Arthur H au Trianon

Après Michel Portal et Jean-Jacques Milteau, c’était au tour d’Arthur H de jouer le maître d’oeuvre pour la troisième soirée de cette dixième édition des Nuits des Musiciens. Fidèle à son "goût du multiple", il a convié sur scène Nina Morato, la grande Brigitte Fontaine, la Compagnie des Musiques à Ouïr, Papa Dieye(percussionniste d’origine sénégalaise), Lhasa et l’accordéoniste-conteur Marc Perrone. Ambiance (dadao-fellinienne).

Concert unique pour les Nuits des Musiciens

Après Michel Portal et Jean-Jacques Milteau, c’était au tour d’Arthur H de jouer le maître d’oeuvre pour la troisième soirée de cette dixième édition des Nuits des Musiciens. Fidèle à son "goût du multiple", il a convié sur scène Nina Morato, la grande Brigitte Fontaine, la Compagnie des Musiques à Ouïr, Papa Dieye(percussionniste d’origine sénégalaise), Lhasa et l’accordéoniste-conteur Marc Perrone. Ambiance (dadao-fellinienne).

En 1988, Arthur H son premier album, dont la mélodie vocale du premier titre, John la reine des pommes, rappelait terriblement les ”tics” de Jacques Higelin, posait les fondements de son style ”chanson-funkoïde”. Depuis Arthur, organiste-pianiste à la voix de rocaille, mêle avec un talent certain la tradition de la chanson à textes, sous le haut parrainage de Gainsbourg et de Tom Waits, à un univers musical électro-accoustique très groovy, souvent très onirique et toujours séducteur.

La plupart du temps, il dit ses textes plus qu’il ne les chante, et ça sonne. Son deuxième album, Arthur H et le Bachibouzouk Band (1992), s’ouvre sur certains titres à de nouveaux métissages, et la troupe d’Arthur, à la manière d’une fanfare, réussit à intégrer sans faux pli toutes sortes d’influences aux résonances de fête foraine. En 1996, Trouble Fête, son troisième album, navigue entre le funk, le jazz, le tango, la musique africaine et la musique tzigane. Pour Madame X (2000), son dernier opus, louche avec succès du côté de l’électro, dans un souci de simplification de l’écriture musicale, au profit de la pulsation.

Ce soir, au Trianon, l’ambiance est festive, foraine, loufoque, fellinienne. Disséminées à l’arrière de la scène, une quinzaine de lunes de diamètres variables, perchées sur des pieds de hauteurs inégales, projette une lumière changeante, du blanc à l’orange, jusqu’au rose le plus féérique. Leurs ombres dessinent sur le mur du fond un horizon de baraques arrondies, comme si, derrière, il y avait d’autres foires, dans une forêt de lampions. Arthur H entre en scène, tout de rouge vêtu, avec sous son costume, un tee-shirt à l’effigie des supers nanas, qui contraste cocassement avec sa voix et ses grandes oreilles. Brad Scott, son partenaire de toujours, s’installe à la contrebasse, Nicolas Repac, à la guitare électrique, Franck Vaillant à la batterie, John Hendelsman au sax alto et Nicolas Genest à la trompette.

”Bonsoir, clame le héros du jour, bienvenue au Trianon. Soirée un peu spéciale, évidemment, y’aura du sexe, du sang, des combats... On va commencer par une incantation à des anges un peu particuliers, tout le monde les connaît, c’est Les pieds nickelés, des anges qui aiment bien faire des croche-pattes aux aveugles, des choses comme ça.” Esthétique doublement BD donc, pour un début en fanfare funky, pêches de cuivres et contrebasse déchaînée, jusqu’à l’apparition de Nina Morato...

