LES 20 ANS DE LA FETE DE LA MUSIQUE

Paris, le 11 juin 2001- La Fête de la Musique a vingt ans cette année. Pourtant, on a l’impression qu’elle a toujours existé. En France aujourd’hui, c’est devenu tellement naturel de descendre dans la rue le 21 juin pour célébrer la musique, que cet événement culturel est aussi incontestable que l’arrivée de l’été.

Souvenirs, souvenirs...

Paris, le 11 juin 2001- La Fête de la Musique a vingt ans cette année. Pourtant, on a l’impression qu’elle a toujours existé. En France aujourd’hui, c’est devenu tellement naturel de descendre dans la rue le 21 juin pour célébrer la musique, que cet événement culturel est aussi incontestable que l’arrivée de l’été.


C’est le rendez-vous populaire par excellence que personne ne manque où que ce soit : à Paris, en province, en banlieue, dans les lieux les plus prestigieux ou les plus inattendus. Sur les places publiques, bien sûr, sur les parvis des églises, dans les parcs, les jardins, les cours des ministères. Mais également dans les écoles, à l’hôpital, en prison même. Le 21 juin, la musique surgit vivante, forte. Une palette sonore, pleine de couleurs. A chaque fois c’est une pochette surprise avec le monde entier à l’intérieur. Toutes les tendances, tous les genres se mélangent, rebondissent, se télescopent. Il y a des carambolages rythmiques, joyeux parfois, aux carrefours des cités. Ce qui fait que la Fête ne vieillit pas, au contraire. Chaque année elle se régénère, s’amplifie et aujourd’hui on la célèbre dans plus d’une centaine de pays sur les cinq continents.

Des gens, dans la rue…
- « La Fête de la Musique, je participe comme je peux, en chantant, en dansant, en faisant le clown. C’est l’amitié des gens entre eux, de toutes couleurs, de toutes races qui se mélangent. »
- « Ah oui, puisque la musique n’a pas de frontières. Tout le monde est ensemble et on oublie que l’autre est vert ou jaune. On est tranquille, on discute, on oublie toutes les conneries. »
- « Moi, je vais vous expliquer. Je suis dans un groupe de raï, on a un orchestre et par rapport à la mairie où j’habite, on a un endroit, on va chanter là-bas. Après on va se balader dans la ville. On voit ici un groupe de rock, un groupe de punk. Pas mal de choses. »
- « Tout le monde est réuni, il n’y a plus de classes sociales. On est là que pour la musique, c’est tout. »
- « Pendant un concert, on ne dit pas qu’on n’a plus d’argent. On est là pour le groupe, on danse et puis c’est tout. Ce qui est pratique dans la Fête de la Musique c’est que c’est gratuit, c’est vraiment une fête. »

Tout le monde s’est emparé de la Fête de la Musique. A tel point qu’on oublierait presque qu’à l’origine cette grande vague musicale est née d’une décision politique. C’est le ministère de la Culture qui a impulsé et qui continue d’irriguer toujours plus fortement ce grand mouvement populaire. Tout au long de l’année, les réseaux institutionnels comme les orchestres nationaux et régionaux, les conservatoires, les théâtres lyriques s’activent en prévision du 21 juin. Tandis que les grandes fédérations amateurs, les chorales, les fanfares mobilisent leurs relais partout en France. Les associations locales mettent leurs équipements sociaux et culturels à la disposition des musiciens. Et cette année par exemple, 7 artistes ont créé, à la demande du ministère de la Culture, sept compositions musicales ; et 80 graphistes ont réalisé des affiches pour ce vingtième anniversaire. La Fête de la Musique n’est pas l’histoire d’un jour. Aujourd’hui, elle est profondément enracinée dans la vie des Français.

