Henri Texier, le dépollueur
Le nouvel album de Henri Texier est un coup de gueule. Un pamphlet musical engagé sur la nature, avec des harmonies "décoiffantes" qui puisent autant dans le free jazz que dans la fanfare. Et des mélodies qui contrebalancent par leur calme une rythmique souvent agitée.
En concert à Paris au New Morning le 1er mars.
Alerte à l’eau
Le nouvel album de Henri Texier est un coup de gueule. Un pamphlet musical engagé sur la nature, avec des harmonies "décoiffantes" qui puisent autant dans le free jazz que dans la fanfare. Et des mélodies qui contrebalancent par leur calme une rythmique souvent agitée.
En concert à Paris au New Morning le 1er mars.
La barbe blanche, courte et bien rasée, un béret d’un noir profond disposé en arrière sur le haut de la tête : le style de Henri Texier est à lui seul un contraste. Comme le jazz qu’il compose avec sa contrebasse depuis une quarantaine d’années, à l’affût de nouvelles sonorités.
RFI Musique : Comment est né le Strada Sextet, la formation avec laquelle vous avez enregistré Alerte à l’eau ?
Henri Texier : C’est en septembre 2003 que nous avons joué ensemble pour la première fois. A l’époque l’Azur Quintet s’évanouissait après douze ans de collaborations riches avec Tony Rabeson, Glenn Ferris et Bojan Zulfikarpasic. On avait exploré beaucoup. Je ressentais le besoin de rencontrer et de découvrir d’autres sonorités. Avec Sébastien Texier, mon fils qui m’a aidé à construite le Strada Sextet, nous avons imaginé une sorte d’orchestre de marche entre les fanfares de la Nouvelle Orléans, et les groupes que l’on trouve en Europe de l’Est. On a essayé la formation en sextet dans laquelle Manu Codjia s’est senti à l’aise et a pris du plaisir à jouer avec les soufflants. Moi, je trouvais que le résultat sonore avait un grain intéressant et que le mélange allait être une belle expérience. Je suis assez bon "écouteur" et je pense que si j’ai une qualité, c’est celle de trouver les bonnes textures qui vont ensemble. Et cela a vraiment bien fonctionné.
De l’Azur Quintet au Strada Sextet, en passant par Mad Nomad et par le fameux trio avec Aldo Romano et Louis Sclavis, vous avez été à la tête de nombreuses formations. Sans jamais vous fixer. Est-ce un choix ou un hasard ?
Je pense que c’est un hasard. C’est aussi l’esprit du jazz que de multiplier les rencontres avec d’autres musiciens. J’ai eu la chance de croiser le chemin de beaucoup de musiciens. A chaque fois avec cette même envie d’inventer, de casser, de renouveler, de trouver d’autres sons et surtout de prendre du plaisir. C’est ça le maître mot, même si la musique peut être une belle souffrance quand elle s’y met.
Pourquoi avoir intitulé l’album Alerte à l’eau ?
Je suis fasciné par l’eau, la mer, les éléments liquides, la pluie. Aujourd’hui il pleut, il y a du crachin, j’adore ça. C’est peut-être mon âme de Breton mais j’essaie de me soigner (rires). Cet intitulé est en réalité le titre d’une morceau que j’avais composé à l’époque où je jouais avec François Jeanneau et Daniel Humair. Et au-delà du titre de l’album, j’ai toujours été concerné par l’écologie. J’ai vu "naître" ce mot et j’en ai compris le sens immédiatement. J’ai toujours été révolté, en colère contre les atteintes qui sont portées à la nature, à la beauté. Ma vie musicale est trop courte et il était temps de faire un album sur la nature. Et tant mieux si c’est dans l’ère du temps.
Comment composez-vous ?
C’est quelque chose qui se passe 24h/24h, avec des périodes de gestation, des blocages sur deux mesures parfois. Certains artistes ont des rituels. Moi, j’essaie de m’imprégner de tout ce qui tombe dans le creux de mes oreilles. J’écoute, j’entends et puis à un moment je me mets à la basse et au piano, je chante… Pour ce disque, je me suis quand même enfermer quinze jours pour construire le scénario de l’album.
Pour vous, qu’est-ce que l’improvisation ?
De la composition instantanée. Faire du jazz, c’est tenter de sculpter le temps qui passe. D’inventer des volumes, de la profondeur de champ, des textures, des vitesses, des tensions. L’improvisation permet une telle souplesse que l’échange peut se faire très vite, avec force et profondeur. Cela peut être ennuyeux aussi mais quand ça marche, cela donne naissance à des sensations vraiment originales.
On retrouve sur l’album trois titres qui se rapportent à l’Afrique. Vous avez un lien particulier avec ce continent ?
L’Afrique a été pour moi une révélation. J’y suis allé la première fois en 1990 avec Aldo Romano, Louis Sclavis et Guy le Querrec. On a sillonné pratiquement tout le continent comme des saltimbanques…Plutôt que de parler d’Afrique, on devrait dire d’ailleurs les Afriques, tellement ce continent concentre de diversités. Aller en Afrique, c’est ressentir une transformation qui sera définitive. Si la France est le pays du verbe, l’Afrique est le continent de la musique. Quand j’ai joué en Afrique, le plus extraordinaire a été l’échange de notre musique avec les personnes. La relation avec le public allait bien au-delà d’une relation de spectacle. Quand je vois comment ce continent est en train de sombrer, je ressens un profond sentiment de tristesse.
Vous portez un regard pessimiste sur le monde et son avenir ?
Non, je ne porte pas un regard pessimiste sur le monde, je porte un regard pessimiste sur les bipèdes. L’homme est une vraie chiure qui recherche sa propre perte et qui a de graves tendances suicidaires. Cet album est une mise en garde, un appel au secours.
Vous croyez que la musique peut servir une cause politique ?
Il y a beaucoup d’artistes qui s’interrogent sur la question de l’engagement et sur le sens de leur création dans la société. En ce qui me concerne, je pense que la musique ne peut pas desservir. Le pire est de ne pas parler. Il me semble important que les idées circulent. Et c’est là que la musique a son rôle à jouer car elle est un support qui permet la diffusions des idées, des émotions et permet de tisser du lien entre les gens. Nous vivons une catastrophe écologique musicale, dans un monde où l’esprit est pollué. Nous autres artistes, nous sommes finalement des dépollueurs. J’espère que quand je joue une note de musique, l’auditeur se sent bien et que les gens ont l’impression d’oxygéner leur esprit, leurs manières de percevoir.
C’est aussi pour cette raison que les entraves à la diffusion de la culture me révolte. Et je trouve que les politiques ne vont pas dans le bon sens. Trouvez-vous normal qu’un disque soit plus taxé qu’un livre ? Avec de telles mesures, on est en train d’assassiner le lien social.
Henri Texier Alerte à l’eau (Label Bleu) 2007