Luke plus rock

La Tête en arrière, deuxième album du groupe

Après un premier album de rock mélancolique sorti en 2001, Luke négocie un virage radical en s’engouffrant avec La Tête en arrière dans une veine plus brute et plus proche des urgences sonores de Noir Désir que des arpèges cristallins de Coldplay. Explications avec Thomas Boulard, la tête pensante de ce groupe qui n’en est pas vraiment un.

Bien accueilli par la critique de l’époque, La Vie Presque, le premier album de Luke proposait un rock romantique et élégant privilégiant la subtilité des ambiances et un chant très distancié. Trois ans plus tard, Luke et sa musique se sont nettement dépouillés: des cinq membres originaux, il ne reste plus que le chanteur-guitariste, le bouillonnant Thomas Boulard et les arrangements sophistiqués de cordes et de claviers se sont effacés devant des guitares saturées et des rythmiques plus musclées. Ce changement abrupt était inévitable et vital pour celui qui se définit lui-même comme "la mère pondeuse" de Luke: "Cela s’est fait sur plusieurs mois. Après la tournée qui a été longue et difficile pour plein de raisons, il s’est trouvé que les nouvelles chansons que je composais ne plaisaient pas aux autres membres de Luke. J’allais vers un style plus simple, plus rock qui ne correspondait pas à leurs envies. Ludo (batteur) et Stéphane (bassiste) avaient en plus d’autres groupes à côté où ils composaient et chantaient et il y a vite eu une panne de désir, un désinvestissement de leur part. En bref, personne n’avait envie de jouer la musique que j’écrivais et moi, je voulais sortir du train-train du groupe, me mettre en danger, prendre des risques".

Remaniement de personnel donc avec l’arrivée de Damien, bassiste en congé de Eiffel et de Romain, batteur de Vérone qui viennent apporter fraîcheur et pêche aux nouvelles compositions de Thomas. Toujours produit par Dan Presley, déjà responsable du son du premier album, afin de garder une certaine stabilité et de retrouver une bonne ambiance de travail dans le studio, La Tête En Arrière prend vite des allures de manifeste rock: "Je voulais faire un disque de genre, c’est à dire un disque de rock français avec des textes plus engagés, des guitares plus dures. Le rock, c’est ma culture, mon éducation. Je ne voulais plus me cacher derrière des couches de cordes ou de claviers. J’ai donc composé avec seulement une guitare sèche et un dictaphone sans m’appuyer sur les facilités et les cache-misères que propose un ordinateur.Après, en studio, les nouveaux membres de Luke ont également beaucoup apporté."

Luke politique

La Tête En Arrière tient donc ses promesses en décochant trois fléchettes enflammées à la suite: Comme Un Homme, Soledad et La Sentinelleoù la voix de Thomas Boulard ne se ménage plus. "Sur le premier album, je chantais proche du micro car je n’osais pas y aller, je me cachais derrière les effets. Avec la tournée, j’ai réalisé qu’il fallait aller chercher le public et pour moi, c’est passé par la voix: j’ai hurlé!" Et comme on ne hurle pas des chansons d’amour, les textes de Luke ont également subi un véritable ravalement: "J’ai toujours eu des préoccupations politiques mais le groupe ne voulait pas en entendre parler et puis, c’est aussi l’héritage de Noir Désir. Ils ont montré la voie comme également Les Têtes Raides. C’est vrai que les textes de cet album sont plus engagés ("Est-ce que la fièvre est un délit d’opinion, est-ce que ma peine est un vote de sanction…"), plus virils dans le sens où ils expriment un univers plus masculin et revendiquent une posture digne et haute face à la société." Et quand on fait remarquer à Thomas Boulard que ses textes s’adressent cette fois-ci plus aux garçons qu’aux filles, il rétorque: "On est pas toujours obligé de parler d’amour non plus! C’était principalement le thème des chansons du premier album mais là, j’avais envie de raconter des choses plus universelles comme dans Le Reste Du Monde. Je ne sais pas à qui s’adresse les chansons de Luke mais j’aimerais que ce soit à l’adolescent qu’on devrait tous rester, celui qui est entre deux âges, à la fois adulte et enfant."

Sans jamais pour autant tomber dans la naïveté, les nouvelles chansons de Luke possèdent toutes cette intensité particulière propre aux écorchés vifs. Impossible du coup de ne pas faire le rapprochement avec Noir Désir, influence totalement assumée par Thomas: "Quand tu fais du rock français, par qui d’autre veux-tu être influencé, à part eux et La Mano Negra? En plus, je suis originaire de Bordeaux et j’ai grandi avec ce groupe. Pour moi, ils représentent ce que doit être le rock en France: une énergie, une écriture et une présence scénique. Ils sont à la fois capables d’écrire un riff comme celui de Tostaky et de composer sur le même disque une chanson comme Marlène".

Une vraie course

Fiévreux et généreux à l’image de son leader, La Tête En Arrière marque aussi quelques pauses réussies et émouvantes comme Seveso ou L’Espèce Humaineoù l’on reprend un peu son souffle. "C’est vrai que c’est un album de course, de lutte… Mais je me vois vraiment comme une antenne, une éponge qui rejette le jus de notre siècle: parler vite, avoir une idée par morceau, une couleur, simplifier son propos pour être entendu, revenir à un corps qui pense…" A cause de sa brutalité, la transformation de Luke sera sans doute critiquée, voire taxée d’opportunisme, mais elle est peut-être juste le reflet de celle qu’a vécu son leader: "Je ne voulais plus faire de la musique pour plaire aux critiques de rock ou aux trentenaires parisiens mais pour des gens qui viennent s’éclater dans les salles de concert. Etre musicien, ce n’est pas travailler à la Poste, on a besoin de changement".

A voir et à entendre l’envie et l’énergie qui animent Thomas Boulard, on peut en tout cas parier que cette première mue ne sera pas la dernière.

Luke La Tête En Arrière (Le Village Vert/ BMG) 2004