Louis Chédid

Il est considéré comme le père tranquille de la chanson française. Après quatre années d'absence, Louis Chédid remet un album sur nos platines. Et même si celui-ci s'intitule Bouc Bel Air, lieu des vacances enfantines du chanteur, la nostalgie n'y est pas de mise. Entre passé et avenir, bilan et constat, espoir et colère, l'objet suscite déjà les applaudissements de la profession et du public.

Retour à Bouc Bel Air

Il est considéré comme le père tranquille de la chanson française. Après quatre années d'absence, Louis Chédid remet un album sur nos platines. Et même si celui-ci s'intitule Bouc Bel Air, lieu des vacances enfantines du chanteur, la nostalgie n'y est pas de mise. Entre passé et avenir, bilan et constat, espoir et colère, l'objet suscite déjà les applaudissements de la profession et du public.

RFI Musique :Bouc Bel Air est votre quatorzième album. Quatorze ! C'est incroyable, non ?
Le plus incroyable est de pouvoir en écrire un quatorzième. J'ai commencé à faire des disques en 1973. On m'aurait dit alors : "Dans 28 ans, tu feras encore un album qui intéressera les gens", cela m'aurait paru totalement abstrait. Mais le plus hallucinant, c'est la manière dont j'ai traversé ces presque trente ans ! Je n'ai pas la notion du temps et je fais un métier où les carrières sont en général courtes. Donc chaque fois que je recommence un disque la grande question est : "Est-ce que je peux encore faire quelque chose qui, tout en m'intéressant, puisse toucher et émouvoir les gens ?". Et je n'ai pas la réponse tant que je n'ai pas fini. Evidemment, pendant la fabrication, j'ai l'avis des quelques personnes qui m'entourent, mais très peu finalement. Ils me disent que c'est bien, mais moi je n'ai pas le recul nécessaire.

C'est à cause de tout cela qu'il vous a fallu quatre ans pour faire cet album ?
Non, c'est un temps normal aujourd'hui. Bouc Bel Air sort maintenant, et j'ai du boulot avec lui entre les tournées et le reste jusqu'à fin 2002. Donc, cela fait presque deux ans. Et comme pour faire un disque il me faut autant de temps, le total est bien de quatre années ! Avant, on pouvait en sortir plus souvent parce que la durée de vie d'un album était beaucoup plus courte. Aujourd'hui, la carrière d'un disque dure entre un et deux ans.

Ce qu'il y a d'étonnant dans votre nouvel album, c'est la diversité des genres. On passe par exemple de L'enfant qui joue au ballon, simple guitare-voix, à Combien, chanson très élaborée, à la base électronique.
C'est marrant, je parlais de cela hier avec un jeune homme qui me demandait comment je faisais pour décider que sur tel morceau, il fallait beaucoup de trucs et sur tel autre presque rien. Je lui ai expliqué qu'au début, au moment des premiers disques, on a tendance à tout remplir, à vouloir le maximum de pistes pleines. Plus ça va et plus on a envie de garder l'essentiel. C'est vrai que dans L'enfant qui joue au ballon, il n'y a rien d'autre qu'une guitare et une voix, presque enregistrées en direct. En écoutant cette chanson, je me disais que l'émotion était là, que si j'ajoutais n'importe quoi, même des cordes, cela alourdirait l'ensemble. Cela cassait le naturel. Alors que pour Combien, c'est au contraire le côté très musical, très orchestré qui apporte un genre de tension au morceau. Je ne réfléchis pas en réalité quand j'écris les arrangements, je ne me pose pas trop de questions. Je me dis juste que c'est comme cela que ça doit être.