La salle est plongée dans l’obscurité, tandis que s’élève une musique jouée à la harpe et, lorsque la lumière se fait, on découvre Miss Je suis la mieux (selon le titre du tube qui l’a lancée), recroquevillée au sol dans sa longue robe rouge. Elle s’étire longuement, animale, sensuelle, lascive, vive, un peu agaçante, et pousse d’une voix touchante et fragile son Bal des parfums, seulement accompagnée de son harpiste. Arthur la rejoint pour entonner avec elle En harmonie, qu’ils chantaient ensemble sur le dernier album de Nina. C’est un beau duo, de l’un à l’autre et sur fond de guitare groovy, ça circule et c’est chaud... Puis ils entonnent Carnaval, et Nina quand elle lâche son micro, se trémousse sur le piano, frotte ses pieds nus l’un contre l’autre ou exécute quelques pas de danse. Ils enchaînent sur Johnny Palmer et Arthur, ”dans un élan de démagogie spontanée”, invite le public à chanter. ”Pour commencer le chant, moi, si j’avais un conseil à donner, je dirais qu’il faut d’abord hurler, comme quand on sort du sexe de sa maman et qu’on trouve que c’est bizarre et qu’on est content en même temps. On hurle”. Alors le public hurle et c’est presque comme dans les années 30 (dont s’inspire la ballade de Johnny Palmer) et ça tombe bien parce que c’était la grande époque de l’expressionnisme, et qu’on ne pouvait rêver meilleure transition pour accueillir ”une vraie sorcière”, Brigitte Fontaine.

La grande dame surgit en dentelles et blazer, dans un torrent d’applaudissements, toute de blanc vêtue sauf ses chaussures de cuir montantes, surmontées de chaussettes roulées au-dessus des genoux. On l’aime parce que c’est un monstre (talentueux) et elle le sait. Après les enfantillages de Nina Morato, genre de provocatrice évaporée et allumeuse, on ne pouvait rêver meilleur effet de miroir inversé. Alors les filles, retenez la leçon, si d’aventure vous vouliez monter sur scène, sachez qu’il faudra en faire 10 tonnes ! Il y a des allures de grand cirque de la féminité au tournant du millénaire dans tout ça et, à la longue, ça fatigue. J’ai brutalement très envie de zapper sur un clip de Missy Elliot. (Mais respect à Brigitte Fontaine, la plus sensationnelle des drag-queens de sa génération, qui, seule contre tous, a su porter haut les couleurs du phénomène queer, dans un pays où les mœurs évoluent bien lentement).

On ne peut passer sous silence une reprise vraiment torride de Je t’aime moi non plus par le duo Arthur H et Brigitte Fontaine, entrecoupée de cris et de gémissements, devant un public déchaîné et hilare, qui s’achève dans une double agonie vraiment suggestive. Bravo et vive les clowns. Brigitte Fontaine s’éclipse après une version très convaincue de Je suis malheureuse parce que je suis conne, qu’elle conclut, en tirant son chapeau à la scène, par ”la plus conne des connes c’est moi.”

La suite réserve de beaux moments musicaux, grâce à Christophe Monniot, Remy Scuito et Denis Charolles, les trois jazzmen de la jungle bruitiste de la Compagnie des Musiques à Ouïr, qui se baladent entre musiques savantes et musiques populaires. Grâce à Papa Dieye, déjà vu aux côtés de Djoloff, Akosh S, Nilda Fernandez, Baaba Maal et Ray Lema. Grâce à Lhasa, qu’Arthur H a sollicité sur son dernier album pour Indiana Lullaby, où elle chante en espagnol les bribes d’un vieux tango mexicain. Enfin grâce à Marc Perrone qui entraîne le public sur sa Song éphémère passion et aux musiciens d’Arthur H, bien sûr, avec une mention spéciale pour le one man show du terrible Brad Scott, qui colle Arthur à la guitare et lui vole le micro le temps d’une chanson (”essaie pour une fois d’être juste musicien anonyme, c’est dur de ne pas avoir d’ego, c’est un travail quotidien”). Ils s’en vont sur la splendide Mystic Rhumba, toute en fanfare, dans un déluge de lumière rose, et le rappel se clôt sur l’envoûtante Georgia, tirée du Bachibouzouk. Le tout grâce à Arthur H, qui devient solaire à force d’être si sensible à la lune.

Cécile Sanchez