INTERCELTIQUE DE LORIENT 2
Lorient, le 13 août 2000 - Dan Ar Braz et l'Héritage des Celtes étaient en concert au Festival Interceltique de Lorient. Officiellement réuni pour la dernière fois (?), cet ensemble aura marqué toute la décennie musicale en Bretagne. Hier, au Stade du Moustoir, il a finalement produit un moment d'émotion comme on l'attendait pour le spectacle de clôture du festival.
Héritage fini, Celtes pas morts
Lorient, le 13 août 2000 - Dan Ar Braz et l'Héritage des Celtes étaient en concert au Festival Interceltique de Lorient. Officiellement réuni pour la dernière fois (?), cet ensemble aura marqué toute la décennie musicale en Bretagne. Hier, au Stade du Moustoir, il a finalement produit un moment d'émotion comme on l'attendait pour le spectacle de clôture du festival.
Pluie sur la ville et dans les cœurs
Menacé toute la journée de dimanche par un fort crachin, le concert de clôture du Festival de Lorient s'est déroulé sous un ciel enfin dégagé en milieu de soirée. Il a eu lieu au Stade du Moustoir, construit en plein centre-ville, laid, banal et fonctionnel, à l'image de Lorient. L'endroit n'est certainement pas idéal, car un stade, même plein au deux tiers, expose toujours ses surfaces vides. Mais Lorient ne dispose d'aucun autre lieu susceptible d'accueillir les douze à quatorze mille personnes présentes. En outre, les organisateurs ont probablement sous-estimé la puissance de la sonorisation, d'où un concert aux débuts poussifs (malgré la mise en bouche de Call to the Dance), alors que la demi-heure précédente avait été parcourue de "ola" incessantes.
Pour mettre fin à une ambiance polie qu'on était loin d'imaginer, il a fallu attendre l'arrivée du gaitero galicien Carlos Nuñez, suivi un quart d'heure plus tard par l'inusable et toujours efficace Gilles Servat (ah, quand Servat ressert La Blanche hermine... Après une petite heure de musique, le concert démarrait… il était temps ! Dans l'heure suivante, l'Héritage des Celtes continuait à déployer sa grande machine impeccable et huilée, avec ce supplément de cœur que demandait tout le stade, pour s'achever sur le traditionnel feu d'artifice du Moustoir. On assiste alors à une fin de concert qui ne veut pas sonner la fin d'une histoire. "Qu'est-ce que vous voulez entendre ?", lance Dan Ar Braz, un brin démagogique ou réellement ému. Deux rappels plus tard, une quarantaine de musiciens hésitants se dandinent sur scène, tandis que plusieurs milliers de personnes entonnent en chœur les deux phrases des Green Lands, une manière d'hymne. La scène reprend à son tour, personne ne voudrait quitter le stade, mais les adieux sont lancés, les lumières rallumées et la foule se désagrège lentement.
Un Héritage incomplet
La "dernière" de l'Héritage des Celtes a-t-elle été plus difficile à mettre en place que prévu ? Certes, les bases de l'ensemble étaient bien présentes : Dan Ar Braz (guitare, direction), Karen Matheson (chant, superbe dans Left in Peace), Nollaig Casey (violon), Carlos Nuñez (gaïta), Ronan Le Bars (uilleann pipes), Jacques Pellen (guitare), mais quelques Bretons annoncés ont fait défaut au grand Dan. Les spectateurs ont dû, sans explications, se passer du chanteur Yann-Fañch Kemener, du flûtiste Jean-Michel Veillon, du pianiste Didier Squiban, et -surtout- du Bagad Kemper, 'retenu par d'autres engagements" et qu'a remplacé au pied levé un bagad composite.
Au fond, les musiciens présents comme les compositions jouées sont restés fidèles à l'image de l'Héritage. Quoique l'ensemble se proclame "celte", il reste très irlandais (sans oublier la touche galicienne de Carlos Nuñez), rythmiquement sans originalité aucune et, quand il se lance dans le répertoire breton, il devient plus militant, moins intéressant au plan musical et donc vecteur d'un message différent. Dan Ar Braz joue de la même ambiguïté, dont les interventions évoquent la grande camaraderie des musiciens "celtes" (en réalité surtout anglo-saxons) ou la fierté d'être breton, sentiment légitime mais qu'il teinte d'une rancœur maladroite.
Malgre toutes ces réserves, il faut reconnaître qu'au cours de la décennie passée Dan Ar Braz a su réunir d'excellents musiciens dans une aventure au long cours. Il a réussi à mener son navire, porté par un courant populaire, puissant en Bretagne et sensible dans toute la France, qui ne demande pas seulement à suivre la vague des musiques "celtes", mais est avide de grands moments où l'émotion musicale entre en adéquation avec ses aspirations identitaires. Honni soit qui mal y pense.
Jérôme Samuel