LE Xe FESTIVAL DE SAINT-LOUIS
Saint-Louis du Sénégal, le 23 mai 2002 - Vous qui êtes un lecteur assidu de RFI Musique, il ne vous a pas échappé que la saison des festivals a commencé sur les chapeaux de roue ! Lundi à Angoulême, mardi à Rabat, mercredi à Saint-Brieuc, et aujourd’hui à Saint-Louis du Sénégal ! Ambiance avec Jean-Jacques Dufayet et histoire d’une fusion réussie avec Farah Rivière.
Jazz sous les palmiers
Saint-Louis du Sénégal, le 23 mai 2002 - Vous qui êtes un lecteur assidu de RFI Musique, il ne vous a pas échappé que la saison des festivals a commencé sur les chapeaux de roue ! Lundi à Angoulême, mardi à Rabat, mercredi à Saint-Brieuc, et aujourd’hui à Saint-Louis du Sénégal ! Ambiance avec Jean-Jacques Dufayet et histoire d’une fusion réussie avec Farah Rivière.
Faussement assoupie entre les bras du fleuve Sénégal, Saint-Louis se prépare à l’invasion de ces curieux oiseaux qui, pareils aux migrateurs de la langue de Barbarie, se posent une fois l’an sur la première zone humide après le long Sahara. Ces oiseaux-là transportent sur leur dos qui un saxo, qui une trompette, qui une paire de congas. Les plus intrépides ont fait le voyage avec une contrebasse, mais rien ne les obligeait à choisir cette terreur des compagnies aériennes ! (Essayez de convaincre un contrebassiste de laisser sa chérie joufflue en soute, et vous verrez…).
Petite histoire d'un festival
Si ces volatiles bruyants convergent en mai, depuis dix ans, vers la petite oasis magique, c’est à cause… des pères canadiens ! Dans les haut-parleurs de leur école saint-louisienne, ces missionnaires facétieux avaient l’habitude de passer des disques bizarres, avec des noms tout aussi curieux : Coltrane, Parker, Davis, Monk… Ce n’était pas à proprement parler le son du Sahel et, on a beau dire que le jazz est parti d’Afrique, c’était il y a bien longtemps.
Mais le petit Abdoukhadre Diallo, élève des pères, tendait toujours l’oreille vers ces sons nasillards qui tombaient du plafond et, dès qu’il le pouvait, se précipitait en cachette vers le vieux tourne-disques pour déchiffrer les pochettes jaunies. C’est ainsi que Saint-Louis, Missouri, débarqua à Saint-Louis, Sénégal.
Lorsque quelques années plus tard il crée à Saint-Louis la première auberge de jeunesse de l’Afrique de l’Ouest, Diallo n’oublie pas sa passion et décide aussitôt de faire dans sa ville un "festival de jazz". C’est sans doute un peu bricolo, et les moyens ne permettent pas de faire venir les ténors d’outre-Atlantique. Qu’à cela ne tienne : cette première édition mettra en vedette Indigo et Wallo Afro, deux groupes du cru.
Et aujourd'hui…
Dix ans plus tard, bien de l’eau a coulé sous le majestueux et métallique pont Faidherbe. Bien des acteurs se sont joints aux efforts de Diallo : le centre culturel français, les ministères sénégalais de la culture et du tourisme, l’union européenne, la coopération française, la ville de Saint-Louis, et de nombreux sponsors privés qui ont su donner à cet événement unique sa pérennité. Unique en effet, car nulle part sur le continent une telle manifestation ne permet un tel brassage de musiques et de musiciens, dans un tel esprit de convivialité. De la scène principale, place Faidherbe, aux concerts off, le long des quais, en passant par les bœufs improvisés dans tous les bistrots possibles de la ville, il n’est pas question de dormir pendant ces quatre jours.
Et ce sont bien sûr les mariages, parfois contre-nature, qui laisseront les meilleurs souvenirs : les tambours de Doudou Ndiaye Rose avec le jazz étincelant des Belges d’Aka Moon, la voix haut-perchée d’Abdou (Wock) avec les claviers de Joe Zawinul et son étonnant duo Paco Sery (Côte d’Ivoire) à la batterie et Etienne Mbappé (Cameroun) à la basse ou le Saint-Louis Orchestra, mélange afro-européen dont l’histoire vous est racontée ci-dessous.