Catherine Tasca et la Fête de la Musique
« Je crois que la musique, le langage musical dans toute sa diversité, est un langage fort de la fin du 20ème siècle et de ce début de 21ème siècle. Beaucoup de gens, dans une société qui en plus est assez cosmopolite, se fient plus volontiers pour communiquer entre eux à la musique qu’ils ne se fient aux mots. C’est pour ça qu’il y a là un terrain d’échange et en même temps de découverte qui se renouvelle. L’humus de ce vingtième anniversaire n’est plus celui de la première édition, il est enrichi, il s’est même considérablement enrichi. Je crois que ce qui attache profondément les publics qui se renouvellent d’année en année, qui s’élargissent, c’est ce côté spontané, ce côté hors des lieux classiques, des manifestations culturelles, et aussi le frottement des générations et des genres.
A sa manière, la musique est naturellement pluridisciplinaire parce qu’elle croise des genres, elle croise des époques, elle croise des instruments de toutes sortes. Elle favorise aussi la rencontre entre des gens venant de différents continents et c’est cette nature profondément cosmopolite échappant aux modèles finalement, échappant au formatage aussi. Je crois qu’il y a un immense besoin aujourd’hui, par rapport à la mondialisation et à ce qu’elle apporte de fort, d’énergique, de maintenir toutes les échappées possibles vers la diversité des expressions.
Et la musique s’est révélée un terrain formidable d’expression de la diversité. Je crois que c’est ça qui lui attache année après année, génération après génération, des publics très divers. Le fait que l’on puisse être aussi pratiquant soi-même est quelque chose de très important. Toutes les expressions artistiques ne le permettent pas avec la même gaieté, une relative impunité aussi. Personne n’en voudra à de jeunes chanteurs, à un jeune groupe de percussionnistes de se produire sur une place, de se produire dans une cour de lycée, même s’il ne prétend pas aux standards internationaux.
Il y a des modes d’expression où d’emblée, c’est plus difficile pour les amateurs d’entrer de plain-pied dans quelque chose de vivant, et avec une relation avec le public. J’étais l’autre soir au Salon de la musique que nous avons ouvert par un concert, par un formidable univers musical. Il y avait un millier d’instrumentistes amateurs venant d’écoles de musique des quatre coins de la France qui ont interprété le Boléro de Ravel sous la direction de Marc-Olivier Dupin. C’était comme une mer musicale qui se déclenchait comme une vague. C’était un vrai événement musical. C’était une rencontre musicale parce qu’en plus il n’y avait pas de séparation entre le public et les instrumentistes. Le public collait à cette masse de musiciens et on était pris dans cette vague tournante du Boléro de Ravel. C’est tout ça qu’a apporté la Fête de la Musique qui a enflé d’année en année et qui garde jusqu’à présent ce côté libérateur par rapport à des codes, par rapport à des lieux, par rapport à des cadres. Et donc, c’est le pouvoir à l’imagination. »

Alors, on ne peut célébrer le vingtième anniversaire de cette grande fête du rythme et du son sans rendre hommage au regretté Maurice Fleuret, Directeur de la musique et de la danse en 1982. A la demande Jack Lang, le ministre de la Culture d’alors, Maurice Fleuret met toute son énergie à devenir Le directeur de toutes les musiques, de l’accordéon jusqu’à l’industrie phonographique : rock, jazz, musique classique ou traditionnelle, chanson française. Toutes les pratiques, qu’elles soient professionnelle ou amateur doivent trouver leur place. Il faut décloisonner l’univers musical.
Maurice Fleuret en 1982
“Ce n’est pas tous les jours la Fête de la Musique comme on pourrait le croire. Les genres sont séparés, chacun joue dans son coin, chacun s’enferme avec ses copains et ne connaît pas les autres. Parce que les musiciens dits classique ne connaissent pas les musiciens de jazz qui méprisent ceux de la variété, qui méprisent parfois les musiciens traditionnels et populaires des régions françaises. Qu’il est bon que l’on sache qu’il n’y a non pas une musique mais des musiques qui sont égales en dignité, qui méritent l’attention, qui méritent l’intérêt, qui méritent la passion. Alors, lorsque nous invitons tous les musiciens à descendre dans la rue, c’est pour se montrer à eux-mêmes leur existence, pour se connaître et se reconnaître, pour fraterniser et pour montrer que la musique compte dans la vie des Français. Non pas seulement pour le Français qui écoute religieusement son disque ou sa radio, mais pour celui qui, laborieusement, travaille son instrument ou sa voix. Pour montrer aussi que la musique est un art d’essence collective, que l’on ne fait bien de musique qu’ensemble et qu’il faut se grouper, se regrouper et donc se retrouver sur le lieu public par excellence qu’est la rue.”