Chaque jour est une vie est le premier simple issu de Bouc Bel Air. Cette chanson est très représentative des textes de cet album. En gros vous dites : profitons au maximum de la vie parce que le temps passe inéluctablement, qu'il vaut mieux cela qu'autre chose, qu'il sera peut-être trop tard après. Vous la trouvez profondément optimiste ?
Oui complètement. Pour moi, c'est une démarche de vie de dire "profitons du moment" Quoi de plus naturel ! Ou alors vous faites des projections de vie en disant que dans un an vous serez ici, dans deux là-bas, et tout est calculé. Ce n'est pas mal aussi, hein, je ne critique pas ! Mais il y également l'autre démarche qui consiste à dire "à quoi ça sert puisque demain on ne sera peut-être plus là". Ce n'est pas tant une notion de non-choix. C'est plutôt une philosophie à l'orientale, vous voyez ? Le côté fatalité... Comme on ne sait pas de quoi demain sera fait, profitons du moment.

Aucun texte de cet album n'est totalement sombre ou joyeux. En fait vous êtes quelqu'un de réaliste...
C'est vrai, je suis d'accord. Tout n'est pas noir, tout n'est pas blanc. C'est bêta de dire "tout est moche et dégueulasse", comme c'est bêta de dire "tout est rose et formidable" ! Entre les deux, il y a quelque chose qui existe : la vie des gens tout simplement.

C'est l'observation de soi ou des autres ?
Des deux. Je pense qu'on ne peut pas écrire des chansons ou des livres si on reste dans sa tour d'ivoire sans regarder personne. Alors évidemment, ce sont aussi des choses que l'on ressent. Mais on a toujours l'impression que l'on a ses émotions propres, qu'elles sont uniques, que les autres ne les connaissent pas. C'est absolument faux. L'écriture c'est forcément un peu autobiographique. Ce n'est jamais totalement inventé, sans rapport avec soi. Surtout quand on est auteur-compositeur. Je me suis rendu compte avec le recul que des titres que je pensais être hors ma biographie, sont totalement internes à celle-ci. Après des années, il m'est déjà arrivé de dire "Ah, oui ! Je comprends maintenant pourquoi j'ai fait cette chanson là : parce qu'à cette époque j'étais ici ou là, que je faisais ci ou ça...". Il n'y a pas de hasard.

L'une des batailles que vous menez régulièrement se retrouve aussi dans Bouc Bel Air avec le titre Combien : l'égalité entre tous, la lutte contre le racisme. C'est important, vous l'avez toujours fait.
Oui. C'est important quand c'est une bonne chanson. Je ne me réveille pas le matin en me disant " il faut absolument que dans mon album figure un titre traitant le sujet" . Je suis un utopiste lucide en fait. Il y a des tas trucs très laids, mais quand j'étais adolescent je véhiculais un genre d'utopie que je n'ai pas envie de perdre complètement. L'idéalisme, l'envie... Même si avec les années qui passent, je vois que ce n'est pas demain la veille qu'il y aura une égalité mondiale et une justice absolue. Voilà. Je suis partagé entre ces deux trucs-là.

Il y a beaucoup de collaborateurs qui participent à Bouc Bel Air... Les musiciens de Youssou N'Dour par exemple.
En fait je faisais une tournée il y a deux-trois ans, qui comprenait quelques dates en Afrique. Dont un concert à Dakar. Un type nous avait emmenés dans la boîte où Youssou N'Dour joue chaque fois qu'il n'est pas en tournée. Là-bas, j'ai été très impressionné par les musiciens. Quand, plus tard, je travaillais les maquettes de Bouc Bel Air, le directeur de ma maison de disques m'a dit "Ce serait bien de demander à des percussionnistes africains de jouer sur un ou deux morceaux". J'ai trouvé que c'était une bonne idée et comme on rêve toujours dans ces cas-là, j'ai pensé demander aux musiciens de Youssou N'Dour ! Ils sont vraiment bons ces garçons-là... Il y a notamment un guitariste qui est très fort... Toujours est-il que lorsque nous étions en studio d'enregistrement à Paris, eux donnaient un concert à Bercy. Ils sont donc venus deux jours participer à l'album.

