Le match de boxe des Têtes Raides

Avec les Têtes Raides, la scène c’est comme un combat. RFI Musique a suivi le groupe en tournée, deux jours durant, entre Marmande et Figeac. Carnet de route ou plutôt récit d’une confrontation… En six round !

Premier round : premier contact. Vendredi 14 avril, treize heures et des poussières. Les huit membres de Têtes Raides ne sont pas encore arrivés. Mais déjà, l’équipe technique s’accapare la grande scène de l’Espace Exposition de Marmande (Lot-et-Garonne). Encaissé entre une route nationale et un Mc Donald’s, l’endroit a des allures de hangar à  bestiaux. N’empêche, pendant trois jours, il accueille la dixième édition de Garorock, l’un des festivals rock majeurs du sud ouest. Les musiciens arrivent au compte-gouttes. Edith (claviers, cuivres) et Anne-Gaëlle (violoncelle, violon), d’abord. Jean-Luc, dit Lulu (batterie), Pascal (basse), Serge (guitare) et  Grégoire (saxophone) ensuite. Jef Le Poul, le régisseur de la tournée Fragile,  lance : "Mère-Grand  est arrivée". Christian, alias Mère-Grand, la voix de Têtes Raides, fait son apparition. Il a les traits tirés.  "J’ai terminé l’émission d’Ardisson à deux heures et demi du matin, explique-t-il. J’ai roulé toute la nuit, je n’ai presque pas dormi."

Deuxième round : ça balance pas mal. "Hé ya hé ya hé ya hé, Hé ya hé ya hé ya hé." Grégoire entame les chœurs de Qu’est-ce qu’on s’fait chier ! Attablé devant un plat de crudités et un verre de vin, Christian lâche, sur le ton de la plaisanterie : "Qu’est-ce qu’il est mauvais ce chanteur ! Faudrait le changer, non ?" Quelques instants plus tard, le groupe des Têtes Raides est réuni. En fait, il ne manque que Pierre, le tromboniste. Il ne viendra que plus tard, pour le concert. Anne-Gaëlle fait sa balance, Grégoire est allongé par terre. Il porte un tee-shirt jaune pétard où on peut lire : "NON à l’immigration jetable".  Le slogan est celui qui a entouré le rassemblement du 2 avril 2006, place de la République, à Paris. Un concert pour protester contre "l’immigration choisie" prônée par le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy et "pour dire non à la politique inhumaine de l’Etat Français depuis des années, en matière d’immigration".  Les plombs sautent : fin des balances. Direction l’hôtel, pour une sieste.

Troisième round : l’invitation. Sept heures. Le long de la nationale 113, des groupes de jeunes affluent. Certains ont déjà leurs places, d’autres en cherchent désespérément. Manu, la vingtaine, une barbe d’une semaine, est de ceux-là. Du côté de l’entrée des artistes, il tape au carreau des voitures qui passent et demande : "Vous n’auriez pas un ou deux tickets à vendre ?" Pascal (dit Cali), le bassiste de Têtes Raides, lui répond : "Je n’en vends pas, mais je vais voir ce que je peux faire pour t’avoir des invitations. Donne-moi ton numéro, et de toute façon, je te rappelle pour te dire."  "On est dans une région viticole, bégaye presque Manu. Si tu arrives à m’en avoir, je te ferai passer une caisse de vin." "Ça ira, ne t’embête pas" termine Pascal. Avant de commenter : "La dernière fois, on venait du sud de la France, on a pris deux autostoppeuses. Au final, on les a invitées pour  le concert du soir, elles ont mangé avec nous et elles ont dormi à l’hôtel. Généralement, les gens sont plutôt sympas, ils aident toujours  à décharger le camion…"

Quatrième round : la confrontation. Ce soir, premier festival de l’année pour les Têtes Raides. Il y a donc un stress supplémentaire. Et puis, il faut raccourcir le programme. De deux heures et vingt-quatre chansons, le concert  passe à une heure et quart et dix-sept morceaux. "Ça doit faire boom" résume Jef. Ça tombe bien, en live, les Têtes Raides sont plutôt du genre puncheur. "Nos concerts, c’est comme un match de boxe, raconte Edith. On essaye de ne pas baisser la garde et de mettre des bonnes droites." Parfois, il arrive aussi que les Têtes Raides prennent des coups. Pour ce Garorock, la prestation aura certes été efficace (les 6.000 personnes auront bien dansé sur Latuvu et été rappelé au son de Ginette). Mais l’acoustique hasardeuse de l’endroit et des problèmes de son auront fait de ce duel un match de poids moyens.

Cinquième round : sortie du ring. A peine descendus de scène, les huit font un premier point. "Ne parlons pas musique, ne parlons pas de choses qui fâchent" peste Lulu. "Ça a été, mais au niveau du son, c’était raide" nuance Cali. "J’ai ramé" reconnaît François, le sonorisateur façade. Le lendemain, au petit déjeuner, on rumine encore les uppercuts encaissés la veille. "Sur Saint Vincent, je ne m’entends pas jouer" avoue Serge. "Y’aura eu des pains (ndla- comprenez des erreurs), beaucoup de  pains, conclue Jef. Mais il y aura eu aussi de l’énergie et de belles victoires. On va dire qu’on n’est pas vainqueurs par KO, d’accord, mais on gagne quand même aux points."  

Sixième round : vainqueurs par KO. 270 kilomètres plus loin : Figeac. Une petite ville du Lot, avec ses vieilles pierres et son espace François-Mitterrand, dont le toit a en partie été brûlé. Là, des amis ont rejoint la troupe avec quelques ripailles. De quoi mettre dans de bonnes dispositions. Vingt-deux heures quinze et des brouettes : Lulu martèle ses fûts, la guitare de Serge sature, Christian perce le rideau qui ouvre sur la scène. "C’est Fragile l’extension de tes bras, c’est fragile les cordes de ta voix" chante-t-il. Façon swing, il enchaîne avec Houba, un autre titre du dernier album. Le public, extatique, en prend plein la figure. Mike, un ancien guitariste du groupe "qui s’est tapé l’incruste", assure un entracte. Et ça repart de plus belle : une gauche, une droite. Déjà sonné par l’intensité des claques reçues, le millier de personnes dans la salle est à terre. Il se relève quand même après deux heures de lutte, pour un ultime rappel (Georgia -un texte du poète Soupault, l’Iditenté, Saint Vincent) à vous laisser KO. Ou dans le langage Têtes Raides : Not dead but bien raides.