Mais il est tout aussi plaisant de retrouver à la limite du désert - la Mauritanie est toute proche - les notes bluesy de Judith Sephuma ou de Sipho Gumede (Afrique du sud), les accords sophistiqués des Hollandais de Paul Van Kemenade. Sans oublier les "locaux", tel l’Opus Jazz de Saint-Louis, qui prouvent avec brio que la greffe jazzy a bien pris en terre sahélienne.
Imparfait et donc humain
Seule fausse note dans cette belle programmation éclectique et néanmoins homogène : la venue de Youssou N'Dour qui d’une part n’avait pas l’air très concentré sur sa prestation (les mains dans les poches pendant presque tout le set) et qui d’autre part, devait lui-même se demander s’il était ici bien à sa place. Ce qui aurait pu être tout à fait différent si, lui aussi, avait pris le temps (et on sait bien qu’il en est capable) de nous concocter quelque petite fusion avec un ou deux artistes de passage.
Pour clore ce dixième anniversaire le ministre du tourisme Ousmane Massek Ndiaye - lui même saint-louisien - viendra nous dire tout le bien qu’il pense de ce festival, et l’importance qu’il devrait prendre dans le développement touristique de la ville. Et nous de penser, égoïstement, que le charme de cette manifestation tient aussi à sa taille humaine, avec ses imperfections, ses approximations, mais avec sa chaleur et son humanité.
Pourvu que Saint-Louis ne devienne pas Montreux !
Jean-Jacques Dufayet
SAGA EURAFRICAINE A SAINT-LOUIS EN SENEGAL
L'Orchestre Jazz Europe Afrique (OJEA) a lancé en beauté le Xe festival Saint-Louis Jazz. Sous l'égide du saxophoniste François Jeanneau, cette formation de six musiciens issus du vieux continent et d'autant d'artistes africains a offert une musique exigeante et généreuse. La superbe cité du fleuve confirme sa vocation d'échange.
Il fallait oser le défi. Fonder un groupe constitué pour moitié de musiciens africains et, pour le reste, d'artistes venant des quatre coins de l'Europe (ce casting relève déjà de l'audace, face aux contraintes géographiques et matérielles), faire répéter ensemble tout ce petit monde (douze musiciens, au total), pendant une résidence de dix jours à Saint-Louis, apporter, chacun, son expérience et ses désirs de musique dans le grand chaudron de la créativité. C'est la gageure qu'a remportée l'Orchestre Jazz Europe Afrique, également appelé le Saint-Louis Jazz Orchestra, du nom de la manifestation sénégalaise "accoucheuse", qui l'a entouré de sa toute première confiance.
Le grand gorgui ("l'ancien"), celui qui cimente la cohésion du groupe, se nomme François Jeanneau, saxophoniste et compositeur-arrangeur parisien de notoriété internationale, premier directeur, en 1986, de l'ONJ français (Orchestre National de Jazz) : «Pour moi, cette initiative se situe dans la continuité d'investigations que j'ai entamées à l'île de la Réunion entre 1987 et 1991 avec des musiciens de maloya explique-t-il. Prolonger la recherche et l'échange en Afrique, là où précisément le jazz a des racines historiques, m'est apparu à la fois d'une pertinence totale et d'une vraie nécessité. Quand le festival de Saint-Louis et Pierre Tissot, alors directeur du Centre Culturel français (CCF), en ont émis l'idée, j'y ai aussitôt adhéré».
Le 15 mai 2002, la formation à double vocation - panafricaine et paneuropéenne - lance le Xe Saint-Louis Jazz. Il faut le temps de faire chauffer la marmite, pour que prenne la sauce. Mais, dès les premières notes, le fumet s'annonce riche en saveurs. Concept original : deux batteries (le Dakarois Aziz Diop, Joe Quitzke, Suédois élevé en Espagne et établi à Paris), deux basses (Kiki Bocandé, basse électrique, Stéphane Kerecki, contrebasse). Cette formule instrumentale, qui n'est pas sans évoquer celle qu'Ornette Coleman explora dans les années soixante, permet de multiplier les combinaisons rythmiques, privilégier la force de frappe ou, au contraire, composer des bouquets de nuances et de couleurs.
