EN DIRECT DE BOURGES

Peu de Français cette année au Printemps de Bourges, mais déjà un événement majeur avec le virage franchement rock de Dominique A. Ce qui comble les voeux des organisateurs, qui ont affirmé vouloir revenir à une programmation audacieuse et rajeunie.

Le renouveau du Printemps

Peu de Français cette année au Printemps de Bourges, mais déjà un événement majeur avec le virage franchement rock de Dominique A. Ce qui comble les voeux des organisateurs, qui ont affirmé vouloir revenir à une programmation audacieuse et rajeunie.

Le Printemps de Bourges vit une mutation comme il en a peu compté dans son histoire, mais dans une forme originale: une sorte de demi-tour vers le futur, un retour à une tradition de modernité. Après avoir, pendant plusieurs années, dressé à chaque édition l'inventaire des tendances commercialement porteuses dans les musiques populaires, le Printemps s'est tourné résolument vers ses habitudes perdues dans les années 90: l'exploration, la découverte, la jeunesse.

D'ailleurs, le promeneur constate un changement évident: le public s'est notablement rajeuni. En même temps que les poids lourds des variétés françaises (ces dernières années, Julien Clerc, Patricia Kaas, Eddy Mitchell...), le Printemps de Bourges a en effet tourné le dos au «grand public» familial et d'âge mûr. Et les sponsors privés et les collectivités locales qui épaulent financièrement le Printemps de Bourges ont épousé ce virage avec sérénité: mieux vaut une manifestation culturelle reconnue pour sa valeur artistique qu'une lourde machinerie commerciale critiquée pour sa frilosité.

Et on ne risque pas, cette année, de critiquer Bourges pour sa frilosité.

Ainsi, un événement de taille a surpris, jeudi soir, avec le concert de Dominique A. Célèbre et célébré pour les vertus dites «minimalistes» de ses chansons, il a donné à entendre une musique zébrée d'éclairs. En formation rock (deux guitares, basse, batterie, claviers), Dominique A s'est lancé dans une expression proche du travail de Sonic Youth: électricité aérée et dense à la fois, profondeur formelle, radicalité du son. La manière correspond parfaitement aux orientations de son dernier disque, Remué, mais certaines de ses chansons anciennes, que l'on avait connues dans des torpeurs ou des discrétions patientes, sont aujourd'hui cinglantes, vives, bouillantes, comme Le Courage des oiseaux haché d'attaques en piqué des guitares.

Après avoir ouvert la porte à tout un courant de chanson française, en prouvant qu'on peut faire une musique sans opulence, sans frime et en se tenant dans une sorte de modestie à mille lieues des habitudes m'as-tu-vu du rock et des variétés françaises, il comble maintenant, par son assaut rock, le fossé qui peut exister entre cultures anglo-saxonne et française. En adoptant aussi clairement cette forme extrême sans que ne se perdent ses textes ni ne se dilue la poésie de son expression, il fait comprendre qu'il n'y a pas de différence de nature entre la musique qu'il joue et celle de certains Américains mélancoliques et cinglants à la fois, comme Calexico (présent à Bourges sur la même affiche que lui).
De même, la parenté entre Smog, Yann Tiersen et Jérôme Minière, qui jouent samedi sur la même scène, est une évidence de forme, d'âme et de méthode.

L'effacement des frontières se confirmait aussi à la soirée reggae-ragga de jeudi: les Français Saï Saï et Pierpoljak à la même affiche que les historiques maîtres jamaïcains des Gladiators, c'est un peu l'adoubement d'une jeune génération de reggaemen européens par la vieille garde. Et la confirmation du renouvellement inlassable du public reggae en France, avant le passage sur scène des deux autres sensations reggae françaises de l'année, Sinsemilia et Tryo, vendredi soir.

Quant aux Découvertes du Printemps de Bourges, pépinière de jeunes talents français (on y a vu jadis Juliette, Allain Leprest, Faudel ou Sawt el Atlas), elles s'annoncent être un bon cru, comme avec Bams, jeune rappeuse au verbe vif, ancienne championne de France de triple saut et auteur sans concession et sans peur.
Dans le secteur de plus en plus fécond de la chanson néo-traditionnelle, entre Têtes Raides et Blankass, l'antenne Poitou-Charentes du Réseau Printemps a sélectionné Nicolas Jules, chanteur grave et gouailleur qui devrait rapidement parvenir à émerger du lot.

C'est peut-être de ce terreau-là que le Printemps de Bourges espère dans l'avenir: les Français sont cette année très minoritaires dans la programmation du festival, qui a pourtant aussi négligé les grosses pointures du rock et de la pop internationale, se concentrant sur le rock alternatif et les musiques électroniques - où les Anglo-saxons occupent également de fortes positions.

Bertrand DICALE