'elle n'ait pas vu la route, comme tous les participants ?

Au final, si ce genre de Teknivals réunit autant de monde, c'est qu'une certaine techno n'a pas droit de cité dans les médias, ni dans les clubs (malgré des ventes d'albums qui ne cessent de s'accroître). Les aficionados y retrouvent aussi l'esprit originel de ce mouvement. N'oublions pas que ces fêtes ne sont jamais que le reflet de notre société, à la fois ultramoderne dans les moyens de communications, mais souvent primaire et brutale dans les relations humaines. Les manifestations syndicales du 1er mai sont là pour nous le rappeler.

Willy Richert