Rendre la musique à la rue, qu’elle vive, qu’elle se partage dans toute sa richesse, sa diversité. Finalement, tout le monde attendait ça. Manu Dibango se souvient. Cette première nuit de l’été 1982, Manu est parti se promener dans les rues de la ville et ce soir-là, il est devenu spectateur. Cette fois, c’est lui qui avec curiosité et jubilation a écouté les autres.

 

Manu Dibango
“Il y avait des choses ethniques, des choses plus élaborées. Il y avait de A à Z. Il y avait des amateurs, mais alors ce qu’on appelle amateur, le plaisir de jouer. En fait, ce sont de multiples sampling, pour parler le langage de maintenant. Avec ça, on peut sampler pas mal de trucs parce que se sont quand même des sons que tu n’entends qu’une fois par an et qui sont à nuls autres pareils parce que les générations circulent, il y a d’autres trucs dans la vie courante qui arrivent qui font que les Fêtes de la Musique ne se ressemblent jamais. Il y en a qui faisaient des quatuors, il y avait le djembé ; il y en a qui ont découvert des instruments qui étaient là mais qu’on n’avait pas l’habitude d’entendre, que entre communautés. Mais là, c’était éclaté, les joueurs de djembé amateurs, toutes couleurs confondues. C’est un instrument qui porte bien l’esprit de la Fête où toutes les musiques sont mélangées. Ces percussions qui arrivent dans l’aigu, c’est extraordinaire.
C’est quand j’ai joué à la Fête de la Musique au Québec le 21 juin à Montréal que j’ai compris la dimension extérieure de la portée de cette idée-là. Parce que c’est ça aussi. Même au Cameroun dont je suis originaire, le 21 ils jouent. Je suis sûr qu’en Chine ça a également été adopté. C’était un besoin qui était là, qui dormait. Vous savez, cette histoire de princesse qu’un prince vient réveiller à un moment donné (rires), et bien la baguette magique cette fois-ci c’était Jack Lang qui l’a eu et qui a réveillé un truc. Et ce truc-là était tellement évident qu’il était bien caché. Depuis, c’est devenu un rituel pour tout un chacun. Et pour le bien des uns et des autres.”

Le 21 juin 2000, il y avait près de 800.000 musiciens à se produire pour la Fête de la Musique en France et quelques 10 millions de spectateurs. L’esprit de la Fête s’est développé partout, par-delà les frontières, dans une centaine de pays sur toute la planète. Pourtant, quand on remonte le fil de cette aventure aujourd’hui internationale, on se rend compte qu’à l’époque, il y a 20 ans, les choses se sont déclenchées et décidées en quelques semaines. Tout a commencé en avril 82. Un jour, Jack Lang reçoit un rapport réalisé par le Service des études et des recherches sur les pratiques culturelles des Français. Enorme surprise. Les chiffres indiquent qu’un Français sur cinq et un jeune sur deux pratiquent ou a pratiqué la musique. Aussitôt, conseil de guerre. Jack Lang convoque Maurice Fleuret et Christian Dupavillon. Le ministre a une conviction : les Français sont beaucoup plus musiciens qu’ils ne le croient eux-mêmes et il faut le faire savoir.
 

