NUITS MÉTIS EL HILLAL LA SAOURA 2005

La deuxième édition des Nuits Métis-El Hillal La Saoura a eu lieu du 23 au 26 mars 2005 à Béni-Abbès, au pied du grand erg occidental dans le Sahara algérien. Cet oasis est devenu le temps de quelques jours le lieu de rencontres artistiques intenses où groupes locaux et étrangers ont partagé l'affiche.

Une rencontre réussie au Sahara

La deuxième édition des Nuits Métis-El Hillal La Saoura a eu lieu du 23 au 26 mars 2005 à Béni-Abbès, au pied du grand erg occidental dans le Sahara algérien. Cet oasis est devenu le temps de quelques jours le lieu de rencontres artistiques intenses où groupes locaux et étrangers ont partagé l'affiche.

 

 Quand la politique s’en mêle, tout peut arriver en Algérie comme ailleurs, et cette seconde édition du festival Nuits Métis-El Hillal La Saoura, à Béni-Abbès, a débuté le 23 mars 2005 par une soirée mémorable. Le walli (le préfet, chef de la willaya) de Béchar décidait le matin même d’assister au concert, tout en insistant pour modifier la programmation. Il a téléphoné, usé de son autorité, et finalement est arrivé à ses fins. C’est donc Ferda, un groupe de Kenadsa, à quelques 250 kilomètres de là, qui a joué. Ferda était programmé à l’origine pour le dernier soir, mais grâce à l’intervention du walli, nous avons eu le plaisir de les voir deux fois sur scène, et ça valait la peine…

A 20h30, le théâtre du Mouloud, le large amphithéâtre en arc de cercle, à l’entrée du village, était déjà noir de monde. Il faut dire qu’en dehors de la fête du mouloud - l’anniversaire du prophète - une fois par an, et du festival, le sud du Sahara accueille rarement les musiciens en tournées. L’ambiance était chaude, donc, pour accueillir Ferda.

Ferda signifie, en arabe, la moitié d’une paire de chaussures ! Un curieux nom de groupe, dû à l’imagination de ses musiciens, qui aiment bien user d'instruments issus d'objets du quotidien, comme le méheaz, simple pilon transformé en percussion, ou le t'bel, un large tambour au son grave qui se jouait auparavant sur un plat à couscous retourné, et frappé avec une babouche pour ménager les mains du percussionniste. Ferda existe depuis trois générations et cultive le syncrétisme musical. Pour vanter la beauté des femmes, le groupe n’hésite pas à ajouter aux voix des instruments venus d’ailleurs, comme le banjo. Cette spécificité est due à ce que leur village, Kenadsa, à trente kilomètres de Béchar, a de tous temps attiré des étrangers, que ce soit par la présence d’un cheikh - un sage renommé - ou par l’exploitation de mines de charbon. Et de ces rencontres est né un style particulier et attachant dans lequel chacun peut se retrouver.

Cette année, c’est l’association El Hillal La Saoura (du nom de l’oued qui traverse l’oasis) qui était pour moitié responsable de l’organisation et de la programmation. L’autre moitié étant due à l’autre association partenaire, les Nuits Métis, de Marseille, initiateurs du projet et provocateurs de rencontres musicales trans-méditerranéennes. C’est grâce à cette connexion marseillaise que les Dubians de Lille, et Barbès D de Marseille, sont venus présenter leurs créations, fruit du travail en commun avec des musiciens de Béni-Abbès.

Rencontres fructueuses

 

    L’ensemble du festival s’inscrit dans la rencontre culturelle, et la quatrième soirée, au pied de la dune, nous en livra non seulement le résultat musical, mais également visuel, par la projection du documentaire de Jean-François Marc (Marseille) et Mebrouka Bousaid (Béni-Abbès), tourné et monté pendant la durée du festival, intitulé Territoires et frontières. C’était l’occasion de confronter les points de vue d’une vingtaine de personnes sur le sens de ces concepts. Quant à la musique, enfin, nous allions écouter le fruit de la rencontre fructueuse entre la tradition du désert et la modernité issue du reggae et du dub.

Un tiers du public était assis sur l’immense dune de sable ocre qui domine la scène, les deux autres tiers se partageaient l’espace plat devant celle-ci ; hommes et femmes séparés par une barrière, les uns debout, cigarette à la bouche, les autres majoritairement voilées, assises sur le sable avec les enfants. Les éclairages donnaient une couleur grandiose à ce lieu magique, et pour nous, touristes, techniciens ou journalistes, venus d’Europe ou d’Algérie, s’ajoutait à cette image l’accueil direct et chaleureux de la population de Béni-Abbès.

Les Dubians étant incomplet pour l’occasion (6 musiciens au lieu de 7), ils ont joué sous le nom de Setta (6 en arabe). Une semaine de travail quotidien sur place, avec des musiciens locaux, pour composer un répertoire entièrement original, leur dub restructuré pour accueillir le violoniste Kada Bella, ou les chanteurs Saïd et Sofiane. Manque de chance, l’émotion et la fatigue eurent raison de la voix de leur chanteuse, Naïma, qui se retrouva aphone au troisième titre du concert. Mais la frustration qui nous saisit tous fût de courte durée. Quand Barbès D. monta sur scène avec les six chanteurs du groupe El Maya, tout le monde se mit à danser. El Maya au chant, bendir et karkabou, David Barbès à la guitare, séquences et autres effets, nous donnèrent le frisson de la symbiose réussie. Là aussi, du reggae-dub, à la fois électro et chaud : c’était un pari difficile à tenir, mais gagné. Les El Maya, de Béni-Abbès, sont la jeune relève formée à la musique traditionnelle du Sahara, mais pour l’occasion, toutes les compositions étaient originales. Barbès D., lui, est issu du reggae, la musique qui se prête probablement le mieux à la rencontre des styles et des instruments. Le résultat était chaleureux, dansant, et séduisit autant les étrangers au sud saharien, nourris à la musique électronique, que les habitants de Béni-Abbès.

 

 Ce festival est donc bien le lieu des rencontres vivantes. Et malgré quelques changements de programme imprévus, nous en sommes tous repartis avec des images festives, pleines de création et d’humanité. On aimerait bien que ces quelques jours aient une suite. Devrons-nous vraiment attendre l’année prochaine ? Pas sûr. Il se pourrait que les artistes prolongent eux-mêmes leur collaboration par une production discographique. Et puis, le Sahara algérien n’est pas si loin qu’on ne puisse aller rendre une visite amicale à ceux qui nous ont si bien reçus.

Agnès Rougier