Lorsque la kora d'Ablaye Cissokho (de Saint-Louis) est rejointe par la contrebasse de Kerecki (France), c'est à un subtil tressage de cordes que l'on assiste. Ici, on part sur un morceau lent et tranquille comme un paysage de steppe. Ailleurs, les rythmiciens nous emportent vers des horizons luxuriants, aux sonorités plus crues, nerveuses. Et les perles cristallines de la kora sont attisées par un cocktail vitaminé de batterie et de percussions.
Le répertoire comprend, outre des compositions de chacun, trois chants traditionnels sénégalais (Niaani, Taara et Awa), proposés par Ablaye Cissokho et harmonisés par François Jeanneau. Beaux arrangements, bon esprit, joie de jouer. Et une sonorisation d'une remarquable finesse (bravo, en particulier, à l'ingénieur Vincent Méhey et à l'équipement de la société de Youssou N'Dour). Tous les ingrédients sont présents pour une tranche de bonheur. Comme le relève Mbagnick Ngom dans le quotidien L'Info 7 deux jours plus tard : «le Saint-Louis Jazz Orchestra a assuré sa partition avec brio».
Les germes de cette saga eurafricaine sont nés dans les têtes des responsables du festival et de François Jeanneau en 1999, lorsque ce dernier est venu se produire avec le POM dans la cité du fleuve.«On a commencé à en parler, notamment avec Pierre Tissot, qui dirigeait alors le CCF de Saint-Louis, explique le saxophoniste. Il nous a fallu près d'un an pour monter le projet». En 2000, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse Paris (CNSMD), après avoir diffusé l'appel public à candidatures via le réseau européen des écoles de musique, a organisé des auditions en direction de musiciens vivant sur le Vieux continent. Pierre Tissot a supervisé la sélection des participants africains. Sur ce plan, des améliorations s'avèrent nécessaires. Il faudrait imaginer une structure qui permette un recrutement, non plus par l'unique circuit des CCF, mais beaucoup plus prospectif à travers le continent africain. «On peut imaginer une mission mixte qui aille repérer les compétences sur le terrain» précise P. Tissot, devenu, depuis, un acteur indépendant qui souhaite mettre son savoir-faire au profit du développement de la scène artistique sénégalaise et, plus largement, africaine. «C'est un peu dans cet esprit que nous sommes en train de créer l'association Jazz Europe Afrique (AJEA), française et saint-louisienne, continue t-il, dont les statuts ressemblent à ceux de l'association parisienne qui gère l'ONJ. L'AJEA prendra en main l'ensemble des questions administratives de l'OJEA. J'ai la conviction qu'une véritable ouverture est indispensable, que ce soit dans le réseau culturel français à l'étranger ou auprès du monde associatif. Avec les dernières élections présidentielles, l'image de la France a pris un coup, ainsi que celle de l'Europe, dont les résultats, au sein d'instances politiques, ont reflété une montée de la xénophobie. L'OJEA a une portée symbolique, qui dépasse le contenu artistique».
La résidence de deux semaines dans le cadre de l'édition Saint-Louis Jazz 2001 et celle de 2002 ont porté leur fruit. Sur la place Faidherbe, le dernier concert de l'OJEA a révélé une musique exigeante, sans compromis sur la qualité, mais portant en elle cette maturité qui met de l'huile dans les rouages et déclenche le plaisir auprès d'un plus large public que le cercle des initiés. On ressent une incontestable euphorie, quand on entend la saxophoniste suédoise répliquer avec inventivité au percussionniste de Sor (quartier populaire de Saint-Louis).
Le Saint-Louis Jazz 2002 a présenté une programmation digne des grands festivals européens. En s'appuyant sur l'érudition et l'humanité de chacun, cette rencontre, à l'instar de l'OJEA, ouvre grand les bras à l'autre. Au moment où, quasiment partout sur la planète, d'aucuns prônent le repli sur soi, ne s'agit-il pas d'un message essentiel ?
Farah Rivière
Site : www.saintlouisjazz.com
Aka Moon & Doudou N'Diaye Rose / Live At Vooruit (Carbon 7)
Site : www.akamoon.com