Jack Lang, ministre de la Culture en 1982
« On avait un trac terrible ! Sept heures et demi, huit heures du soir… Est-ce que les gens allaient sortir de chez eux ? Puis petit à petit, comme après une pluie, on a vu ici s’installer un petit orchestre, ailleurs surgir un soliste debout sur une caisse… C’était très réjouissant de voir qu’une idée simple, dès la première année, suscitait un éveil. C’était encore modeste, cela n’a pris un tour fort que l’année suivante, en 83. Il faut se souvenir qu’à cette époque l’idée était répandue que les français étaient plutôt rétifs à la musique, que ce n’était pas un peuple de musiciens. Bref, on voulait essayer de révéler aux citoyens qu’ils étaient plus musiciens qu’on le disait habituellement.
Ce qui a été assez saisissant –cela peut paraître aujourd’hui plus banal – c’est lorsque, dans les jardins du Trocadéro, une vingtaine de groupes de rock se sont installés, formant comme une sorte d’amphithéâtre musical entre les jardins et les fontaines. A ce moment le soleil a surgi, il y avait une sorte de magie. On avait simplement installé quelques branchements électriques.
Il ne faut pas oublier que, dans ces années-là, le monde était encore coupé en deux ; le bloc occidental et le bloc soviétique. Et la musique a été un pont assez fantastique entre pays ; le pays de l’est qui a le plus rapidement répondu à notre invitation a été la Hongrie, qui était encore sous régime communiste. On a eu plus de mal en Russie…
Mais, dès le début, la Fête de la Musique a été une bagarre ! Résistance politique, culturelle, ou administrative. A Paris même, quelque soit la personnalité du préfet de police, ça a toujours été difficile. Bien que membre du gouvernement, j’ai souvent été en conflit avec les ministres de l’intérieur successifs, à cause de cette fête ! Il y a eu quelque parties de bras de fer mémorables, notamment pour accéder aux places principales, comme la République ou les grands axes".

Jacques Higelin, l’un des grands amoureux de la Fête de la Musique a pris en 83 la tête d’une immense caravane puisqu’il a défilé de la place de la République à la place de la Bastille en traînant derrière lui plus de 30.000 personnes. Ce qui était d’ailleurs totalement dans l’esprit de la Fête. Alain Surans se souvient bien. Il était à l’époque conseiller auprès de Maurice Fleuret à la Direction de la musique et de la danse. Au ministère, ce que l’on recherchait, c’était de provoquer comme une espèce de grande manif musicale.
Alain Surans
“J’ai un souvenir en particulier, je pense que c’était en 83 ou 84, ça n’était pas la première Fête de la Musique. C’était le premier concert de la Fête de la Musique de cette année-là. C’était la fanfare d’une petite ville de Lorraine qui était allée à 5 heures du matin accueillir l’équipe qui remontait de la mine et l’équipe qui descendait dans la mine. C’était l’un des derniers puits de mine ouverts en Lorraine. Tous les musiciens de l’harmonie avaient décidé de se mobiliser pour faire de ce moment très particulier, dans une période qui était une période dure puisque les mines ont fini par fermer, pour manifester une solidarité par la musique avec ces mineurs. Ils avaient évidemment placé ça très tôt le matin pour que ce soit le premier concert de la Fête. Evidemment, c’est pour moi un des très beaux souvenirs symboliques de ce que la Fête peut impliquer de fraternité.
On n’était pas dans l’idée d’organisation mais complètement dans l’idée fondatrice de spontanéité. L’idée c’était de mettre particulièrement en avant les musiques qui pouvaient se déplacer. Donc nous avions suggéré évidemment aux harmonies et fanfares de bouger et nous avions suggéré aux chorales de se déplacer d’un lieu à un autre pour chanter ici deux chansons de la Renaissance, là un petit choral de Bach, là une adaptation de chanson, etc. D’où d’ailleurs l’idée que ça devait être quelque chose d’assez bref. Donc on avait décidé que ce serait une demi-heure, le soir, à l’heure du journal télévisé. On avait tout de même commencé à prendre des contacts avec des autorités diverses, bien sûr les préfectures et la Préfecture de police à Paris, mais aussi les évêchés puisque toutes les cloches s’étaient mises à sonner pour signaler le début de la Fête de la Musique. Ça a commencé à 20 heures et ça ne s’est pas achevé avant 3 heures du matin dans certaines villes. Ça a duré toute la nuit. Les rapports que nous envoyaient nos directions régionales des affaires culturelles, par fax ou par téléphone, étaient des rapports complètement stupéfaits de l’affluence et du dynamisme soudain que cette idée prenait, d’une manière complètement spontanée. Je faisais partie de l’équipe qui épinglait les communiqués sur un petit tableau de liège pour les journalistes qui avaient été invités rue de Valois à suivre les concerts qui se passaient dans la cour du Palais royal, mais aussi pour apprendre comment se déroulait la Fête à travers la France. J’épinglais un petit communiqué, « Strasbourg, 10.000 personnes dans la rue pour écouter tel et tel musicien ». A Toulouse ça a été tout de suite un succès extraordinaire, tout le monde était dans la rue, c’était incroyable. Mon souvenir le plus vif, c’est une conversation que j’ai eue avec notre conseiller pour la musique en Franche-Comté qui nous expliquait qu’à Dole tout le monde était dans la rue. Tous les gens étaient descendus dans la rue, soit pour faire de la musique soit pour en écouter. Il y avait encore à minuit la moitié de la population dans la rue. Ça a été un succès absolument phénoménal et une surprise totale.”



