Ali Farka Touré

Nianfuké, son nouvel album, vient de sortir en France*. Une musique de plus en plus dépouillée, de plus en plus sobre, qui revient aux racines et qui salue le retour à la terre.

Des rythmes tamashek, songhaï ou peuls, interprétés à coup de njarka (violon monocorde), de njurkle (guitare) ou encore de calebasse (percussions). La musique d'Ali Farka Touré continue à solliciter les pratiques instrumentales ancestrales, bien que les guitares acoustiques ou électriques occidentales aient toujours leurs places dans l'interprétation que nous offre ce virtuose du son (ses solos de six cordes sont magiques).

Douze titres qui parlent de paix et d'amour. Du Mali. De la justice. De l'apartheid. De l'éducation et du travail de la terre. Une sorte de douceur mélancolique, née de la poussière et de la chaleur du quotidien de ce cultivateur-compositeur, transporte sa voix et sublime ces ballades que l'on rapproche assez facilement du blues de l'autre côté de l'Atlantique. L'enregistrement a eu lieu dans son village d'adoption, à Nianfuké (d'où le titre de l'album), en plein Sahel. "Dans le calme et la sérénité".

Le blues du lavage…

"Nianfuké" est en fait un album qui rend hommage au terroir. A l'endroit où vivent les esprits qui nourrissent son inspiration. Contrairement à la coutume qui veut que ce soient les producteurs occidentaux qui aillent chercher des artistes en Afrique pour les emmener enregistrer dans des studios en Europe ou ailleurs, c'est plutôt l'artiste qui invite ici. Dans son fief. Il aurait pu faire comme son compatriote, Salif Keïta, qui a mis en boîte une partie de son dernier opus sur place au Mali, avant d'y apporter une 'valeur ajoutée' en allant multiplier les collaborations sur le master final dans des capitales étrangères (New-York et Paris), afin de mieux l'ancrer dans la culture mondialisante en vogue. Mais non! Car Ali Farka, lui, a préféré entraîner son producteur (Nick Gold, qui a notamment construit l'épopée du Buena Vista Social Club avec Ry Cooder) et Jerry Boys (son ingénieur du son, un des meilleurs en pays britannique) dans son univers quotidien. Entre deux récoltes, il enregistrait une prise. "Ils sont souvent coincés dans leurs studios. Il faut qu'il sortent de temps en temps de leur monde pour se rendre compte qu'il existe d'autres possibilités. C'est pour ça que je les ai convaincu de venir enregistrer chez moi".

 

Comparé au précédent album, récompensé en 95 par un Grammy Awards, "Nianfuké" paraît plus sobre... une volonté de retour aux sources du blues ? "Ce mot, s'énerve Ali farka, on me l'a toujours évoqué mais je ne l'ai jamais accepté. Le mot blues n'existe pas en Afrique. Le blues pour moi correspond au bleu, qui sert au lavage pour rendre les habits plus propres. Quant à la culture qui m'inspire... c'est autre chose. Je peux vous parler de njarkou ou de njurkle. Mais le mot blues n'incarne pas vraiment ma musique".

Le miel qu'on partage…

Quatre années se sont écoulées depuis "Talking Timbuktu". Entre temps, il s'est beaucoup occupé de ses terres. Et de sa communauté. Le cercle de Nianfuké aspire toute son énergie. La musique passe même dans l'accessoire, selon ses concitoyens qui louent sa générosité et sa disponibilité. La production agricole, essentielle parmi toutes ses activités, accapare tout son temps. "Regardez mes mains... J'ai besoin de ça, parce qu'avant la musique, il y a eu la terre. La guitare vient après mon manche de pioche".

L'album "Nianfuké", intemporel dans ses intentions, est probablement promu au succès. Mais il aurait pu y convier une star occidentale, comme à l'époque où il avait joué avec Ry Cooder et Taj Mahal. Cela joue semble-t-il sur l'engouement du grand public. Réponse indirecte du principal concerné : "Quand on prend le sucre pour le mettre dans le miel, ce n'est pas pour rendre celui-ci amer. La participation de Taj Mahal et de Ry Cooder à ma musique ne change rien à ma direction. Ce que j'ai, ce que je connais, ce dont je dispose, ils ne l'ont pas. Alors que moi, je n'ai rien appris avec eux. Il y a juste eu ce plaisir de jouer ensemble. Je leur ai toujours dit que le miel n'est jamais bon dans une seule bouche. Il faut qu'on le partage. Ce sont des rencontres que je ne regrette pas". Autrement dit : sa musique n'a nullement besoin d'une valeur ajoutée pour plaire. "D'ailleurs, si elle ne marchait pas, nous avoue le cultivateur, ce ne serait pas un problème. J'ai la terre pour me nourrir".

*World Circuit/Night & Day