L' Intemporel Fabien Martin
Il s’était fait connaître il y a deux ans, avec un détournement tragi-comique de La Vie en rose, le standard d’Edith Piaf. Moins second degré, la voix plus assurée, Fabien Martin revient avec Comme un seul homme, une œuvre actuelle qui n’hésite pas à se nourrir du passé.
Comme un seul homme, nouvel album
Il s’était fait connaître il y a deux ans, avec un détournement tragi-comique de La Vie en rose, le standard d’Edith Piaf. Moins second degré, la voix plus assurée, Fabien Martin revient avec Comme un seul homme, une œuvre actuelle qui n’hésite pas à se nourrir du passé.
Un nom d’artiste pareil, ça ne s’invente pas : "Si j’avais choisi un pseudo, j’aurais quand même pris un truc plus rock’n’roll !" Trentenaire échevelé, Fabien Martin goûte assez peu, en toute logique, qu’on le compare à la confrérie envahissante des chanteurs bobo nostalgiques. Pour se différencier, il a trouvé le remède infaillible : Toute une vie, titre d’ouverture et tube imparable. D’une justesse insolente, il triture le désarroi contemporain : "Entendre de belles paroles / Pas seulement le cours du pétrole / Nos vies valent bien plus que ça."
Un (énième) hymne gauchiste ? Ses yeux s’arrondissent de surprise : "C’est plutôt un questionnement de gens un peu jeunes qui trouvent que les choses ne vont pas très bien, mais qui ne savent comment faire pour les améliorer. C’est déjà compliqué de comprendre le monde, on s’est rendu compte que c’était encore plus compliqué de le changer. Comme l’a dit Jean-Luc Godard : 'On est tous les enfants de Karl Marx et Coca Cola'. C’est un peu ça Toute une vie. Pour se réveiller, prendre conscience de nos tics de consommation. Mais je ne vais pas jouer le rebelle… soutenu par une multinationale." Le titre est d’autant plus efficace que son refrain se contente d’un lalala contagieux. Un choix délibéré : "J’avais envie que cette chanson ait une force populaire, que les gens la reprennent, ce qu’ils font d’ailleurs en concert. Qu’elle ait un côté hymne."
Les mains attachées dans le dos
Sur son premier album Ever Everest, Fabien Martin tissait, comme beaucoup, ses textes à partir d’aventures sentimentalo-cocasses. Dans Comme un seul homme, il n’hésite pas à aborder d’autres thèmes. "J’assume d’être plus sérieux, reconnaît-il. J’étais un peu énervé par cette vague second degré qu’on entend beaucoup [dans la chanson française]. Même si moi aussi j’ai beaucoup pratiqué. Aujourd’hui, j’en ai un peu marre. J’avais envie d’être plus brut et imagé. Ce qui m’intéresse c’est de parler de l’humain. Dans sa vie, seul, mais aussi dans l’histoire du monde, dans ses relations avec les autres."
Dans le registre historique, on retiendra la ballade magnifique 1936, une ode bâtie sur une montée aussi imperceptible qu’inexorable, un titre que Fabien a imaginé à partir de la phrase choc attribuée à un combattant républicain lors la guerre d’Espagne. "Nous avons perdu toutes les batailles, mais c’est nous qui avions les plus belles chansons." De cette sentence aussi vaillante que résignée, il entonne une marche fraternelle sur ce que ressent "ce type qui sait qu’il va se faire fusiller". Histoire de coller au personnage, Fabien a enregistré le chant les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Ambiance…
Le temps du passé présent
Mais quand il évoque le passé, Fabien Martin n’en démord pas, c’est le présent qu’il décrit. Dans Paris Gangster, inspiré du livre éponyme de Claude Dubois, il aborde l’univers d’un "vieux brigand qui se retrouve dans ce monde là, aujourd’hui, et qui n’y comprend rien. J’ai de la tendresse et en même temps de l’énervement pour tous ceux qui ont connu le Paris d’avant-guerre et qui en gardent une nostalgie incroyable. Le genre : c’était mieux, avant." Autre collision temporelle, il met en musique deux poèmes de Paul-Jean Toulet, auteur (mé)connu au début du XXe siècle pour une forme particulière d’écriture : la contrerime. Un exercice coutumier pour Fabien Martin qui avait déjà couché un texte d’Appolinaire sur son premier album. Il dédramatise : "J’aime bien travailler avec les morts parce que je ne suis pas embêté au moins ! Quand je vois ces poèmes je trouve qu’il sont très actuels. Il aurait pu naître il y a quarante ans et écrire aujourd’hui. Je n’ai aucun doute là-dessus." D’autant que Fabien se les approprie de façon étonnante, au point de nous délivrer sur C’était bien avant la guerre une envolé lyrique digne de Radiohead.
Sa voix, d’ailleurs, Fabien l’a beaucoup travaillée. Elle apparaît ici avec plus de clarté, moins chevrotante que sur Ever Everest. "J’ai acheté une gomme pour enlever plein de choses, explique-t-il en souriant. Pour moi c’est ça le chant, enlever tout le superflu et les tics. Pour être le plus pur possible. Ce n’était pas forcément le cas à mes débuts. Je me cachais derrière des artifices que je pensais sincère."
Paradoxalement, Comme un seul homme perd le côté attachant du premier album. Une fois la spontanéité d’Une seule vie passée, les autres titres, malgré leurs qualités, désarçonnent. Ils demandent à être apprivoisés. Pour apprécier ce disque, il faut suivre Fabien Martin dans sa quête du temps passé présent. Chaque morceau se révèle au fil des écoutes. Après tout, rien ne sert de courir…
Fabien Martin Comme un seul homme (ULM-Universal) 2006