Des gens, encore…
- « C’est la fête pour toutes les chansons du monde. »
- « Ça fait qu’il y a plus de convivialité. C’est très sympathique. »
- « Par exemple, un jour où j’étais à la Fête de la Musique, j’ai dansé devant ma grand-mère pour lui faire plaisir. »
- « C’est normal, il faut que l’on danse. Tout le monde est content. Ça se drague, il y a des gens qui n’ont pas de copine, ils en profitent pour trouver une copine à la Fête de la Musique. Il y a beaucoup de choses qui se passent à la Fête de la Musique. Je suis parti avec des copains à la Bastille, il y a un copain qui a chopé une gonzesse et c’était bien. Jusqu’à aujourd’hui, ils sont ensemble et ils ont deux filles. » - « Ça s’est bien passé, tout le monde est content. Les gens vont être heureux de participer. »

C’est vrai qu’il se passe beaucoup de choses à la Fête de la Musique, et parfois des performances les plus inattendues. En 83, Yannis Xenakis crée pour la Fête Le chant des soleils. Par retransmission vidéo, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus dirige simultanément cette œuvre pour chœur et orchestre d’harmonie dans dix villes du Nord-Pas-de-Calais. Quelques années plus tard, c’est Nicolas Frize qui crée un concert de baisers au Palais royal. En 1990, alors que des pluies diluviennes s’abattent sur la capitale, le Conservatoire national supérieur de musique déménage ses élèves et ses instruments dans un gigantesque défilé à travers Paris. Cinq ans plus tard, nouvel exploit : on tente de rassembler un maximum d’instruments en un même lieu. 700 instrumentistes et 100 choristes aux Invalides, 21 pianos aux Gobelins. La Fête donne de l’imagination à tout le monde. On écoute le compositeur et directeur de l’Orchestre philharmonique de Montpellier, René Koering.
René Koering
“Dès la première année, quand Maurice Fleuret a eu cette idée assez extraordinaire, il faut l’avouer, j’étais directeur de France Musique à l’époque et je ne savais pas très bien comment faire entrer la radio dans ce système de musique qui serait à tous les coins de rues, dans toutes les rues de France et dans tous les villages de France. Je ne savais pas très bien comment faire. Ça a été un peu hésitant pendant un ou deux ans. Après, j’ai eu l’idée que la radio pouvait peut-être servir à cette Fête de la Musique. J’ai organisé la chose suivante : j’ai mis un orchestre dans un studio qui allait diffuser live sur les antennes de France Musique. L’orchestre jouait l’accompagnement d’un concerto. C’était un concerto pour violons et pour flûtes. J’avais lancé l’idée que des jeunes ou des moins jeunes, des amateurs ou des professionnels aillent à tous les coins de la rue, s’ils aimaient ça, avec leurs transistors ou avec une organisation un peu plus sophistiquée peut-être, une chaîne avec des haut-parleurs.
Radio France en a installé quelques-unes en des points névralgiques de la capitale et on envoyait en direct sur la radio l’enregistrement du studio à qui il manquait quelque chose. Evidemment, c’était la partie soliste. Charge donc à ces jeunes amateurs ou a ces professionnels de remplir cette partie soliste en même temps que la diffusion de France Musique. L’idée était assez amusante, le résultat était un peu décevant de temps en temps, extraordinaire aussi. J’ai eu des retours par des parents d’élèves de conservatoire, par des amis qui avaient enregistré des petits bouts. Evidemment, le problème était d’être synchrone avec le chef d’orchestre qu’on ne voyait pas. Donc on ne pouvait pas prévoir ses attaques. C’était un petit peu branlant à ce niveau-là. Mais le reste, c’était l’enthousiasme formidable pour ces jeunes de jouer du violon ou de la flûte accompagnés, par l’Orchestre national de France. Ça n’était quand même pas tous les jours que ça risquait de leur arriver et c’était assez étonnant.
C’était une idée qui avait fait son chemin. Je l’ai refait un peu plus tard et d’autres gens que j’ai vus en Allemagne l’ont fait quelques années après. Ça m’a bien fait plaisir. En Italie aussi d’ailleurs. Mais ils se servaient de disques qui existent dans le commerce et qui permettent ce genre de réalisation. Malheureusement, il y a toujours un métronome qui bat par-dessus, c’est encore plus embêtant. J’avais évité ça, mais le métronome permet effectivement à la Fête de la Musique d’être plus professionnelle si on veut. Mais c’était très amusant. Par la suite, j’ai toujours lancé des idées pour la Fête de la Musique, pour que tout le monde s’y retrouve. J’ai fait des concerts sur des grandes places, j’ai fait des concerts un peu spéciaux comme le mélange des différents genres de jazz, la techno avec des orchestres symphoniques, etc. Je suis un participant tout-à-fait enthousiaste de ces fêtes-là. Chaque année je m’y prépare avec plaisir.”