Il y a également Alex Gopher qui co-signe avec vous la programmation du titre Combien dont on parlait tout à l'heure.
J'avais entendu le disque d'Alex (The Child) il y a longtemps, plus de deux ans. Le patron de sa maison de disques me l'avait fait écouter avant que cela sorte. Je suis très intéressé par les sons, les samples, et je trouvais que c'était le premier disque électronique qui avait de la classe ! Des sons originaux, bien arrangés... Je m'étais dit que si jamais j'avais un morceau qui correspondait à son univers, je lui demanderais de travailler avec moi. J'ai inscrit cela dans un coin de ma tête puis voilà... Combien est arrivé, je l'ai contacté.

Les arrangements cordes sont signés par deux hommes totalement différents. Il s'agit de David Whitaker pour l'orchestre, et Nathaniel Mechaly pour les programmations.
Je voulais des couleurs très différentes. Par exemple sur Combien les cordes sont très rythmiques, faites de samples. C'est Nathaniel qui les fait lui-même. Il a environ 25 ans ! David, lui, en a 72 ! C'est ce qui est rigolo car il y a toutes les générations. David était un fantasme personnel depuis des années, parce que je connaissais son travail. Il a bossé pour Michel Berger, Etienne Daho, Serge Gainsbourg... et avant encore, pour les Stones, Elton John ! C'est lui aussi qui a signé la musique de Harry, un ami qui vous veut du bien (ndrl : film de Dominik Moll 2000)... Bref, c'est vrai que j'aime beaucoup cet homme-là ! Donc, on lui a envoyé une cassette des morceaux de Bouc Bel Air en se disant qu'on verrait comment il réagit ! Il est arrivé un jour au studio où on enregistrait et m'a montré au piano deux ou trois idées qu'il avait eues. J'ai trouvé cela superbe. Ensuite, on est parti enregistrer les cordes à Abbey Road ! Pour moi, ce studio est mythique : les Beatles quand même ! C'était très émouvant. Et quand les cordes ont joué c'était splendide. Pourtant ce n'est pas simple : quand il s'agit d'un batteur ou d'un guitariste on entend tout de suite si cela ne va pas, on le fait recommencer. Mais quand il y a 26 musiciens... c'est difficile et vraiment très pénible.

Il y a quelqu'un que l'on n'a pas cité et qui joue de la guitare sur deux chansons. Il s'agit de Matthieu, votre fils. M a dû passer les quelques dernières années à devoir parler de vous en interview. Les rôles s'inversent ! Aucun journaliste ne vous en a fait grâce non ?
Je suis ravi de cela ! Je n'aurai pas aimé que l'on ne m'en parle pas. C'est quelqu'un qui a vraiment bien mené sa barque, que je trouve très pointu. C'est un juste retour des choses. C'est vrai que lorsque Matthieu a démarré, on ne cessait de lui parler de moi et je pense qu'au bout d'un moment, cela l'agaçait. Aujourd'hui, je suis très content que tout le monde me le cite. Il a réussi ! Il compte pour les gens ! Mais je vais vous dire : je n'ai pas attendu que Matthieu soit connu pour le faire jouer sur un album. La première fois, c'était en 1992. Il n'avait pas encore fait de disque. Parce que cela fait un moment que je trouve que c'est un très bon guitariste. Donc selon les activités des uns et des autres, de l'emploi du temps de chacun, on se retrouve sur chaque album et il fait les guitares.

Sur le CD même de Bouc Bel Air, il y a la photo en noir et blanc d'un petit garçon qui sourit, les yeux fermés et le visage tendu vers le ciel. C'est une photo de vous ?
Oui ! Elle a été prise à Bouc Bel Air par ma mère. C'est moi qui ai demandé s'il était possible de la mettre là. D'abord parce que le disque a pour titre le nom du lieu où elle a été prise. Ensuite parce que si je suis l'homme que je suis, c'est parce que j'ai été cet enfant-là.

Louis Chédid Bouc Bel Air (Sony / Atmosphériques) 2001