Les sages poètes de la rue
Après deux albums d'un rap léger et spirituel, influencé par le jazz, les Sages Poètes de la Rue publie Après l'orage , un troisième opus festif qui vibre aux accents de l'électro, du funk comme du reggae. Rencontre dans les bureaux de leur maison de disques.
Poésie positive.
Après deux albums d'un rap léger et spirituel, influencé par le jazz, les Sages Poètes de la Rue publie Après l'orage , un troisième opus festif qui vibre aux accents de l'électro, du funk comme du reggae. Rencontre dans les bureaux de leur maison de disques.
Pour certains spécialistes, le nouvel album des Sages Poètes est électro, inspiré par l'Américain Timbaland. Pour d'autres au contraire, leur style va puiser aux sources du rap californien de Dr Dre. Mais pour la majorité des aficionados, Danny Dan et les deux frères Melo Pheelo et Zoxeakopat ont toute la sagesse que porte leur patronyme. Bien avant leur tout premier album Qu'Est Ce Qui Fait Marcher Les Sages ? en 95, les Sages Poètes sont déjà des figures de proue. Et s'ils s'attaquent parfois à des sujets graves, c'est toujours avec sensibilité, scandé sans haine ni agressivité, à la manière des Gang Starr ou De La Soul.
Dans un milieu aussi agité que le rap, vous avez réussi à rester unis tous les trois depuis près de 15 ans.
Zoxeakopat : Au début la musique n'était qu'une passion, un délire de mômes qui s'étaient pourtant déjà fixé leurs objectifs. Dès que nous avons commencé, nous avons décidé de publier un disque. A l'époque, nous étions au lycée Jacques Prévert à Boulogne.
Ce premier disque devait déjà être une super victoire ? Quel titre était-ce ?
Z : C'était La rue pour la première compilation Cool Sessions de Jimmy Jay qui produisait Solaar à l'époque. Nous l'avions enregistré dans son studio de Bagnolet, c'était notre toute première expérience de la console. Et nous y avons pris goût. Dans la foulée, nous avons demandé à Jimmy Jay la permission d'utiliser son studio pour faire d'autres titres. Depuis cinq ou six ans déjà, nous avions accumulé énormément de textes, beaucoup de chansons. Et comme il a accepté, nous sommes venus chaque jour enregistrer.
Ensuite vous avez accompagné Solaar sur scène avec Démocrate D et Bambi Cruz, c'était un peu une famille ?
Danny Dan : Au temps des Cool Sessions, il régnait une super entente entre nous, c'était le début pour tout le monde. Au niveau de la positivité, il y avait une énergie que l'on ne retrouve plus aujourd'hui, c'est dommage. Des groupes qui ne se connaissaient pas, osaient des choses ensemble et cela fonctionnait. Aujourd'hui, cette fraternité n'existe plus. C'est devenu un panier de crabes où chacun est prêt à grimper sur l'autre pour survivre.
Après l'orage, c'est comme Le retour des sept mercenaires. Vous revenez en force sur ce premier titre avec une flûte à la fois soul tendance "blacksploitation" et orientale, presque égyptienne…
Z : C'était l'effet recherché. Ce morceau a été conçu au début pour recréer le climat de ces films noirs des années 70 comme Shaft et Superfly . Mais dans son improvisation, le musicien s'est lâché et on a entendu cette vibration orientale. Nous avons adoré ce côté Mille et une nuits.
Où avez-vous enregistré cet album?
D.D : Ici même, place de la Bourse à Paris, chez BMG. Ils avaient au sous-sol un studio de maquettes qu'ils ont transformé en véritable studio d'enregistrement pro. Nous avons fait un essai sur un morceau et le résultat était ultra satisfaisant.
Z : C'était important pour nous. Ce qui nous a toujours caractérisé, c'est notre travail du son, cette volonté de se mesurer sans complexe avec le plus énorme des sons ricains.
Justement avec Les gangsters boivent à l'œil , vous avez carrément échantillonné le tout premier hit de Madonna en 82 Everybody . Cela rappelle un peu le Mia de IAM ?
Z : On trouvait que cela manquait dans le rap, ces petites histoires de fiction posées sur un gros son. Tu es en boîte ou tu écoutes la radio dans l'auto et tu kiffes, cela te donne le sourire. Nous nous sommes mis dans la peau de ce personnel de boîte avec le gérant, le physionomiste, le boss, le DJ… Mais c'est Mello Pheelo qui a choisi ce sample de Madonna. C'était une de ses prod'. Comme d'habitude, nous avons écouté le son et nous avons immédiatement craqués.
Sur votre album, il y a aussi deux reggae : une adaptation française de Murder She Wrote de Chaka Demus & Pliers et une collaboration originale avec Nuttea.
Z : Nous aimons le reggae. C'est une réalité et nous voulions le montrer.
D.D : Sur Beat de Boule, on avait fait Va tej ton gun qui était déjà très reggae. En fait, nous écoutons beaucoup de reggae et de ragga.
C'est votre évolution future ?
D.D : Peut-être, mais je crois surtout qu'on ne se pose pas de questions. Disons que la musique n'est qu'un miroir de nos existences, peut-être un peu déformé ou bien arrangé ou embelli mais cela ne reste qu'un reflet.
Autre invité sur cet album : Kool Shen. C'est une longue histoire avec NTM, non ?
Z : C'est le microcosme parisien. On se connaissait déjà à l'époque et après j'ai eu l'occasion de travailler souvent avec lui. Toutes les collaborations que tu peux voir dans l'album sont nées de l'instinct, du moment et n'ont pas été préméditées. On n'a fait aucune liste d'invités au début de l'album en se demandant qui nous allions pouvoir convier, untel ou untel. On a fait nos morceaux et là par exemple sur Thugs à la base, il n'y avait que Danny et moi. Mais nous sentions qu'il fallait quelqu'un comme Kool Shen qui sache parler aux jeunes, qui puisse leur expliquer que l'idolâtrie et le gangstérisme sont des notions purement négatives.
On note une évolution de votre son car vos deux premiers albums étaient plus jazz, plus proches de groupes comme A Tribe Called Quest ou De La Soul. Et là, il devient plus hip hop.
Z : Pourtant ce disque ne s'axe pas dans une seule direction. Tu as le côté électro, le côté reggae, le côté hip hop. On ne voulait pas se limiter à un seul son.
Quel est l'état du rap français ?
D.D : Au niveau des structures et infrastructures, je dirais qu'il est en pleine forme. Mais par contre, au niveau de l'esprit, c'est complètement mort ! Une des plus grosses radios de France matraque cette musique toute la journée, des tas de gens vivent du rap aujourd'hui en France. Mais de l'autre coté, il n'y a plus de fraternité. Quand deux rappeurs se rencontrent, ça relève plus de la compétition directe. Il n'y a plus de complicité et d'échange comme avant.
Que peut-on faire pour changer cela ?
D.D : Promouvoir plus de valeurs positives dans cette musique. Cesser de se lamenter et faire front, s'ouvrir et se décoincer. Sourire enfin à la vie…
Peut-on dire que les Sages Poètes militent pour le retour du sourire ?
D.D : On peut le dire ! D'ailleurs, tu n'as pas un stylo ? Je le note dans mon carnet à rimes !
Propos recueillis par Gérard Bar-David
Sages Poètes de la Rue Après l'orage (BMG France)