Parmi les poètes de la Fête de la Musique, il en manquait un. C’est le grand violoncelliste Maurice Baquet, l’ami de Prévert et Doisneau. Avec le pianiste Christopher Beckett, Maurice Baquet imagine de descendre la Seine sur un radeau. Une espèce de plancher posé sur deux canoès et kayaks.

Maurice Baquet
“C’est donc en ce jour du 21 juin que nous avons trouvé dans ce petit port de l’arsenal qui est quai de la Rapée, non loin de la Bastille, deux grands canoès, le plancher. Et puis est arrivé le camion dans lequel il y avait le piano à queue de Christopher Becket, selon un système qu’il avait réussi à aménager. Une grue est venue saisir ce piano, le déposer sur le plancher. C’est à ce moment-là qu’on a vu arriver quelqu’un de la police fluviale avec un ballon et un peloton de ficelle. Il a posé ça sur le piano, on lui a demandé « mais, que se passe-t-il ? ». Il dit « nous pensons que tout ira bien mais quand le piano tombera à l’eau, le ballon avec la ficelle nous signalera l’endroit exact où la piano est tombé dans l’eau. » Ça partait bien déjà ! On s’est installé, on s’est mis en habits, presque tout était prêt. On est venu nous faire mettre des petits gilets de sauvetage, on ne savait pas si on devait les mettre dessus ou dessous. Il y a eu une grande scène d’habillage sur ce quai du petit port de l’arsenal. C’est à ce moment-là qu’un orage épouvantable est arrivé. Est tombée sur le piano une quantité d’eau. Vite, on a recouvert, il y a eu un branle-bas de combat. On est allé chercher des imperméables, des toiles de tentes. On a recouvert le violoncelle, le violon, les pupitres, le piano. Ça a été un déluge.
Puis subitement, tout s’est arrêté. On a repris confiance, conscience. Tout s’est éclairé, l’écluse s’est ouverte sur un grand soleil et nous nous sommes trouvés sur le courant de la Seine avec les quatre pagayeurs qui étaient de l’équipe de France qui venait d’être champion d’Europe, en Italie. Et nous avons descendu calmement, seulement suivis par un canoè à moteur de la police fluviale. La descente s’est faite vraiment sans incidents. Etait monté au dernier moment un copain à nous qui était venu avec une sonorisation. On était tous cramponnés autour de ce bateau avec quatre pagayeurs. On a joué, ça allait de Mozart à Franz Lehár, mais surtout La Truite de Schubert. C’était la musique idéale pour jouer sur ce ponton nautique, et descendre calmement la Seine en faisant (Maurice Baquet chantonne). C’est extraordinaire, il faudrait faire ça tous les jours. C’était vraiment merveilleux. On a joué avec un beau soleil à ce moment-là, un peu trempé encore. Mais enfin, en grand soleil, on s’est trouvé traversant Paris sur le canoè. C’était vraiment une idée merveilleuse. On est arrivé devant la Maison de la radio dans laquelle des amis à moi, des compagnons du Beaujolais, nous attendaient avec quelques bouteilles et quelques verres de vin rouge pour nous réchauffer. Faisant un mauvais jeu de mots, citant toujours mon ami Francis Blanche, en regardant la Seine, j’ai dit « à l’eau de là, je préfère le vin d’ici ». C’est en trinquant que nous avons terminé cette belle journée du 21 juin. "

