Généreux Youssou N'Dour
Dans son nouvel album Nothing's in Vain, la star sénégalaise rend hommage à sa terre. Le wolof, sa langue natale, et le mbalax, le son sénégalais par excellence, ont une place essentielle dans ce CD où l'on entend tout de même Pascal Obispo, les Nubians et une reprise de Brassens.
Un artiste entre deux mondes.
Dans son nouvel album Nothing's in Vain, la star sénégalaise rend hommage à sa terre. Le wolof, sa langue natale, et le mbalax, le son sénégalais par excellence, ont une place essentielle dans ce CD où l'on entend tout de même Pascal Obispo, les Nubians et une reprise de Brassens.
Il est de ces artistes qui n’ont que faire de l’étiquette et ne se soucient guère du mot exact pour désigner leur musique. Il se contrefiche des esprits encombrés par l’insoluble question : est-ce encore de la musique africaine ? Il mélange tout ce qu’il aime, les musiques, les langues et invite Pascal Obispo, au risque de laisser croire qu’il a vendu son âme à la «variété», qui pour beaucoup est la pire des choses existantes en musique. Pour brouiller encore davantage les pistes, il utilise plus qu’à l’accoutumée les instruments traditionnels. Bref, l’homme est un malin. Esprits élitistes enclins aux a priori, intégristes de la tradition africaine, fuyez, Youssou N’Dour arrive avec son nouvel album, Nothing’s In Vain.
RFI Musique: Il semblerait que sur certains titres, vous ayez souhaité laisser davantage de place aux instruments traditionnels. Est-ce parce que les musiques acoustiques ont la faveur des amateurs de musique africaine en Occident ?
Youssou N’Dour : Lorsque vous voyagez beaucoup musicalement, vous oubliez parfois ce qui est là, à deux pas de vous. Dans la musique, je suis toujours allé à la rencontre d’autres sonorités, d’autres voix, d’autres vibes. C’est bien, c’est une expérience extraordinaire. Mais à un moment donné, j’ai pris conscience qu’il y avait plein de choses près de moi que je n’avais pas touché, alors j’ai eu envie cette fois de laisser une place aux instruments de chez nous ou d’ailleurs. Dès le premier titre Tan bi, on entend un violon traditionnel, le riti, et puis aussi une kora, un xalam, un balafon.
Quand cette envie de retour aux sources vous a-t-elle saisi ?
C’est parti de la musique que j’ai composée pour le film Kirikou. On m’avait demandé de travailler avec des instruments traditionnels. Pour moi, c’était quelque chose de nouveau. J’ai côtoyé pendant cette période des musiciens traditionnels et je me suis alors vraiment rendu compte de la valeur des instruments dont ils jouaient, des possibilités qu’ils offraient. Je me suis dit qu’un jour je ferai un album à partir de cela. Le concept de mon nouveau disque est né de là.
Parmi les autres surprises de cet album, outre la participation de Pascal Obispo, il y a une reprise du poème d’Aragon, Il n’y a pas d’amour heureux , dans la version mise en musique par Brassens.
J’étais en France à un moment où l’on commémorait la mémoire de Brassens. Un jour j’allume la radio et je l’entends chanter ce texte. J’ai complètement flashé dessus. Brassens pour moi, c’est une certaine idée de la simplicité, quelqu’un qui avait une manière directe, naturelle et immédiatement compréhensible de faire passer des choses très fortes.
Je me suis impliqué dans Live For Love United, la chanson que les footballeurs ont interprétée au profit de l'association Ensemble contre le sida, un projet sorti à l’occasion de la Coupe du Monde de football. Il faut essayer de récolter des fonds pour que tout le monde puisse avoir accès aux traitements qui sont excessivement chers, donc interdits à toute une partie de la population touchée par ce fléau. Obispo était impliqué dans ce projet. Je l’avais rencontré lorsque je travaillais déjà sur mon album et quand il est venu à Dakar pour Live For Love United, je lui ai demandé de me proposer des compositions parce que j’ai toujours apprécié ses talents de compositeur. Ensuite, je lui ai suggéré d’aller plus loin, de chanter avec moi. On a donc enregistré en duo, So Many Men, une des trois compositions qu’il a réalisées pour moi. En fait, Obispo, c’était vraiment la personne que je voulais. C’est un compositeur francophone dont le travail peut toucher un public au-delà de l’espace dans lequel on le connaît habituellement. Si je contribue un peu à cela, tant mieux.
Toujours ambassadeur le l’Unicef ?
Je soutiens les campagnes de vaccination, de ventes de cartes chaque fin d’année. Je ne manque jamais d’évoquer l’Unicef et ses actions lorsque je rencontre la presse. Ils se calent sur mes tournées pour qu’à chaque fois leurs antennes locales me contactent quand je suis de passage quelque part. Si elles me demandent d’évoquer telle ou telle chose, je le fais.
Quels messages souhaitez-vous transmettre à travers les textes que vous écrivez ?
Je parle de la société africaine en général, et sénégalaise en particulier. J’évoque notamment le rôle de la femme, une des premières victimes des conflits et des guerres ou encore le climat de chez nous. J’invite aussi à lire dans le passé comme dans un miroir pour y déceler les erreurs que l’on a pu faire et éviter ainsi de les recommencer.
Vous remettez-vous parfois en question ?
Oui bien sûr, dans la vie d’une personne, il y a toujours énormément de choses que l’on regrette, mais bon, en même temps c’est difficile de trancher parfois, de trier entre ce qui semble bien et ce qui nous apparaît comme une maladresse. J’ai enregistré des albums très "modernes". Parfois je peux douter, me dire que j’aurais dû faire différemment. Je me pose des questions. J’ai en tout cas au moins une certitude, la seule chose que je ne regrette pas, c’est le fait d’être resté toujours basé au Sénégal.
Vous êtes co-producteur du nouvel album d'Orchestra Baobab, Specialist In All Styles, qui annonce une seconde carrière pour ce groupe. Vous auriez aimé initier cette résurrection ?
Mais c’est moi qui en suis l’initiateur. Un jour, Nick Gold, (producteur anglais, à l’origine, entre autres, du projet Buena Vista Social Club, ndlr) m’a demandé si cela m’intéresserait de relancer le Baobab, dont il était fan. J’ai dit OK, à condition de remonter le groupe avec les musiciens qui étaient là au départ. J’ai envoyé quelqu’un chercher Barthélémy Attisso, le guitariste, un élément essentiel, qui était au Togo et on a commencé à rassembler tout le monde. C’est vrai que Nick avait aussi d’autres idées pour cette histoire, alors je lui ai proposé que l’on co-produise cet album.
Le Baobab, c’est une musique très marquée latino. Une couleur qui marche plutôt bien en ce moment en Europe mais pourtant absente sur Nothing’s In Vain.
Lorsque je suis venu dans la musique, c’était l’époque où la musique latino avait du succès au Sénégal. Moi, je suis arrivé avec mon style, le mbalax, les rythmes wolof. J’adore le latino, mais je n’ai pas cette culture, cette habitude de chanter en espagnol. J’ai horreur de l’attitude qui consiste à se détourner de son truc et de faire du latino sous prétexte que cela fonctionne actuellement.
Youssou N'Dour Nothing's in Vain (Nonesuch/Warner) 2002