Les musiques sans frontières, c’était le thème retenu pour l’édition 2000 de la Fête de la Musique. L’ode à la joie ouvrait la Fête simultanément à Athènes , Barcelone, Berlin, Bruxelles, Budapest, Istanbul, Liverpool, Luxembourg, Naples et Rome. Ce soir-là, les musiciens de l’Orchestre National de Barbès, l’ONB, se produisaient à Paris dans un lieu hautement symbolique. Youcef Boukella et Kamel Tenfiche se souviennent.

Youcef Boukella et Kamel Tenfiche, musiciens de l'Orchestre National de Barbès
Kamel : « Mon plus beau souvenir de la Fête de la Musique, c’est celui de l’Assemblée nationale. Jouer dans l’antre même de la création des valeurs républicaines, jouer là c’est une reconnaissance. On a joué là où se font et se défont les projets de loi, là où se joue l’avenir de la France."
Youcef : « C’était l’Assemblée, la démocratie. C’était une superbe invitation. Symboliquement, c’était touchant, c’était bien quand même. »
Kamel : « Il y avait le président de la Chambre, des ministres. On s’est retrouvé à flirter avec des gens de cette trempe. C’est même plus qu’un symbole, c’est-à-dire que ça fait réagir les gens. C’est un moment inoubliable, à tel point que j’ai demandé à rentrer dans l’hémicycle. D’habitude, on ne peut voir cet hémicycle que le mercredi après-midi lorsqu’il y a les débats de l’Assemblée qui sont retransmis à la télé. Là, j’ai eu le privilège de rentrer dans cet amphithéâtre. Ça donne le frisson. »
Youcef : « Et de voir aussi cette foule. Peut-être qu’il n’y a jamais eu devant l’Assemblée nationale autant d’Arabes et de Noirs. Je passe par là, des fois, et je n’ai jamais vu une foule aussi basanée ! C’était super. Et à Paris quoi. C’est vrai qu’il est bien ce souvenir. »
Kamel : « En fait, l’Assemblée nationale, c’est la représentation de tous les courants politiques. On a tout le panel. Quelque part, on a joué devant la France. Pour nous, c’est un moment de grâce qui a fait qu’on a pu parler à travers notre musique de ce que nous sommes. Je pense que l’on a été plus ou moins le porte-voix de toute l’immigration, de tous les gens qui se sentent exclus du débat politique, du débat de la société. »
Et voilà, la Fête continue. Du Boléro de Ravel à la techno de Laurent Garnier. Bonne musique à tous.

Sylvie Coma

Pour tout savoir sur la programmation, en France et à travers le monde, de cette 20ème Fête , allez donc faire un petit tour sur son site officiel.